ET DIEU CRÉA LA FEMME
Roger Vadim, 1956
LE COMMENTAIRE
S’habiller d’une certaine manière. Se tenir droite. Être sage et souriante. Depuis Eilleen Regina Edwards, c’est fini. Personne ne dira plus aux femmes qui elles doivent être. En tout cas pas, ailleurs qu’en Afghanistan ou en Iran.
LE PITCH
Vigilance orange sur le pourtour Méditerranéen entre Toulon et St Tropez.
LE RÉSUMÉ
Le riche entrepreneur Eric Carradine (Curd Jürgens) flirte avec Juliette Hardy (Brigitte Bardot) au mépris de leur différence d’âge (cf Lolita).
Avec cette bouche là, tu peux avoir ce que tu veux…
Ce qui agace profondément Mme Morin (Jane Marken), la tutrice de la jeune femme. En colère contre Juliette, elle lui fait la leçon et la menace même de la renvoyer à l’orphelinat, jusqu’à ses vingt et un ans.
L’honneur de cette maison n’est pas à vendre! (…) Tu préfères te montrer nue devant des hommes ? (…) Sais-tu ce qu’on raconte de toi ?
Carradine ambitionne de construire un casino à St Tropez. Pour cela, il a besoin d’un terrain appartenant aux frères Tardieu. Mais Antoine (Christian Marquand) n’est pas vendeur.
Antoine flirte également avec Juliette. Comme il l’explique à son petite frère Michel (Jean-Louis Trintignant) – avec beaucoup d’élégance.
Ce soir, je me l’envoie!
Et ben, tu perds pas ton temps à baratiner toi!
Oh tu sais… Ce genre de filles, tu fais ça un soir et puis après on n’y pense plus. (cf Une fille facile)
Juliette entend ses propos par hasard. Vexée, elle abandonne Antoine pour retrouver Carradine sur son yacht. Un peu plus tard dans la soirée, les deux amants se retrouveront pour se promettre de partir vivre ensemble à Toulon dès le lendemain (cf Two Lovers).
Mauvaise surprise, le bus pour Toulon passe devant Juliette sans s’arrêter – sur consigne d’un Antoine rancunier. Quand elle rentre chez les Morin, sa tutrice a pris sa décision : Juliette doit partir. Seul le mariage peut la sauver de la pension.
C’est Michel qui s’y colle. Son entourage le lui déconseille. Cependant, il est trop content de pouvoir se marier avec Juliette dont il était éperdu depuis longtemps.
Elle accepte bien qu’elle ne l’aime pas. Avec les jours, elle apprend à l’apprécier.
Néanmoins, il se fait très vite traiter de cocu (cf L’Enfer). Il va d’ailleurs l’être car Antoine revient à St Tropez pour affaires avec Carradine. Juliette en est toujours éprise. Tous les deux font l’amour sur la plage après qu’elle ait mis accidentellement le feu à son bateau. Ce qui devait arriver arriva.
Michel enrage. Antoine essaie de le raisonner, mais il n’y a rien à faire.
Laisse tomber cette putain de garce. Hier elle criait dans mes bras, demain ce sera un autre!
J’m’en fous! C’est ma femme! Elle est à moi! Je veux la reprendre!
Cela a le mérite d’être clair.
Il se rend armé dans un bar où Juliette, encore remuée par cette histoire, danse le mambo pour oublier ces tourments – avec des étrangers.
J’voudrais ne plus penser à rien.
Devant les mouvements chaloupés de sa femme, Michel perd son sang froid. Il essaie de lui tirer dessus. Carradine s’interpose et prend la balle. Antoine conduit alors de toute urgence son associé blessé à Nice.
Au bar, Michel donne une série de gifles à sa femme. Après cette violente dispute, il lui tend la main pour rentrer à la maison. Elle le suit.
L’EXPLICATION
Et Dieu créa la Femme, c’est tout ce qu’il a fallu déconstruire.
Si la période d’Après-Guerre en France est marquée par des souvenirs joyeux de Libération et de Trente Glorieuses, elle ne doit pas faire oublier le poids de l’influence patriarcale (cf OSS 117).
En effet, il fallait filer doux dans ce monde où les papas avaient encore les pleins pouvoirs. De véritables mâles alpha en charge de la reconstruction d’un pays en friches – et qui en profitaient au passage pour faire du bénéfice. Des bonhommes qui fumaient le cigare et conduisaient des voitures de sport.
Les combats de coqs étaient fréquents, à l’image de la rivalité entre Carradine et Antoine se disputant une part de terrain.
Oublie jamais que je suis le patron!
Bien chef…
Autres temps, autres moeurs. Pendant que les éléphants s’affrontaient, les femmes faisaient la cuisine, le ménage ou s’occupaient des enfants. Elles étaient des objets. Faisant leur devoir de femmes en quelques sortes (cf La bonne épouse). En râlant. Parce qu’une femme, cela râlait toujours évidemment.
Les jeunes femmes, par contre, faisaient tourner les têtes. Certaines étaient de beaux objets – de fantasmes masculines. Créatures du démon (cf Le Nom de la Rose). Carradine, sugar daddy assumé, était lucide à propos de Juliette.
J’aime mieux jouer les pères Noël que les pantins. Cette fille là est faite pour perdre les hommes.
La vision que ces hommes imposaient sur les jeunes femmes fait aujourd’hui froid dans le dos. Florilège :
Elle arrivera jamais à rien cette petite, elle n’aime pas l’argent.
Regarde la petite, elle a le cul qui chante.
Elle demande que ça!
Cette petite est un peu comme un jeune animal, il faut la dominer.
Elle aurait besoin de quelqu’un qui la comprenne, qui la dirige.
Les hommes avaient envie des jeunes femmes, autant qu’ils s’en méfiaient. Ils s’interrogeaient entre eux.
Que faut-il faire exactement pour avoir une femme ?
Cela dépend des femmes. Le plus souvent il faut des bijoux, des fourrures… Dans les cas extrêmes un hotel particulier.
Une femme vous intéresse passionnément. Elle vient chez vous un soir. Au lieu d’en profiter, vous la faites épouser par un autre. Vous appelez ça de la chance ?
Non. J’appelle ça du discernement!
Voilà.
Il y avait des manières de faire – qui n’étaient pas forcément les bonnes.
Avec les filles, il faut toujours faire comme si c’était gagné d’avance.
Antoine peut forcer Juliette à l’embrasser, en toute impunité. À l’époque, non voulait dire oui.
T’aimes ça on dirait…
Ce genre de réflexions a conduit à tant de dérives comportementales insupportables (cf Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste).
Antoine, comme les autres, aimaient que les femmes soient un peu putains sur les bords, mais toujours dans le respect de l’homme. Carradine se fendait de remarques à Juliette qui semblent totalement déplacées aujourd’hui.
Tu dépasses la mesure. Si j’étais ton mari ou ton père, je te ficherais un bonne correction!
De quel droit se permettait-il ?
Les hommes ne se remettaient d’ailleurs pas en question. Michel n’aurait pas osé se disputer avec son grand frère, bien que celui-ci ait couché avec sa femme. On avait le respect des aînés…
Le pire était que certaines femmes s’étaient rendues complices de ce jeu (cf Elle l’adore). À l’image de la déléguée de l’évêché (Jany Mourey) qui considérait Juliette comme une dévergondée, mal élevée mais aussi paresseuse.
Dans ces conditions, pas étonnant que Juliette était sous influence. Elle avait une drôle de façon de parler d’elle.
J’suis une croqueuse de diamants (cf Tout ce qui brille).
Pourtant, elle portait un regard différent sur le monde. Précurseur.
L’avenir, c’est ce qu’on a inventé de mieux pour gâcher le présent.
Elle souhaitait oeuvrer à quelque chose qui ne lui était pas permis, au sens où elle l’entendait.
Au lieu de dire des bêtises, tu ferais mieux de travailler!
Mais je travaille! Je travaille à être heureuse.
On ne lui permettait pas non plus d’avoir une opinion.
À quoi penses-tu?
Encore une question pour rien. On peut jamais répondre la vérité!
Juliette avait juste envie de profiter de la vie. Les femmes n’avaient cependant pas la possibilité de s’amuser sans culpabilité. Juliette croit qu’elle a le diable au corps.
Si je commence, je pourrai plus m’arrêter.
Comme si elle était atteinte d’une maladie incurable. Consciente que ses désirs sont mal vus, surtout venant d’une femme désormais mariée. Convaincue d’être une sorcière (cf The Witch).
Y’a quelque chose de trop fort en moi qui me pousse à faire des bêtises.
De quoi as tu peur?
De moi.
Alors elle se mettait au diapason. Bien obéissante avec Antoine.
Je ferai tout ce que tu voudras.
Soumise au point d’être blessée par les propos de l’homme, mais quand même de rester dépendante de l’homme malgré tout.
Antoine, me laisse pas!
De toute façon, elle ne pouvait être libre qu’à travers le mariage. Donc elle dépendait du bon vouloir de celui qui accepterait de se marier avec elle.
Il faudrait qu’un homme se prive de sa liberté pour conserver la sienne.
Libre, tout est relatif…
Juliette montrait néanmoins les prémices d’une révolte. Le besoin de s’affranchir de cette culture patriarcale étouffante (cf Les figures de l’ombre). Préfigurant la femme libre (cf Elle, Zero Dark Thirty, Nikita).
Elle a le courage de faire ce qui lui plait, quand ça lui plait.
Le problème vient que dans les années cinquante, cette femme était encore muselée. Antoine lui mettait des claques pour la réfréner. Lui faire comprendre pour emprunter un lexique misogyne.
Tout en lui tendant la main après coup, parce que cela fonctionnait ainsi. Souffler le chaud et le froid. Remettre les idées en place. Après s’être prise un aller-retour, la femme était contrainte de sourire à son bourreau.
Bourreau qui voulait quand même commettre un crime passionnel – c’est à dire un féminicide (cf La Nuit du 12).
Quand ce schéma de pensée est aussi profondément installé et que cette narration est même célébrée ; il faut du travail pour que les mentalités évoluent.
Alors Dieu créa la femme ?
N’importe quoi.
La femme se fait toute seule.
En plus, Dieu n’existe pas.