FRANCES HA

 FRANCES HA

Noah Baumbach, 2013

LE COMMENTAIRE

Dans sa réflexion sur la fièvre, co-écrite avec Didier Morville, le penseur Bruno Lopes traitait de la contingence avec beaucoup d’élégance. Il y a effectivement des jours comme ça où tout ne va pas pour le mieux. Ces fameux jours en noir et blanc où tout part en couilles, on se verrait bien couler au plus profond de sa baignoire. Il faut pourtant bien garder la tête à la surface. Surnager. L’instinct de survie de la Sexion d’Assaut. Faire des bonds de cabri sur les passages pour piétons.

LE PITCH

Une jeune femme fait des arabesques insouciantes dans les rues de Brooklyn.

LE RÉSUMÉ

Frances Halladay (Greta Gerwig) est apprentie dans une troupe de danseurs et vit la Dolce Vita New-Yorkaise avec sa meilleure amie Sophie (Mickey Sumner), à se marrer et à fumer à leur fenêtre en se posant des questions existentielles (cf Lola):

I wouldn’t eat a domesticated dog!

You only say that because they are cute.

Son amitié avec Sophie est plus forte que tout, y compris sa relation avec son petit copain avec lequel elle refuse tout bonnement d’emménager pour la simple et bonne raison qu’elle ne veut pas quitter Sophie. La vie est douce. Jusqu’au jour où Sophie annonce sèchement à Frances qu’elle déménage pour vivre à Tribeca avec Lisa. La nouvelle tombe comme un couperet. Sophie ne voulait pas mettre Frances devant le fait accompli, c’est pourtant ce qu’elle fait.

C’est le début d’une longue vie d’errance pour Frances. Elle trouve un point de chute chez Lev (Adam Driver) et son colloque Benji (Michael Zegen) à Chinatown mais ne peut plus payer les loyers puisqu’elle se fait débarquer sans ménagement par la directrice de sa troupe de danse.

We won’t be able to use you in the Christmas show.

Un malheur n’arrive jamais seul. Sophie lui crache son bonheur à la figure avec son petit ami « Patch » (Patrick Heusinger). C’est le drame. Frances et Sophie se disputent.

Don’t treat me like a three-hour brunch friend!

Frances rentre quelques jours chez ses parents à Sacramento, puis retourne à New York avant de s’envoler sur un coup de tête pour un week-end foireux à Paris où elle apprend que Sophie part vivre au Japon pour suivre « Patch ».

De retour à New-York, Frances est contrainte de prendre un job de serveuse à son ancienne Université à Poughkeepsie où elle tombe par le plus grand des hasards sur Sophie, complètement bourrée, qui lui confie qu’elle veut se séparer de « Patch » et rentrer à New York. Les deux amies se réconcilient avant de se séparer à nouveau.

Frances met en scène avec un succès modeste: la directrice de son ancienne troupe Coleen (Charlotte d’Amboise) la félicite. Benji la drague. Elle a surtout récupéré l’attention de son amie Sophie qui la bouffe du regard de l’autre côté de la pièce. Frances semble heureuse dans son appartement de Washington Heights dont la boîte aux lettres est trop petite pour son nom.

L’EXPLICATION

Frances Ha, c’est faire le tour de soi-même.

Frances est une intellectuelle New-Yorkaise à un point où elle en est presque une parodie d’elle-même. Elle est une introvertie extravagante qui cherche à attirer l’attention sans vouloir qu’on la remarque. Alors elle court dans les rues, elle joue de la guitare hawaïenne dans le métro, et puis elle parle.

Elle parle beaucoup, la plupart du temps pour ne rien dire. Vocaliser ses émotions en permanence parce que la psy a dit de le faire. Ou commenter simplement ce qui se passe sans que personne ne demande rien.

I put my ring on my thumb and I’m having trouble getting it off.

Hold your hand above your head, I’ll drain the blood out.

I look like I’m asking a question.

Frances est bigger than life, comme New York. Son nom est plus grand que sa boite aux lettres. Elle est tellement importante que sa vie tourne nécessairement autour d’elle. Comme elle n’est qu’une artiste médiocre, elle se plaint. On survit ainsi à New York où seuls les artistes sont riches. Les médiocres compensent. Cela va avec le personnage. Quand on n’a pas trente ans et qu’on vit à Manhattan, il est de bon ton de se plaindre d’être pauvre par exemple, même si être pauvre est relatif, comme le fait remarquer Benji.

I’m poor.

That’s actually offensive to poor people.

Frances vit dans son fantasme de bohème, nageant entre l’extrême fin de l’adolescence et un hypothétique âge adulte. Elle stagne dans ces eaux mélancoliques sans avoir la moindre intention d’en sortir. Vivant de petits boulots, de culture et d’eau fraîche. Constamment « juste ».

Elle se paie quand même un billet d’avion à la dernière minute pour Paris, le temps d’un week-end. Parce qu’après tout pourquoi pas ? Les dettes, c’est gênant. Cela donne aussi une bonne raison de ne pas passer inaperçue. Elle est dans l’embarras sans l’être. Dans l’embarras, tout en étant fière de l’être plutôt.

I’m so embarrassed, I’m not a real person yet.

L’empreinte carbone, on n’en parle pas.

Frances assume ses paradoxes. Elle ne peut pas rentrer dans le rang, sinon elle disparaît (cf Julie en douze chapitres). Chercher l’impossible, ce qui arrange tout le monde quand on ne le trouve pas. Elle s’auto-déclare « undatable » et préfère s’épanouir dans une relation lesbienne platonique avec Sophie.

We are like a lesbian couple that doesn’t have sex anymore.

Le moteur de Frances est ce qu’elle ne peut pas avoir: un niveau de connivence qui fait qu’on arrive à se comprendre d’un regard et que plus rien d’autre ne compte. Quelque chose qui n’existe pas.

It’s that thing when you’re with someone, and you love them and they know it, and they love you and you know it… but it’s a party… and you’re both talking to other people, and you’re laughing and shining… and you look across the room and catch each other’s eyes… but – but not because you’re possessive, or it’s precisely sexual… but because… that is your person in this life. And it’s funny and sad, but only because this life will end, and it’s this secret world that exists right there in public, unnoticed, that no one else knows about. It’s sort of like how they say that other dimensions exist all around us, but we don’t have the ability to perceive them. That’s – That’s what I want out of a relationship. Or just life, I guess.

France est à l’image d’une jeunesse New-Yorkaise à la recherche de ce qu’on ne peut pas atteindre. Elle commence tout doucement à se figer sur son île, sans même s’en rendre compte. N’oublions pas que Frances est avant tout une danseuse (cf Suspiria, Showgirls, Black Swan).

Alors elle fait ce qu’elle sait faire de mieux: des pirouettes. Au final, elle ne fait que tourner en rond. Le temps que quelqu’un s’en rende compte, ce seront les jeunes Parisiens et Parisiennes qui se regarderont le nombril avec cinq ans de retard le long du quai de la Seine – ou du quai de la Loire.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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