THE SQUARE
Ruben Östlund, 2017
LE COMMENTAIRE
Certain·es ressortent des galerie d’art aussi vite qu’ils y rentrent, sans rien comprendre et avec l’impression d’avoir perdu leur temps. D’autres au contraire peuvent y passer des heures, en admiration. Bouche bée. N’est-ce d’ailleurs pas le rôle de l’art de nous bousculer ? Sortir de notre zone de confort. Qu’il est bon de se faire surprendre de temps en temps.
LE PITCH
Déboires d’un conservateur de musée d’art contemporain suédois.
LE RÉSUMÉ
Christian (Claes Bang) est le conservateur du musée X-Royal, en plein coeur de Stockholm. On se presse pour l’interroger sur l’exposition Gijoni (Dominic West), dont Anne (Elisabeth Moss) une journaliste américaine qui peine à décrypter l’oeuvre. Christian lui répond par une question.
Je n’ai pas bien saisi, je comptais sur votre aide.
(…) Si on place un objet dans un musée, cet objet devient-il de fait une oeuvre d’art ?
Un matin, Christian et un autre passant sont témoins d’une dispute de couple en pleine rue. Quelques minutes plus tard, il réalise qu’il s’est fait voler son portefeuille ainsi que son smartphone. Grâce à un traceur, il localise le quartier de la banlieue de Stockholm où vit la personne qui l’a volé. Avec son assistant Michael (Christopher Læssø), Christian dispose un courrier de menaces dans chaque boite aux lettres de l’immeuble.
La technique fonctionne. Le lendemain, Christian a l’heureuse surprise de récupérer ses biens.
Un petit garçon (Elijandro Edouard) retrouve Michael pour se plaindre. À cause du courrier, ses parents l’ont sévèrement puni. Il exige des excuses – à juste titre.
J’ai pas le droit d’être en colère ?!
Michael l’ignore.
La nuit du vernissage de l’exposition Gijoni, Christian couche avec Anne. Un coup d’un soir qui n’était pas vraiment ce que cherchait Anne. La journaliste confronte le conservateur.
Je te demande si tu fais ça souvent ?!
Lors de la conférence présentant Julian Gijoni, un homme souffrant du syndrome de la Tourette crée la gêne parmi les invités.
Essayez d’être un peu tolérant, il souffre d’un syndrome neuropsychiatrique. Il ne contrôle pas ce qu’il dit. Un peu de tolérance.
Vous êtes le bienvenu, aucune raison de s’interrompre.
Pas aussi gênant que le gala organisé pour récolter des fonds. La performance live de l’artiste (Terry Notary) dérape et traumatise littéralement les convives.
Le petit garçon retrouve Christian chez lui, et l’invective.
Excusez vous et je m’en vais!
Christian ne veut rien savoir. Il le chasse. Le garçon tombe à la renverse dans les escaliers. Suite à cet épisode, Christian entend l’enfant implorer à l’aide en boucle alors qu’il n’y a pourtant plus personne dans les escaliers. Il retrouve le numéro du garçon pour lui envoyer une vidéo d’excuses un peu tordues.
Ces problèmes ne peuvent être résolus par les seuls individus. La société doit jouer son rôle. Ça ne suffira pas que moi, ici, je comprenne mon erreur.
Sans réponse.
Christian n’est pas au bout de ses peines car la vidéo de promotion de sa future exposition The Square fait un bad buzz monumental, lui coutant son poste. Le désormais ex-conservateur est contraint de s’expliquer devant la presse.
Nous ne voulons pas donner cette image de nous-mêmes. (…) Il faut réfléchir, ne pas dire n’importe quoi.
Il sera surpris quelques jours plus tard de lire que cette affaire, relayée dans les journaux, a donné par la même occasion une visibilité inespérée à l’exposition – ce que lui avait promis l’agence de communication.
Lors d’un spectacle de danse acrobatique auquel participe ses filles, Christian est marqué par les mots de leur entraîneur.
Se sentir coupable, ça n’aide personne.
Alors il prend son courage à deux mains et se rend dans l’immeuble où vit le petit garçon pour lui faire des excuses formelles. Ses deux filles l’accompagnent. Malheureusement, la famille a déménagé.
Christian aura néanmoins essayé. Ses filles l’observent au volant (cf Locke).
L’EXPLICATION
The Square, c’est vivre sa vie comme une oeuvre d’art.
Si les philosophes ont le talent de donner du sens au présent, les artistes permettent de voir le monde comme personne ne le voit encore. Leurs propositions créatives méritent qu’on leur consacre un peu de notre attention.
Si l’on ne prend pas le temps de se pencher sur The Square, alors il ne s’agit effectivement que d’un vulgaire carré.
On pourrait cependant l’envisager autrement, comme le suggère l’artiste :
(…) Un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. En son sein, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs.
Alors le carré ouvre une réflexion sur ce que sont devenus les rapports humains et notre position dans le monde, comme l’explique Christian.
Aujourd’hui, on a tendance à voir les autres adultes comme des dangers potentiels…
Le rôle de Christian en tant que conservateur de musée est justement d’initier à l’art pour qu’il ne reste pas hermétique. Le faire sortir du cadre du musée, afin que chacun·e puisse peut-être considérer son quotidien comme une oeuvre. – pour faire plaisir à Nietzsche. Henri Lefebvre : L’art de vivre suppose que l’être humain considère sa propre vie, l’épanouissement, l’intensification de sa vie, non comme un moyen pour une autre fin mais comme sa propre fin. Il suppose que la vie toute entière, la vie quotidienne, devienne une oeuvre d’art et joie que l’homme se donne à lui-même.
Si l’on regarde le quotidien pour ce qu’il est, alors tout paraît fade : Une succession de trajets ou de réunions. Quelques mesquineries entre collègues. Des fêtes mémorables qui laissent des souvenirs flous. Le coeur qui bat. Un levé ou un couché de soleil carte postale. Des étés toujours plus chauds. Le reste de l’année trop pluvieux. Le souffle court. Tout au plus.
Les jours passent. Se suivent et se ressemblent…
Et à la fin, on n’a strictement rien compris.
Tandis que si l’on regarde le quotidien au cas par cas avec un souci philosophique grâce à l’art, il peut soudainement prendre une toute autre dimension.
Chaque scène de vie peut peut être mieux appréciée. Que nous dit cette personne souffrant du syndrome de la Tourette qui perturbe le bon déroulement de la conférence ?
Que penser de l’épisode où le personnel d’entretien balaie la production de Gijoni, et surtout de la réaction du conservateur qui compte reconstituer l’oeuvre ni vu ni connu ? (cf Made you look)
Un type de l’entretien a réussi l’exploit de balayer une partie de l’exposition Gijoni…
(…) On a bien des photos ? Avec les photos et le gravier, on va régler tout ça. Surtout ne dis rien à personne.
Sans parler de la performance choquante d’Oleg, qui finit par se faire lyncher. Elle révèle bien des choses sur la manière hautaine dont l’audience peut aborder la culture, le manque courage de l’homme – ou encore la barbarie dont un groupe peut faire preuve (cf Cannibal Holocaust).
Tuez-le!!
Le comportement de Christian face à tous ces événements interpelle, questionnant la notion de responsabilité. L’insistance du petit garçon déclenche une émotion en lui. La manière dont il cherche à se soustraire à Anne, ou dont il fait face au mur de journalistes lors de sa démission.
C’est quand même inquiétant de vous voir vous auto-censurer. (…) Pour moi ce que vous mettez en oeuvre est très préoccupant pour la société. (…) Atteignez vous les limites de la liberté d’expression à laquelle vous avez droit ? S’agit-il de votre plafond de verre? Personnellement pensez-vous en avoir franchi les limites?
Les moments d’incompréhension dans notre quotidien sont autant d’occasions de nous réjouir car ils nous interpellent. Plutôt que les écarter d’un revers de la main, nous devrons y prêter davantage d’attention. S’inspirer de cette réaction que l’art suscite en nous pour ne pas être insensible et sortir de notre apathie.
Une autre façon de vivre.
L’art nous sauve du monde tel qu’il est, comme le pensait Camus.