LA COULEUR DE L’ARGENT
Martin Scorsese, 1987
LE COMMENTAIRE
D’un côté, la jeunesse cherche à attirer les regards par besoin de validation. De l’autre, les vieux se moquent pas mal de capter l’attention. Ils se sont retirés du circuit et sont passés à autre chose (cf No Country for Old Men). En apparences seulement. Car ils peuvent encore se retrouver au centre des débats. Et ils ont souvent quelque chose à donner. L’histoire continue.
LE PITCH
Un vieux briscard prend un jeune loup sous son aile.
LE RÉSUMÉ
Edward « Fast Eddie » Felson (Paul Newman) est un ancien joueur de billard américain qui s’est retiré du circuit. Il vend désormais de la liqueur dans la banlieue de Chicago. Lorsqu’il fait la rencontre du jeune prodige Vincent Lauria (Tom Cruise) et de sa copine Carmen (Mary Elizabeth Mastrantonio). Le talent de Vincent est évident, mais son manque d’expérience lui fait perdre pas mal d’argent.
I said you are a natural character; you’re an incredible flake. But that’s a gift. Some guys spend half their lives trying to invent something like that.
Eddie se propose de les emmener faire la tournée des salles, pour apprendre quelques précieuses techniques qui pourraient les aider à gagner leur vie.
Money won is twice as sweet as money earned.
Six semaines sur la route à bord de la Cadillac d’Eddie (cf Green Book). Terminus : Atlantic City.
Chez Orvis (Bill Cobbs), Vincent commence par faire un véritable show.
I’m a fucking animal!
Sa démonstration ridicule refroidit les autres joueurs. Son arrogance est insupportable.
Who the hell are you? The end of the world?
Eddie est furieux. Pour progresser, Vincent va devoir apprendre à faire profil bas.
That wasn’t pool, that was circus! You dropped your pants!
Malheureusement, son ego revient souvent à la charge (cf L’Associé du Diable), ainsi que sa jalousie (cf L’Enfer).
Le partenariat fonctionne malgré tout. Les performances de Vincent donnent même envie à Eddie de se remettre à table.
Eddie flambe le temps d’une après-midi, puis tombe sur Amos (Forest Whitaker) qui le plume. C’est l’humiliation de trop.
I got nothing left to teach.
Il abandonne ses acolytes en leur laissant assez d’argent pour se rendre à Atlantic City – sans lui.
Eddie se remet en forme et change de lunettes de vue. Quelques parties lui redonnent suffisamment confiance pour s’inscrire à Atlantic City. Lors du tournoi, il donne une leçon à son ancien partenaire Julian (John Turturro). Avant d’affronter Vincent qu’il va éliminer au terme d’une partie disputée.
Le soir, Vincent retrouve Eddie dans sa chambre d’hôtel pour lui donner $8,000. Il a perdu volontairement, Carmen ayant misé gros sur Eddie afin de remporter la côte.
Déçu par l’attitude de son poulain qu’il aurait voulu voir gagner le tournoi, Eddie déclare forfait pour le prochain tour et rend l’argent à Vincent. Désormais, il veut jouer sans tricher.
Les deux hommes se retrouvent pour une revanche, rien que tous les deux.
Histoire de déterminer qui est le meilleur.
If I don’t whip you now, I’m gonna whip you next month.
(…) Oh yeah? What makes you so sure?
… I’m back!
L’EXPLICATION
La Couleur de l’Argent, c’est papi fait de la résistance.
Les relations de mentorat semblent être unilatérales : la personne bénéficiant de plus d’expérience partage sa sagesse avec la personne qui en manque (cf Les Ripoux). Le premier nourrit le second. Eddie fait notamment la leçon à Vincent qui a clairement besoin d’utiliser un peu plus sa tête.
You gotta have brains and you gotta have balls. Now, you got too much of one and not enough of the other.
Ce n’est d’ailleurs pas que du billard. D’une manière générale, Eddie apprend la vie à Vincent et Carmen. Il y a du fric à se faire. Ce n’est pas le moment de déconner. Ils ne sont pas là pour rigoler.
We’re business people.
Eddie fait comprendre à Vincent qu’il peut tirer bénéfice de jouer un peu la comédie. Impressionner la galerie ne lui rapportera rien. Pour peu qu’il réussisse à avancer masqué, Vincent pourrait profiter davantage de la situation.
It’s acting! We’re just trying to be professionals.
Vincent avait besoin d’une figure paternelle capable de le cadrer avec bienveillance. Avec son sourire agaçant et sa coupe de cheveux de minet, il ne serait effectivement pas arrivé très loin. Ce voyage avec Eddie va lui permettre de réaliser tout son potentiel, et comprendre les ficelles du jeu.
Cela devrait s’arrêter là.
Une fois que Vincent est prêt, Eddie s’en va. Son travail est terminé. Ils peuvent se serrer la main pour se dire au revoir.
You’re in Atlantic City now with the big boys.
En réalité, chaque relation est bilatérale. Eddie a encore des choses à apprendre de Vincent qui lui renvoie l’ascenseur sans même s’en rendre compte. Eddie le désenchanté, qui avait rangé sa queue au placard, se remet à arpenter les salles. Tout en expliquant à Vincent comment gagner du pognon, il lui parle du billard comme d’un art.
Luck plays a part in nine-ball. But for some players, luck itself is an art.
Eddie ressemblait à un éléphant prêt pour le cimetière. Il était aigri et avait abandonné toute poésie. Voilà qu’il reparle à nouveau de son sport avec passion.
Straight pool, you gotta be a real surgeon to get ’em, you know? It’s all finesse.
Eddie donnait l’impression d’être détaché de tout. Comme si plus rien de parvenait à le motiver. Vincent arrive à point nommé et le pique au vif. Il souffle sur ses braises (cf Wolf).
Because there’s something at the end of this.
Le vieux n’a pas encore dit son dernier mot! Il se refait une santé et cette défaite contre Amos ravive son amour propre. Lui qui avait dompté ses émotions jusqu’à les mettre en veilleuse, se laisse délicieusement rattraper par ses vieux démons. Il reprend goût à la compétition.
Eddie, usé par les années, était sorti des classements. Il avait tourné le dos à la vie pour choisir le côté obscur des salles de billard – plus lucratif. Embrumé dans la fumée de cigarette aux vapeurs d’alcool. Ayant perdu de son sens éthique. Grâce à Vincent, il a l’occasion de reprendre un peu de poil de la bête. On ne lui marche pas sur les pieds comme cela.
Ce n’est pas non plus qu’une histoire de gros sous.