JAMBON JAMBON
Bigas Luna, 1992
LE COMMENTAIRE
Qu’est-ce qu’on est beau quand on est jeune. On est forcément un peu plus con, un peu plus tendre aussi. Les gestes sont mal assurés (cf Les Beaux Gosses). Le sourire est gêné. Mais qu’est-ce qu’on est frais. On ne s’en rend compte que plus tard. C’est peut-être la beauté des années : pouvoir se regarder dans le rétroviseur avec complaisance.
LE PITCH
Les esprits s’échauffent sur fond de jambon ibérique.
LE RÉSUMÉ
Perdue quelque part entre Saragosse et Huesca, Silvia (Penelope Cruz) prépare ses tortillas qu’elle va distribuer aux employé·es de l’usine de sous-vêtements locale. Sa mère Carmen (Anna Galiena) est patronne d’un bar – à hôtesses.
Silvia fréquente Jose Luis (Jordi Mollà), le fils des patrons de l’usine de sous-vêtements : Conchita (Stefania Sandrelli) et Manuel (Juan Diego).
Pour Silvia qui est enceinte, le moment de la rencontre avec la belle-famille devient incontournable (cf Mon Beau-Père et Moi). Elle se pose les questions essentielles.
Tu crois que je vais plaire à ta mère…?
Malheureusement, la rencontre tourne court. Sofia ne plait pas à Conchita qui a Carmen dans le collimateur. C’est le clash.
Qu’est-ce qu’il fait ton père avec cette pute ?
… C’est moi qui l’ai invitée.
Et pourquoi ??
Parce que c’est ma mère!
Très vite, Conchita va oeuvrer pour faire capoter le mariage. Elle fait appel aux services de Raúl (Javier Bardem), un employé de l’usine de jambon qui sert accessoirement de modèle pour les publicités de sous-vêtements car le gaillard est redoutablement monté. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à Conchita.
Je vous rappelle que dans la plupart des cas, ce sont les femmes qui achètent de sous-vêtements masculins. Un paquet bien rempli ça fait vendre.
Raúl développe un jeu de séduction agressif sur Silvia, à la limite de l’agression sexuelle.
Toi et moi on sera jamais copains tous les deux. Le seule truc qu’on peut faire ensemble c’est baiser.
T’es un cochon.
Et toi t’es un jambon. (…) Le jambon ça donne envie.
Conchita s’envoie Raúl. Une petite baise contre une belle moto. On peut dire que Raúl ne perd pas au change.
Sous pression, Jose Luis retourne voir Carmen.
J’ai besoin d’être avec toi. Je te jure que ce sera la dernière fois.
Pendant ce temps, Silvia finit par céder aux banderilles du toréador. Elle change de camp.
Maintenant, moi j’aime Raúl.
Jose Luis découvre que Silvia l’a trompé et la viole. Ce sauvage retourne voir Carmen qui l’éconduit. Effondré, il ne lui reste plus qu’à tuer Raúl.
Silvia cherche José Luis mais croise Manuel qui l’embrasse sans permission.
José Luis et Raúl finissent par s’affronter dans un combat à la régulière, avec des jambons.
Raúl terrasse son adversaire. Carmen, Manuel, Conchita et Silvia les retrouvent. Tout le monde s’embrasse en pleurant, comme dans une partouze de tristesse.

L’EXPLICATION
Jambon Jambon, c’est l’enfer de la province.
En France où tout est centralisé, on sait toute la différence qui existe entre Paris où les gens sont civilisés et la province où les gens ont du poil dans les oreilles (cf Les Tuche, la Famille Bélier). Pour un·e Parisien·ne de souche, un·e provincial·e est un·e autochtone un peu bizarre qui parle avec un accent. Quelqu’un d’un peu naïf quand il monte sur Paris (cf Les Ripoux), ou sympathique quand il reçoit à domicile (cf Camping, Bienvenue chez les Ch’tis).
C’est parce qu’à Paris, il y a tout.
Alors qu’en province, il n’y a rien.
C’est le désert.
Même à Bordeaux, il n’y a rien – à l’exception du pinard (cf Mondovino).
Quand il n’y a rien, on s’ennuie.
Et quand on s’ennuie, on n’est pas forcément plus créatif. On peut aussi faire de la merde.
L’Espagne découvre cette réalité…
Carmen, Silvia, José Luis, Manuel, Conchita et Raúl sont plongé·es dans cet enfer.
Silvia s’ennuie, donc elle couche avec José Luis. C’est la première erreur. Le début d’une longue série. Elle aurait pu se débrouiller pour partir en prépa grand chic à Madrid. À la place elle fait la cuisine, ce qui la soule.
J’en ai marre de faire des tortillas.
Total : elle se retrouve enceinte d’un mec qui doit son travail à ses parents, et dont les idées business font honte à son paternel.
Qu’est-ce que tu veux ? Gagner de l’argent ou jouer ? Ici, on n’a pas le temps de jouer. On fait des affaires.
Autant dire que Silvia s’est mise dans de beaux draps avec un sacré tocard. Elle ne sait sans doute pas que José Luis couche aussi avec sa mère. C’est la surprise du chef.
Conchita veut mieux pour son fils qu’une fille d’une prostituée.
Avant de décider quelque chose, réfléchis bien d’abord. (…) Tu vas foutre en l’air ton avenir!
Mais qui d’autre ? Il n’y a pas des masses de choix dans ce désert.
Comme en province on a des idées de génie (cf Le Poulpe), Conchita va jeter un chien en chaleur dans les pattes de la petite. Comme Conchita s’ennuie profondément elle aussi, elle couche avec Raúl.
Raoul ne me laisse pas seule, j’ai besoin de toi. Je suis désespérée. Tu es tout pour moi, ma raison de vivre, ma passion. Tant pis si ce n’est pas la vérité mais dis moi que tu m’aimes. (…) Je t’achèterai une Mercedes.
Il ne manque plus que le bisou forcé de Manuel, et la boucle est bouclée. Manuel dont on sait ce qu’il pense des femmes.
Dans chaque femme, il y a toujours une putain qui sommeille.
Sur le strict plan hétérosexuel, tout le monde a presque couché avec tout le monde – comme dans Hélène et les churos. Il faut dire qu’en province, on a besoin de faire le tour de la question et surtout on n’a pas de temps à perdre en palabres (cf Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait).

On goûte un peu à tout. L’inceste n’était pas loin. Par contre, on ne passe pas à côté de l’agression sexuelle et du viol. Silvia prend cher (cf Mouchette). Tout ceci sous silence (cf Comme si de rien n’était). On ne parle pas de ces choses là province.
Les deux mâles alpha finissent par se mettre sur la tronche à coups de jambon.
La seule conclusion à laquelle cette joyeuse assemblée arrive est la suivante :
Tu sais, la vie est bizarre.
On est bien avancé.