GREEN BOOK

GREEN BOOK

Peter Farrelly, 2018

LE COMMENTAIRE

La violence s’exprime autant physiquement que moralement. Chaque jour, les personnes issues des minorités subissent encore des violences ou des attaques verbales. Seuls dans l’intimité de leurs salles de bains, il doivent soigner leurs blessures.  

LE PITCH

Deux hommes que tout oppose font la route ensemble.

LE RÉSUMÉ

Tony Vallelonga (Viggo Mortensen) est le genre de videur avec lequel on ne plaisante pas. Contraint de trouver un nouveau job après la fermeture de son club, ce grand gaillard passe un entretien inattendu pour devenir le chauffeur de Don Chirley (Mahershala Ali), un pianiste virtuose de couleur. Or il se trouve que Tony est raciste au point de jeter des verres à la poubelle s’ils ont été utilisés par des personnes dont les visages ne lui reviennent pas.

Don Chirley part en tournée dans le Sud, une terre historiquement très hostile pour les hommes comme lui. Encore aujourd’hui (cf Blackkklansman) et tout particulièrement dans les années 60 (cf Mississippi Burning). Le musicien a besoin d’un bon garde du corps. Quelqu’un de confiance. Tout le monde recommande chaudement Tony. Don insiste. Tony se laisse convaincre.

Do you foresee any issues in working for a black man?

No!

Dans la voiture, les deux hommes se disputent en permanence (cf Miss Daisy et son chauffeur). Don reproche à Tony son manque de tact et Tony ne supporte pas qu’on lui fasse la leçon.

Could you put out the cigarette please?

Why?

I can’t breath back here.

Une fois dans le Sud, le chauffeur suit le Green Book qui répertorie les bonnes adresses – réservées aux personnes de couleur. Au fil du voyage, leur relation va se développer. Bien que grossier, Tony est professionnel. Son dévouement lui permet de gagner le respect de Don. En retour, les performances musicales de l’artiste parviennent à réveiller la sensibilité de cet homme bourru en apparence. Car Tony est plus sensible qu’il n’y parait. Il fait découvrir les saveurs raffinées du poulet frit à Don. En retour, Chirley lui dicte des lettres d’amour qui font chavirer le coeur de sa femme Dolores (Linda Cardellini).

Falling in love with you was the easiest thing I’ve ever done.

Confronté au racisme local, Tony et Don vont se rapprocher après une énième dispute. L’Italo-Américain reproche à l’Afro-Américain son attitude hautaine. Tony se permet de dire que lui aussi a été victime de discrimination.

Chirley est également homosexuel. La double peine. 

So if I’m not black enough and if I’m not white enough, then tell me, Tony, what am I?

Subissant des remarques élégamment racistes (cf Get out), il donne néanmoins le change à chaque concert, saluant la foule. Jusqu’à cette dernière représentation dans l’Alabama où il se voit refuser l’accès au restaurant. Lui qui a toujours fait profil bas décide de ne plus accepter les insultes.

No. I’m not eating in that storage room.

Il quitte les lieux accompagné de son chauffeur, pour un petit club de jazz dans lequel il se joindra aux autres musiciens pour enflammer la soirée.

Enfin de retour à New York après avoir roulé toute la nuit, juste à temps pour le réveillon de Noël, Tony invite Don à venir célébrer Noël avec sa famille. Ce dernier décline puis se ravise. La famille est médusée. Tony est aux anges. Dolores l’accueille à bras ouverts. Don la remercie, avec la classe qui le caractérise.

Thank you for sharing your husband with me.

L’EXPLICATION

Green Book, c’est changer les coeurs.

On connaît les origines ancestrales du racisme. Ne pas avoir suffisamment le goût des autres, une incapacité à tolérer la différence, un manque d’empathie. Une angoisse de l’autre conduisant au rejet, nourri par l’instinct de protection de son propre territoire, de sa propre culture, que l’autre pourrait menacer de sa simple présence.

Ce sentiment est accentué lorsque le contexte économique est défavorable. On repense au maudit chauffeur de camion Polonais qui ne pensait qu’à une chose: voler le travail des pauvres chauffeurs routiers Français. Inutile de parler de la menace que représentent l’Arabe, sa mosquée et son couscous.

C’est ainsi que le racisme a pris racine. L’abolition de l’esclavage (cf 12 years a slave), la fin de l’apartheid, la libération des moeurs, les quotas… tout cela ne semble pas avoir transformé la société puisqu’aujourd’hui des hommes et des femmes de couleur meurent encore de violence policière comme par le passé (cf le 13e), sans qu’on s’en offusque.

Le racisme ordinaire est tenace, parfois même assumé (cf Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?). Au point que chacun campe sur ses positions, vaincu par la résignation. De toute façon, tout est foutu. Personne ne bouge. À quoi cela pourrait-il servir ?

The world’s full of lonely people afraid to make the first move.

Il faut du courage pour changer les choses.

Being genius is not enough, it takes courage to change people’s hearts.

Il faut avoir foi en l’autre et sa capacité à changer.

You can do better.

Don laisse un peu de place à Tony. L’artiste en profite pour lui faire passer quelques messages, quelque fois maladroits sur la forme. Dans le fond, ils font pourtant mouche. La sensibilité et la sagesse de l’artiste finissent par imbiber Tony.

You never win with violence, you only win when you maintain your dignity.

De son côté, Tony apporte un peu de légèreté dans la vie solitaire de Don. Avec Tony, on peut se permettre de vivre un peu.

You know, my father used to say, whatever you do, do it 100%. When you work: work, when you laugh: laugh, when you eat: eat like it’s your last meal.

Pas surprenant que ces deux compagnons se révèlent dans le Sud, royaume de l’hypocrisie (cf Autant en emporte le vent). Le Sud bien connu pour sa légendaire hospitalité et qui envoie les personnes de couleur pisser dans des cabanes au fond du jardin. Un Sud bien intentionné qui invite un homme de couleur à jouer du piano comme pour mieux se rassurer. C’est dans ce Sud que Tony et Don vont arrêter de jouer la comédie.  

Tony! I’m sorry about last night.

…Don’t worry ’bout it. I been working nightclubs in New York City my whole life, I know it’s a… complicated world.

Ils ne valent pas mieux l’un que l’autre. Tous les deux sont remplis de colère contre la bêtise du monde mais ensemble, ils parviennent à laisser une chance à l’autre.

Viggo Mortensen and Mahershala Ali in "Green Book."

Isolés, ils ne parviendront à rien. Ensemble, ils peuvent dépasser leurs souffrances et leurs idées reçues. Exprimer ce qu’ils ont de meilleur en eux. Inspirer les autres. 

À deux, on peut remettre courtoisement à leur place tous les imbéciles qui ont besoin de l’être (cf Three Billboards). Accueillir l’autre. Profiter de la magie de la différence plutôt que d’en avoir peur. Gagner la bataille du quotidien.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

4 commentaires

  • Ces deux là sont clairement plus forts ensemble.
    J’ai aussi vu dans ce film une illustration de ce qu’est l’amitié au sens le plus noble du terme. A l’époque de l’antiquité, on cultivait même l’amitié comme vertu. C’est exigeant d’être vertueux.
    L’amitié demande du temps. Il leur aura fallu un long voyage et de nombreux concerts pour commencer à se découvrir.
    L’amitié exige de la sincérité. Dire les choses, ne pas être d’accord: ils se disputent en permanence. Ne pas se dissimuler aussi, savoir se mettre à nu en quelque sorte: c’est littéralement la scène de l’arrestation.
    L’amitié requiert du respect, de la douceur. Quand la fatigue vient, l’un prend le volant pour l’autre. Quand l’un n’a pas les mots, l’autre les lui souffle.
    On pourrait se demander si l’amitié exclue l’amour et inversement. Que Dolores se rassure, son mari est bien rentré pour le réveillon.
    On pourrait se demander si l’amitié est intéressée. Elle l’est, elle est même ici rémunérée. N’en est-elle pas moins belle?
    ‘Parce que c’était lui, parce que c’était moi.´ disait Montaigne de la Boétie. C’est quand même mieux que de compter les likes et les followers, non?

    • Merci Delphine pour ce commentaire. Effectivement Green Book peut tout simplement traiter d’une histoire d’amitié avec tout ce que cela entend de vertueux, dans un monde qui a changé par rapport à l’antiquité. Mettant en scène tout ce qui est nécessaire pour cultiver l’amitié et rappelant qu’il ne s’agit pas de quelque chose d’évident. Les réseaux sociaux nous ont donné, à tort, l’impression que c’était facile. Cependant, l’amitié se construit dans le temps avec patience. Une amitié épicurienne, soutenue par une morale de l’intérêt. Tous les deux s’apportent beaucoup mutuellement. C’est ainsi que l’amitié conduit à l’ataraxie des fêtes de fin d’année – l’absence de trouble.

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