DETROIT
Kathryn Bigelow, 2017
LE COMMENTAIRE
On a chanté les Parisiennes. Joe Dassin a chanté le fatalisme. Là où il n’avait pas tort c’est qu’on peut difficilement mesurer une évolution sur le court terme. Il faut prendre du recul. Un titre en bourse ne fluctue que de quelques points par jour. Ce n’est que sur une ou plusieurs années qu’on peut voir se dégager une véritable tendance. Il en va de même pour l’esclavage qui ne fut aboli aux États-Unis qu’en 1865. Plus d’une centaine d’années est nécessaire pour provoquer une inflexion significative. Malheureusement.
LE PITCH
Détroit en 1967 a des faux airs de Clichy-sous-Bois en 2005.
LE RÉSUMÉ
L’après Guerre de Sécession a vu une exode massive de la communauté afro-américaine vers les villes du Nord et ses usines, automobiles notamment comme à Détroit qu’on appelle aussi « Motor City » à cause de Ford, General Motors et Chrysler.
Les Caucasiens ont ensuite délaissé les villes pour les banlieues dans l’après Guerres Mondiales, transformant petit à petit les quartiers du centres en ghettos. Ajoutez à cela un peu de tensions économique et sociales, saupoudrez de violences policière et hop le brasier s’enflamme.
It’s a war zone out there.
Le 23 juillet 1967 marque le début des émeutes de Détroit avec une descente de police musclée dans un Speak Easy où l’on célèbre le retour des GI du Vietnam. Les habitants saccagent des magasins, mettent le feu et caillassent policiers et pompiers. Le gouverneur de l’époque George Romney décrète l’état d’urgence en envoyant la garde nationale du Michigan ainsi que les militaires.
Lors du deuxième jour, Philip Krauss (Will Poulter) blesse mortellement un homme qui s’enfuit d’un magasin en lui tirant dans le dos. Alors que ses supérieurs se décident sur la nature de sa suspension, Krauss est envoyé à la rescousse à l’hôtel Algiers où l’on suspecte la présence d’un sniper.
En réalité il n’y a pas de sniper, juste le chanteur du groupe The Dramatics Larry Reed (Algee Smith), son ami Fred Temple (Jacob Latimore), Julie Ann (Hannah Murray), sa copine Karen (Kaitlyn Dever) et leurs amis Carl Cooper (Jason Mitchell) et Aubrey Pollard (Nathan Davis) ainsi que Greene (Anthony Mackie) un vétéran de la guerre du Vietnam. Carl qui s’était procuré un faux pistolet a cru bon de tirer par la fenêtre pour paniquer les troupes postées au pied de l’hôtel. Mauvaise idée.
Les policiers font une descente, accompagnés d’une poignée de militaires et de Melvin Dismukes (John Boyega), un officier de sécurité privé qui se trouvait dans le bâtiment voisin. Très vite l’interrogatoire dérape. À la recherche d’un pseudo sniper, les policiers emmenés par Krauss abusent de leur autorité.
Ils abattent sèchement Cooper, torturent les autres et agressent les filles en les traitant de prostitués. Dismukes est dégoûté par ces méthodes et fait pression pour que les policiers libèrent les suspects. Il ne pourra éviter la mort « accidentelle » de Pollard, ni celle plus sèche de Temple.
Dismukes n’a rien fait mais il est identifié par Julie. Inculpé, tout comme Krauss et deux autres officiers qui passeront même aux aveux. Leur avocat (John Krasinski) les sortira miraculeusement de ce pétrin, au mépris des familles des victimes.
Traumatisé par cette nuit et la disparition de son ami, Larry Reed stope sa carrière et ne profitera pas du succès des Dramatics. Il préférera travailler comme chanteur dans une chorale à Détroit où il vit encore aujourd’hui.
L’EXPLICATION
Detroit, c’est toujours la même histoire.
Cent ans après l’abolition de l’esclavage, où en est-on dans le Michigan ? Les Afro-Américain·es sont sorti·es des champs de coton pour se tuer à la tâche sur les chaînes de montage.
On les appelle toujours par le « N word ». Toujours assis au fond de la salle dans le tribunal. C’est toujours mal vu d’être blanche et de trainer avec des noirs (cf Get Out). Le Michigan n’est pourtant pas l’Alabama (cf Miss Daisy et son chauffeur) ni le Mississippi (cf Mississippi Burning).
Dismukes est peut-être agent de sécurité. C’est néanmoins toujours l’homme blanc qui dicte sa loi et fait régner la terreur à l’image de Krauss qui prend les clients de l’hôtel Algiers en otages. Krauss, l’officier qui tire dans le dos sur quelqu’un qui s’enfuit, instrumentalise ses partenaires et profite de la situation pour justifier ses propos racistes ou ses actes criminels.
C’est toujours l’Afro-Américain qui est en position de victime, qui encaisse les coups à l’image du vétéran de l’US Air Force qui tente simplement de passer entre les gouttes.
I need you to survive the night.
C’est toujours l’homme blanc qui n’assume pas sa barbarie. Il plaide non coupable. Krauss n’avoue rien de ce qui s’est passé face à Dismukes qui le confronte après le procès. Dismukes était pourtant là.
Les yeux dans les yeux, Krauss n’admet pas qu’il a maquillé la scène du crime de Cooper en plaçant un couteau à côté de son cadavre. Puis qu’il a fait du chantage avec les autres pour leur rendre une liberté qu’il s’était octroyée uniquement grâce à son badge de policier.
Krauss ne reconnaît pas qu’une fois qu’il a pris l’ampleur de la bavure, il les a libérés un à un en essayant de les contraindre au silence.
You don’t talk about this to anyone, ever.
Cela a fonctionné avec certains, pas avec Temple qui a refusé à deux reprises d’ignorer le corps de Cooper. Il l’a payé de sa vie.
Parce que ce sont encore des vies d’Afro-Américain·es qu’on supprime comme si c’était facile, comme si elles ne comptaient pas. Un de plus, un de moins.
Et puis c’est encore et toujours le coupable qui est innocenté par le système, les mêmes qui gagnent et qui perdent à la fin (cf Blackkklansman).
C’est encore une poignée d’abrutis qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble mais qui imposent leur tyrannie. Une administration toujours dépassée par les événements et qui ne sanctionne pas aussi vite qu’elle devrait le faire. Ce sont des actes passés sous silence par tout le monde: la Garde Nationale ou les militaires qui ne veulent surtout pas se mêler à cette affaire.
C’est toujours plus facile de regarder ailleurs.
Ce sont des faits à mettre en parallèle des émeutes liées au tabassage de Rodney King (cf LA 92), ou aux morts de Keith Scott, George Floyd, Walter Wallace Jr, Tyre Nichols. Entre 1865 et 1967, le décor a changé, pas les acteurs ni l’histoire.
Depuis 1967 à nos jours, tout le monde peut s’asseoir partout – non sans éviter les regards de travers.
Les choses ont changé, ou presque.
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