ATTRAPE MOI SI TU PEUX
Steven Spielberg, 2002
LE COMMENTAIRE
Naguère le pilote de ligne était ce qu’on voulait devenir quand on était un petit garçon. C’était l’assurance de débarquer fièrement dans les aéroports avec à son bras une brochette d’hôtesses toutes plus sexy les unes que les autres. Attention, sous ses airs de macho, le pilote est avant tout un professionnel consciencieux qui a suivi la filière scientifique. Il ne gagne pas autant d’argent qu’on le pense. Quand les garçons d’aujourd’hui découvrent la vérité, ils changent d’avis et veulent devenir footballeur professionnel aussi sec. Ou alors ils se mettent à picoler (cf Flight).
LE PITCH
Il court, il court, le furet.
LE RÉSUMÉ
Frank Abagnale (Leonardo DiCaprio) vit à New Rochelle avec ses parents. Il aime déjà se faire passer pour un autre.
Your son held a teacher-parent conference yesterday and was planning a class field trip to a French bread factory in Trenton.
Frank est le témoin des échecs successifs de son père (Christopher Walken), un charmeur / looser poursuivi par le fisc. Il est ensuite profondément marqué par le divorce de ses parents qui le pousse à quitter la maison. Lorsqu’il découvre qu’il peut signer de faux chèques et les encaisser immédiatement, ses petites arnaques lui permettent de payer le loyer. Il ne va pas s’arrêter là. Frank se fait passer pour un pilote de Panam. Son escroquerie s’élève à 2.8 millions de dollars.
Carl Hanratty (Tom Hanks), un agent du FBI au service des fraudes, commence à enquêter sur le jeune faussaire. Frank lui échappe une première fois, sous son nez.
Traqué par la police, Frank devient successivement docteur puis avocat. Il fait la rencontre de Brenda (Amy Adams) avec laquelle il se marie. Carl s’invite à la cérémonie pour l’arrêter. Frank s’enfuit à nouveau.
Carl le retrouve des années plus tard en France d’où sa mère (Nathalie Baye) est originaire. Il l’arrête dans la commune de Montrichard. Dans l’avion qui le ramène vers les États-Unis, Carl révèle à Frank que son père est mort. Frank trouve le moyen de s’échapper de l’avion lors de l’atterrissage et se rend chez sa mère avant de se rendre finalement à la police.
Frank est condamné à une peine de douze ans de prison. Carl réalise néanmoins que les talents du faussaire pourraient bien servir au FBI. Pas très excité par la vie de patachon que le gouvernement lui propose, Frank menace de repartir en cavale (cf Démineurs). Carl le retrouve à l’aéroport. Il n’essaie pas de l’arrêter cette fois-ci.
I’m going to let you fly tonight, Frank. I’m not even going to try to stop you. That’s because I know you’ll be back on Monday.
Yeah? How do you know I’ll come back?
Frank, look. Nobody’s chasing you.
Le lundi suivant, Frank est de retour au travail.
Marié et père de trois enfants, Frank a aidé à l’arrestation de nombreux faux-monnayeur et a fait fortune en créant des moyens de paiement infalsifiables.
L’EXPLICATION
Attrape Moi Si Tu Peux, c’est finir par distinguer le vrai du faux.
Frank a un talent unique. Il bluffe. S’il arrive à se faire passer pour un pilote de ligne ou un docteur, c’est parce qu’il profite du fait que personne ne vérifie quoi que ce soit. Personne ne regarde suffisamment près pour ne pas se faire tromper (cf Le Prestige). Ainsi, certains profitent de la crédulité des autres pour jouer à cache-cache. Frank s’engouffre dans des brèches de sécurité béantes et s’appuie sur le fait qu’on ne juge que sur la base de ce qui est dit – sans jamais vraiment vérifier.
People only know what you tell them.
Carl est différent. Il veut savoir.
How did you do it, Frank? How did you cheat on the bar exam in Louisiana?
I didn’t cheat, I studied for two weeks and I passed.
Is that the truth, Frank, is that the truth?
Pour Carl, la vérité compte. Même s’il aura du mal à savoir, surtout pas à l’époque des fake news qui créent la confusion : l’influence de la Russie sur les élections, le réchauffement climatique, etc.
De fait, nous vivons dans un mensonge permanent. Plus qu’un mode de vie, mentir devient une addiction. Quand Frank réalise qu’il peut frauder, il est grisé. Un petit mensonge en appelle un autre, puis un autre, jusqu’à ce qu’il se retrouve co-pilote alors qu’il n’y connaît absolument rien. Et encore une fois, il peut passer au travers des mailles du filet pour peu qu’il soit bon comédien ou équilibriste. Il est aspiré, comme pris au piège.
Le mensonge revient aussi à céder à la facilité (cf Cinq pièces faciles). Lors d’une conversation avec Carl, Frank admet qu’il est complètement déconnecté de la réalité. Il n’écoute que ce qu’il veut écouter. Vivant dans sa propre représentation, par confort.
Sometimes, it’s easier living the lie.
Le mensonge est ce qui le fait courir. Il croit à tort que le mensonge lui permet d’avancer.
Two little mice fell in a bucket of cream. The first mouse quickly gave up and drowned, the second mouse, wouldn’t quit. He struggled so hard that eventually he churned that cream into butter and crawled out.
En vrai, le mensonge le fait fuir (cf L’Adversaire). Il stagne (cf à l’origine). Une fuite vers nulle part. Comme lorsqu’il s’échappe de la maison après la séparation de ses parents. Il essaie désespérément de courir après quelque chose qui lui échappe. Le mensonge l’empêche donc de vivre.
Dear Dad, you always told me that an honest man has nothing to fear, so I’m trying my best not to be afraid.
Frank est un enfant à l’inverse de Carl qui est un adulte, c’est à dire ennuyeux, à l’image de la réalité. Lorsqu’on cesse de vouloir échapper à cette réalité oppressante, on se libère. Frank arrive à maturité à l’aéroport, l’endroit d’où on décolle. Alors qu’il est prêt à récidiver, il réalise que personne ne le pourchasse. Courir n’a donc plus aucun intérêt. Il peut retourner bosser, sereinement, sans craindre le lendemain. Metro, boulot, dodo. Seulement de cette manière peut-il faire grandir son talent. Il assume enfin, tout comme Carl:
Well, would you like to hear me tell a joke?
Yeah. Yeah, we’d love to hear a joke from you.
Knock knock.
Who’s there?
Go fuck yourselves!
Frank ne passe pas du côté des méchants en travaillant avec le FBI. Il vit tout simplement sa vie. Et la vie n’est pas toujours ce qu’on a envie de faire. Ce n’est pas toujours drôle. La preuve, il est marié avec trois enfants. Malgré tout, c’était cela ou croupir à la maison d’arrêt de Perpignan. Et quand on connaît la situation carcérale française, on se dit qu’il n’a pas forcément pris la mauvaise décision.
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