SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE
Ingmar Bergman, 1972
LE COMMENTAIRE
Certain·es célibataires se lamentent de leur condition. Impossible de vivre au milieu de tous ces tourtereaux (cf L’Un dans l’Autre). Quand on gratte un peu le vernis, on se rend pourtant compte que ces couples heureux ne se parlent plus depuis longtemps. Ils ne se regardent même plus dans les yeux. Les couples se regardent plutôt de travers. Il faut voir le positif : au moins ils continuent de se regarder (cf Eyes Wide Shut).
LE PITCH
L’évolution d’un couple en six chapitres.
LE RÉSUMÉ
1. Innocence et Panique
Johan (Erland Josephson) et Marianne (Liv Ullmann) sont interrogés par un magazine. On les met en scène.
Un peu plus amoureux… Souriez… C’est parfait!
Quelques questions sur leur rencontre permettent d’illustrer que ce n’est pas l’amour fou. Entre eux, ce serait plutôt l’amour qui dure.
Comment vous êtes vous rencontrés ?
Ça n’a pas été le coup de foudre.
(…) Dans l’ensemble, on s’entend bien.
En tout cas, cela va certainement mieux que leurs amis Katarina (Bibi Andersson) et Peter (Jan Malmsjö) qui s’écharpent lors d’un dîner.
Je vais être franche avec toi : tu n’as pas idée à quel point tu me dégoutes!
2. L’art de tout balayer sous le tapis.
Johan et Marianne reprennent leur routine. Ils ne couchent plus ensemble depuis des lustres, mais cela doit être normal.
Si tu veux, tu peux coucher avec moi.
C’est gentil, mais je suis fatigué.
3. Paula
Pas si normal en réalité. Et pour cause, Johan a une affaire avec une autre femme. Marianne s’en veut de n’avoir rien remarqué. Il veut partir.
Tu crois que je t’attendrai ?
Je m’en fous. Tu sais depuis combien de temps ça dure ? Devine. Pas mon histoire avec Paula, mais mon envie de te quitter.
Ne me le dis pas…
Ça fait 4 ans.
Arrête.
Tu as raison. Mieux vaut se taire.
Johan quitte le domicile conjugal. Lorsque Marianne appelle ses amis, elle comprend qu’elle était la dernière informée. Insultant.
Vous étiez au courant depuis le début ?!
4. La vallée des larmes
Johan retrouve Marianne qui l’informe de sa volonté de divorcer.
Il vaut mieux trancher.
Elle lui parle de comment elle vit la situation et lui n’écoute que d’une oreille. Il doit partir aux États-Unis. Elle a du mal à le quitter malgré tout. Le couple passe la nuit ensemble mais Johan se réveille en sursaut, pris de panique, et s’en va.
Je vais rentrer. Ça m’angoisse d’être ici. Pardon.
5. Les analphabètes
Johan et Marianne passent aux choses sérieuses. Les papiers sont prêts. Ne reste plus qu’à signer. Le couple va se séparer. Pour autant, il subsiste entre eux des restes de tendresse et même un fond de tiroir de désir. La frustration les rattrape. Chacun a besoin de cracher sa haine au visage de l’autre.
Je suis en train de me détacher de toi. Ça a été atrocement long et douloureux. Je suis libérée, je vais vivre pour ma propre vie. (…) J’ai trop fait attention à toi dans notre vie commune.
(…) Mon Dieu ce que je te déteste.
Johan finit par concéder, la queue basse, qu’il s’est séparé.
Je m’avoue vaincu. Tu es contente ? J’en ai marre de Paula. Je veux rentrer.
Marianne insiste. Elle veut conclure les débats.
Signons ces papiers au plus vite!
6. Au milieu de la nuit dans une maison obscure
Johan et Marianne se sont remariés mais sont désormais amants. Ils se retrouvent dans une maison de campagne. Tout est plus simple et ils prennent du plaisir à se revoir, sans pression. Malgré tout, leur passif fait qu’ils ont du mal à ne pas se disputer.
J’espère que tu n’es pas aussi bête que tu en as l’air!
Il n’y a plus d’enjeu. Alors la tempête passe. Ils peuvent se calmer et éteindre la lumière.
Je pense que nous nous aimons d’un amour humain et imparfait.
(…) Bonne nuit chéri, merci de cette conversation.

L’EXPLICATION
Scènes de la Vie conjugale, c’est l’institution du mariage qui est le vrai problème.
Les humains sont des électrons libres qui ont besoin d’une structure pour s’épanouir, à condition que ce cadre ne soit pas trop contraignant. Car il n’est rien que les humains aiment autant que de transgresser les règles. Quel plaisir de vivre dangereusement en prenant un bus sans en payer le ticket…
Personne ne se souvient de la personne qui a eu l’idée démoniaque d’ériger le mariage comme un aboutissement pour le couple. Pour cause : cette personne a imposé une contrainte à laquelle des milliards de couples ont souscrit bêtement, ou par obligation, et qui les a condamnés au malheur.
C’est ainsi que Johan et Marianne ont perdu leur identité propre (cf Together).
Nous sommes devenus ‘Johan et Maria’.
Le mariage les a littéralement anesthésiés, les obligeant à porter des pantoufles.
On s’était réfugiés dans une vie hermétique.
Les deux partis acceptent de vivre en présentiel, ce qui les conduit naturellement à se haïr (cf la Guerre des Rose). On a bien vu l’explosion des ruptures pendant le confinement. Après tout, n’importe qui a besoin d’un peu de télé-travail de temps en temps.
À force de vivre ensemble, le désir s’atténue.
Dans ce mariage ridicule, le couple souffre de ne plus se désirer et essaie de se consoler comme il le peut.
C’est moins passionné qu’avant. Mais il y a pire!
Il n’est pas surprenant que beaucoup de personnes craignent le mariage (cf 4 Mariages et 1 Enterrement, Courage fuyons). En plus, le mariage provoque une forme de concurrence assez vicieuse entre les couples qui s’épient les uns les autres en espérant que ce soit pire ailleurs. Katarina et Peter n’arrivent plus à faire semblant comme Johan et Marianne. Ils se montrent hostiles.
On a envie de crever votre beau ballon!
Le mariage fait de l’homme un fugitif. Johan n’est pas vraiment amoureux de Paula. Elle lui sert de prétexte pour s’affranchir de ces maudits liens sacrés.
Ce que je veux, c’est fuir tout ça!
Le mariage contraint la femme à jouer le rôle de la bonne épouse, alors qu’elle ne comprend pas pourquoi elle n’aurait pas le droit de s’amuser un peu elle aussi. Marianne n’en peut plus de devoir assumer toutes ces responsabilités seule.
Vous avez réussi à me culpabiliser toi et ta mère! Que d’exigences, de contraintes, de reproches! Merde enfin!!
Johan et Marianne ne sont plus heureux ensemble alors qu’ils s’aiment toujours. Donc on s’accroche désespérément. On se fait du mal volontairement. C’est là tout le drame du mariage. Quand on y réfléchit, un truc aussi tordu n’a pu être inventé que par des religieux. Marianne vit l’enfer. Il n’empêche qu’elle refuse l’hypothèse que Johan sorte de sa vie.
Je t’interdis de partir.
Il a fallu du temps pour que Johan se rende compte de l’évidence.
Le mariage est une convention idiote. On devrait avoir des contrats à renouveler ou résilier tous les ans.
C’est pourtant Marianne qui va avoir le courage de tourner la page. Paradoxalement, sa décision va libérer le couple même si l’étape du divorce se vit toujours dans la douleur (cf Marriage Story, Une Séparation).
Je crois que cette catastrophe est un bien pour nous deux.

Johan et Marianne continuent de se revoir malgré tout. Ils partagent deux enfants. Mais ils ne peuvent pas s’empêcher de faire l’amour à chaque fois. Ce qui indique qu’ils ont retrouvé cette complicité que le mariage avait usée. Certes, ils ne peuvent pas s’empêcher de s’engueuler non plus. Sauf qu’en dehors du mariage, ces prises de bec n’ont plus autant d’importance. Tout finit par rentrer dans l’ordre, sans pression.
Plutôt que de s’épuiser à vouloir réformer les retraites, pourquoi ne pourrait-on pas se rendre service en réformant le couple ?