SINNERS
Ryan Coogler, 2025
LE COMMENTAIRE
Malgré la mondialisation des échanges économiques, des conflits éclatent encore un peu partout dans le monde pour des raisons ethniques. Le commerce n’a visiblement pas suffi à effacer la peur de l’autre, voire la haine de l’autre. Ce qui semble indiquer que l’on ne peut toujours pas se saquer, globalement. Alors que franchement, on serait tellement mieux si l’on pouvait tous faire la fête et danser ensemble – comme des zombies.
LE PITCH
La communauté noire de Clarksdale est attaquée par des vampires.
LE RÉSUMÉ
Après la 1e Guerre Mondiale, Smoke (Michael B. Jordan) et Stack Moore (Michael B. Jordan) reviennent dans le Mississippi avec l’ambition d’ouvrir un club grâce à l’argent de la prohibition.
Les deux frères rachètent une ferme abandonnée à Hogwood (David Maldonado). Puis ils recrutent leur cousin Sammie (Miles Caton), le fils du pasteur Jedidiah Moore (Saul Williams). Delta Slim (Delroy Lindo) les rejoint pour jouer du piano. Grace (Li Jun Li) et Bo Chow (Yao) s’occupent de la restauration. Annie (Wunmi Mosaku), la femme de Smoke, est en cuisine. Mary (Hailee Steinfeld), l’ex-compagne de Stack, s’incruste.
She’s family.
Cornbread (Omar Miller) est en charge de la sécurité.
Pendant ce temps, Remmick (Jack O’Connell) trouve refuge chez Bert (Peter Dreimanis) et sa femme Joan (Lola Kirke). L’immigré irlandais est un vampire. Il va mordre le couple, qui fait partie du KKK (cf Blackkklansman).
Le club ouvre ses portes. Sammie tape dans l’oeil de Pearline (Jayme Lawson), une chanteuse. Sa musique réchauffe immédiatement les coeurs. Tout s’emballe.
We heal our people and we be free. (…) It’s magic what we do.
Sa musique attire aussi les vampires. Remmick et sa bande tournent autour de la baraque. Ils essaient de rentrer dans le club mais Cornbread les arrête sous prétexte qu’ils sont blancs.
You’re saying… we ain’t welcome?!
Mary tente de raisonner les vampires, mais elle en devient une à son tour. Lorsqu’elle revient dans le club, elle dévore Stack. Cornbread est mordu. Les vampires tentent de convaincre celles et ceux qui se sont réfugié·es à l’intérieur de les laisser rentrer, selon une règle bien connue (cf Vampire vous avez dit Vampire?).
Invite us in…
Péniblement, les survivants résistent aux assaults des vampires qui dansent frénétiquement sur de la musique irlandaise. L’affrontement final fait de nombreuses victimes parmi lesquelles Grace, Bo, Annie, et Delta Slim. Pearline devient vampire. Smoke parvient à résister à son frère Stack.
Sammie neutralise Remmick grâce à sa guitare. Le jour se lève. Cette fois, ce sont les membres du KKK, emmenés par Hogwood, qui passent à l’attaque. Smoke riposte. Il les tue, mais se retrouve mortellement blessé par Hogwood. Avant de mourir, il aperçoit Annie avec leur enfant.
De retour à l’église, Sammie refuse d’écouter son père.
Drop the guitare. Pit it down!
Il part à Chicago pour poursuivre sa carrière.
Une soixantaine d’années plus tard, Sammie (Buddy Guy) voit apparaitre Stack et Mary. Stack avait finalement été épargné par Smoke en échange de laisser la vie sauve à Sammie. Le vampire s’installe à côté de l’artiste pour lui proposer l’éternité, que Sammie refuse.
Sammie et Stack se mettent néanmoins d’accord sur le fait que cette fameuse nuit de 1932 fut de loin la meilleure de leur vie.
You know something? Maybe once a week, I wake up paralyzed reliving that night. But before the sun went down, I think that was the best day of my life. Was it like that for you?
No doubt about it. Last time I seen my brother. Last time I seen the sun. And just for a few hours, we was free.

L’EXPLICATION
Sinners, c’est la mélodie de la différence.
La communauté noire américaine est issue de la déportation d’esclaves africains par les colons blancs européens entre 1526 et 1860. Cette communauté a été persécutée en tant que minorité (cf 12 Years a Slave). Pas une tête ne devait dépasser des champs de coton. Les noir·es étaient bien utiles, mais il ne fallait pas les voir. À l’église, ils perdaient leur couleur. Tandis que les suprémacistes blancs les parquaient à l’arrière des bus.
Delta Slim est la figure de celui qui a déjà disparu. Auto-convaincu qu’il est un pêcheur, l’artiste se dilue dans l’alcool.
A sinner like me, I can’t ask more than that.
C’est encore le cas aujourd’hui. On fait taire la différence d’une manière générale. Et les noir·es sont toujours victimes de discrimination (cf Le 13e, LA 92 : Les Émeutes, Detroit, Green Book, The Watermelon Woman, La Couleur Pourpre, Django Unchained, Si Beale Street pouvait parler, Mississippi Burning, Get out).
It still hurts coming back here.
La communauté a donc dû trouver des moyens de s’organiser politiquement pour faire valoir ses droits (cf Selma).
Elle s’est aussi réappropriée le blues pour se créer une culture propre. Une mélodie choisie comme un moyen de garder l’espoir.
The blues wasn’t forced on us like that religion.
Inspiré par des musiques africaines, asiatiques via les Amérindiens, et irlandaises, le blues était évidemment condamné par les blancs qui détestaient toute forme de mélange de genres. Cette musique était prétexte à de nouvelles brimades.
See, white folks, they like the blues just fine. They just don’t like the people who make it.
Le blues était aussi plutôt mal vu par l’église, une autre institution qui cherche à faire taire, en dehors de la confession. Il faut condamner la musique du démon. Une musique coupable. Jedidiah Moore met son fils en garde.
You keep dancing with the devil, one day he’s gonna follow you home!
Dans ce purgatoire quotidien, le club de Smoke et Stack offre une parenthèse enchanté. Un lieu qui permet de se retrouver, un moment pour être enfin soi, loin de tout jugement ou persecution. Le club a été pensé par Smoke et Stack comme un sanctuaire pour s’amuser. Continuer à vivre.
This place’s got to feel like it’s for them.
Le club devient une menace. Il est aussitôt attaqué par des membres du KKK qui cherchent à vampiriser cette minorité. Ils veulent se réapproprier cette musique pour l’assimiler et la détourner (cf Les Blues Brothers). Priver les noir·es de ce qui constitue leur identité. Les mordre au sang pour les condamner à rejoindre une caste de morts-vivants dépourvus de toute personnalité.
Le KKK cherche à garder la communauté sous contrôle (cf Cadillac Records). De la même manière que la religion ne cherche pas à promouvoir l’individu, mais plutôt à le conformer. Amen.
Les vampires promettent aux minorités qu’elles seront libérées pour toujours si elles rejoignent le mouvement.
We was never gonna be free… until this. This is the way!
C’est faux. Les vampires ne s’amusent plus. Ce sont des fantômes qui ne voient plus la lumière du jour.
The soul gets stuck in the body.
Ce sont des soldats de la pensée dominante, qui corrompent les esprits indépendants ou créatifs pour mieux les faire rentrer dans le rang.
I want your stories, and I want your songs. (…) We will make beautiful music together.
Ils veulent faire taire la petite musique.
Sammie est celui qui résiste. Il a le pouvoir d’électriser les foules. Son refus d’abandonner sa guitare est symbolique. Il ne veut pas s’asseoir comme les autres sur les bancs de l’église de son père. Sammie est libre et veut le rester (cf Mad Max : Fury Road).

Au crépuscule de sa vie, Sammie continue de jouer dans un petit club. Il ne cherche pas la gloire. L’éternité, il s’en moque.
I think I’ve seen enough of this place.
Il appartient à son temps. Sa musique ne s’est pas trahie. Elle a infusé plein d’autres courants. Toute la musique que Johnny aimait, elle venait de là, elle venait du blues. Il l’a dit lui-même. C’est quand même pas n’importe qui Johnny. Une icône du monde musical blanc français, strictement inconnu en dehors des frontières de l’hexagone.
En tout cas, Sammie a fait le travail. Il ne raccroche sa guitare que lorsqu’il en est obligé.
Pour marquer l’Histoire, il faut aussi avoir le courage de la quitter. C’est pour cette raison qu’on se rappelle de lui (cf Gatsby le Magnifique), et que l’on siffle encore ses mélodies. Alors que les autres se sont dissous dans une masse indistincte de zombies, et de chansons de l’été dont on ne se souviendra jamais.