AU POSTE!
Quentin Dupieux, 2018
LE COMMENTAIRE
Certains aiment jouer les lieutenants Colombo : conduire la vieille Peugeot, porter l’imperméable, faire semblant de quitter la pièce pour mieux revenir en parlant de sa femme. Quand on joue au policier, on passe son existence à chercher des solutions à des énigmes souvent inextricables (cf Zodiac). Prétendre savoir qui est le coupable pour mieux déstabiliser le suspect. Laisser les autres se tromper. En vérité, on n’a pas le moindre indice. On fait semblant, le plus clair de notre temps le cul sur notre chaise, fasciné par le vide abyssal de nos enquêtes dépourvues de sens (cf Prisoners).
LE PITCH
Le chien policier tient son os et ne risque pas de le lâcher.
LE RÉSUMÉ
Un chef d’orchestre (cf Whiplash) en slip conduit calmement son orchestre de bon matin avant de se faire pourchasser par les forces de l’ordre. Il est conduit au poste de police.
S’y trouve le commissaire Buron (Benoit Poelvoorde), dans un grand bureau aux allures de Parti Communiste Français, qui essaie désespérément de fixer un rendez-vous avec son interlocuteur au téléphone. Le suspect s’appelle Fugain (Grégoire Ludig). Il est interrogé dans le cadre d’une sale affaire. Fugain a l’air sûr de lui. Buron n’est pas dupe.
Votre histoire, elle tient pas debout.
Devant s’absenter une vingtaine de minutes pour retrouver son fils (Orelsan), Buron demande à son collègue Philippe (Marc Fraize) de garder un oeil sur le prévenu. Cela tombe bien, Philippe est plus borgne qu’il n’est dégourdi.
Pendant que Buron s’enfile un petit hot-dog et que son fils lui raconte qu’il a préféré abandonner ses envies de suicide pour regarder la télé, Fugain est sous la surveillance de Philippe. Le policier est vigilant. Il subtilise une équerre métallique sur le bureau de peur que Fugain ne s’en serve comme d’une arme. Malheureusement pour Philippe, c’est suite à une erreur d’inattention qu’il trébuche et se plante l’équerre dans le dernier oeil qui lui reste.
Décidément pas verni, Fugain dissimule le corps de la victime dans un casier et prétend que Philippe est rentré chez lui après une indigestion. Sa femme (Anaïs Demoustier) craint qu’il ne s’agisse des sushis.
Buron se remet au travail et questionne son suspect qui surveille le casier d’un coin de l’oeil. Fugain se lance dans une tentative d’explication en détaillant les sept aller et retours qu’il a fait la nuit du meurtre avant de découvrir le cadavre, peut-être afin d’endormir Buron.
C’est d’un commun votre histoire…
L’histoire semble se tenir. Buron reste cependant perplexe.
Vous ne m’avez toujours pas convaincu.
C’est alors que Champonin (Philipe Duquesne) rentre dans la pièce avec le rapport du légiste. La victime est morte d’une hémorragie digestive! Ses organes ont explosé. Fugain, soulagé, n’y serait donc pour rien. Le mur tombe. Les rideaux s’ouvrent. La foule applaudit. Les acteurs quittent la brigade pour aller fêter leur performance au restaurant.
Fugain un peu confus observe les acteurs se congratuler. Ayant l’impression d’avoir été l’invité surprise d’une caméra cachée, il remercie tout le monde et s’apprête à rentrer chez lui quand Buron lui passe à nouveau les menottes. Sa nuit se passera en cellule. Ce serait trop facile. L’interrogatoire reprendra demain matin.
L’EXPLICATION
Au Poste!, ce n’est que du théâtre.
Les bonnes pièces de théâtre sont celles qui sont profondément tordues, avec une intrigue pleine de trous (cf Memento) et des personnages déroutants. On ne sait pas pourquoi Fugain est au poste. Son histoire n’est pas forcément complexe. Elle est simplement étrange.
Il faut suivre hein!
Les bonnes pièces de théâtre donnent l’impression d’être aussi pénibles qu’interminables. Ce sont celles qui nous donnent l’impression qu’il faudrait qu’on s’accroche mais pour lesquelles on n’a pas envie de faire plus d’efforts que nécessaire. Buron n’a pas plus envie d’être là que nous. En même temps, qu’il soit au bureau ou chez lui à écouter sa radio, car il n’a pas plus de vie que nous, cela ne changerait pas grand chose. Les acteurs ne sont pas trop drôles. On ne surjoue pas plus que nécessaire. C’est pas du théâtre de boulevard.
Sans humour s’il vous plait, comme ça on gagnera du temps.
Les acteurs se relaient avec des dialogues plus ou moins inspirés. On fait du sur place entre gens polis. Et puis on ne sait plus vraiment ce qu’on fait là.
À la fin, ça ne veut plus rien dire!
La chute délicieusement absurde est accueillie comme une petite libération. Une pirouette pas très risquée permet aux spectateurs d’avoir l’impression de ne pas avoir totalement perdu leur temps. On ne sait pas exactement pourquoi tout cela. Cela divertit la bouche, comme un pastis un peu tiède (cf Nocturnal Animals).
La foule semble satisfaite. Peut-être applaudit-elle d’être relâchée après plus d’une heure d’ébats un peu mous ?
Dans une bonne pièce de théâtre, il existe une clé de voute. En l’occurrence, Fugain est absolument nécessaire. Il est le personnage instrumental dans lequel le public peut s’identifier, en tant que souffre-douleur des méchants policiers.
À mesure que je vous observe, je me dis que vous êtes un imbécile.
Fugain est plutôt sympathique. Son attitude est positive, encore étonné de se retrouver là. Il n’a rien à se reprocher. Sa moustache est branchée. Il garde une petite part de mystère car s’il se comporte comme s’il était innocent, alors pourquoi maquille-t-il la scène du meurtre de Philippe ? Et pourquoi a-t-il le chic pour se retrouver toujours dans des histoires louches ?
Fugain est le maestro malgré lui. Sans lui, les artistes que sont Buron, Philippe ou encore Champonin ne servent strictement à rien. Alors le chef d’orchestre, on le sort de son lit, en slip, tôt le matin parce qu’on en a besoin. Et on lui court après pour ne surtout pas le laisser s’enfuir. Il est la pépite qui fait jouer les autres.
La nuit va être longue.
Fugain ne peut pas s’échapper. La pièce ne s’arrête pas. Les acteurs peuvent bien savourer des applaudissements mérités. Ils discutent technique en coulisses, entre professionnels. Prêts à rentrer chez eux avec le sentiment du devoir accompli, chauds pour demain. L’interrogatoire ne finit jamais. On remet cela, sous les applaudissements toujours.
La comédie continue (cf The Treasures from the Wreck of the Unbelievable) jusqu’à ce qu’on s’en lasse.