LE SILENCE DE LA MER

LE SILENCE DE LA MER

Jean-Pierre Melville, 1949

LE COMMENTAIRE

Le cinéma a contribué au mythe du délit de faciès en nous formant à reconnaître les méchants à leur visage. On repère vite les ennemis de notre liberté à leur air louche et menaçant. Ainsi, les paroles d’un poète au visage anguleux auraient toutes les chances d’être mal interprétées sous prétexte qu’il porte le mauvais uniforme.

LE PITCH

En pleine occupation, un officier de la Wehrmacht loge chez l’habitant.

LE RÉSUMÉ

Dans un village de la zone libre, un sexagénaire (Jean-Marie Robain) continue de vivre en compagnie de sa nièce (Nicole Stéphane). Tous les deux voient les soldats Allemands aller et venir jusqu’au jour où Werner von Ebrennac (Howard Vernon) débarque chez eux.

Les Français n’échangent pas avec leur invité, mais le tolèrent.

Dieu merci, il a l’air convenable.

Il faut dire que von Ebrennac est compositeur de musique dans le civil et qu’il a une profonde admiration pour la culture hexagonale. Il s’exprime dans un Français impeccable – et lorgne sur la nièce.

Chaque soir, il essaie d’engager la conversation avec ses hôtes avec beaucoup de politesse. Il discourt sur ses rêves de rapprochement entre ce qu’il estime être deux grandes nations.

Je ne regrette pas cette guerre, je crois que de ceci il sortira de grandes choses.

Avant de conclure invariablement ses monologues par la même formule.

Je vous souhaite une bonne nuit.

De passage à Paris, l’officier retrouve des amis qui lui confirment l’intention univoque du Führer : La France doit être purement et simplement écrasée.

Nous allons retirer le venin de la bête!

De retour en province, von Ebrennac rétablit une distance nécessaire entre lui et ses hôtes, bien qu’il éprouve toujours une attirance pour la jeune femme.

Tout ce que j’ai dit ces six mois, tout ce que les murs de cette pièce ont entendu, il faut l’oublier.

Estimant qu’il ne peut plus rester en France où il ne peut être considéré différemment que comme un ennemi, il s’engage sur le front de l’est. Le jour du départ, il découvre une coupure de presse citant les mots d’Anatole France :

Il est beau qu’un soldat désobéisse à des ordres criminels.

C’est avec dépit qu’il quitte les lieux

L’EXPLICATION

Le Silence de la Mer, c’est l’impuissance d’un individu face aux événements.

Les rencontres ne se font jamais totalement de manière fortuite. Par d’autres temps, il est même fort probable que von Ebrennac ait pu croiser la route de l’oncle et sa nièce en tant que touriste, son amour pour la France étant tellement profond.

Cependant, la guerre va complètement bouleverser la situation puisque c’est de force que les Français doivent accueillir l’officier. Le contexte change tout.

Les rapports en sont logiquement influencés, même si Von Ebrennac refuse de se comporter en terrain conquis. Dans cette nouvelle maison, il reste aussi discret que possible. Respectueux. Pas un mot au dessus de l’autre. Assez loin de l’image qu’on se fait de l’Allemand autoritaire ou tortionnaire. Von Ebrennac s’exprime au contraire avec beaucoup d’élégance et de courtoisie.

Mon ordonnance fera tout pour votre tranquillité.

Chaque jour, il multiplie les tentatives pour établir un rapport avec les Français.

J’éprouve une grande estime pour les personnes qui aiment leur patrie.

Molière, Racine, Hugo, Voltaire, Rabelais. Il cite les grands auteurs. L’oncle fume sa pipe, restant de marbre.

En l’occurrence, l’homme ne veut pas rendre la tâche trop facile aux Allemands ou donner l’impression de collaborer avec l’ennemi (cf Uranus). Pour autant, il ne veut pas leur rendre la vie impossible non plus. N’est pas résistant qui veut (cf L’Armée des Ombres),

Je ne puis sans souffrir offenser un homme, fut-il mon ennemi.

Tant bien que mal, l’oncle et sa nièce essaient de conserver un semblant de neutralité envers cet homme qui va pourtant aller jusqu’à faire tomber sa veste militaire pour établir le contact (cf Danse avec les Loups).

Les Français tiennent bon et font de leur mieux pour ignorer l’intrus.

Comme si l’officier n’existait pas, comme s’il eut été un fantôme.

Rien n’y fait donc, car l’officier demeure malgré lui le symbole de l’occupation nazie. Peu importe sa passion pour notre pays, nous restons méfiants à son égard. Il n’a aucune chance de nouer des liens avec les locaux. Les événements le rendent indésirable malgré toutes ses belles déclarations d’amour.

Maintenant j’ai besoin de la France, mais je demande beaucoup : je demande qu’elle m’accueille.

La nièce ne le regarde pas.

Au XXIe siècle, la France est devenu le pays qu’on aime ou que l’on quitte. Cinquante ans auparavant, on ne donnait pas l’opportunité à n’importe qui de l’aimer. Car le poids du contexte pèse sur nos épaules. Ce von Ebrennac ne peut pas être perçu comme un homme – alors qu’il n’a rien de belliqueux.

Nous ne nous battrons plus.

On ne lui permet pas.

Il comprend assez vite l’ampleur de la tâche. L’officier a une ligne Maginot à franchir pour sortir ses hôtes de leur mutisme.

Il faudra vaincre le silence de la France.

Preuve que nous ne sommes finalement guère plus que les produits de notre environnement (cf L’étau de Munich), sans capacité à pouvoir le changer (cf Retour vers le Futur).

Dans cette maison sans vie, von Erbennac est seul face à un mur. Il s’obstine, croyant dur comme fer qu’à son humble niveau, il pourra oeuvrer au rapprochement entre les peuples. Sans doute aura-t-il contribué à ce que ces Français cicatrisent plus vite du traumatisme de la guerre.

Il n’empêche que von Erbennac finit par perdre sa bataille, rendant les armes après avoir été confronté à la barbarie à venir.

Ils feront ce qu’ils disent, avec méthode et persévérance. (…) Il n’y a pas d’espoir.

À lui seul, il n’est pas de taille pour infléchir le cours de l’Histoire (cf Biutiful). Encerclé par d’autres officiers tenant des propos hostiles à l’égard de la France. Se retrouvant en minorité, von Erbennac n’a pas d’autre choix que de se résigner.

Je crus qu’il allait nous encourager à la révolte mais pas un mot ne franchit ses lèvres.

Quitter le Dauphiné pour mourir de froid à Stalingrad, comme beaucoup d’autres mis dans le même sac. Vaincu par le sort, non sans échanger un dernier regard avec l’oncle avant de disparaître.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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