PREDESTINATION
Peter Spierig, Michael Spierig, 2014
LE COMMENTAIRE
On pense le temps comme une sorte de flèche qui n’irait que dans un sens capricieux, de la gauche vers la droite. Alors qu’on pourrait le penser de nouveau de façon cyclique, avec des événements qui se reproduiraient à nouveau en boucle. Ou mieux, on pourrait comparer le temps à une sorte de roulette.
LE PITCH
Un voyageur du temps se court après sans le savoir.
LE RÉSUMÉ
Un mystérieux agent tente de désamorcer une bombe qui lui explose à la figure. Après quoi il voyage dans le temps jusqu’en 1992. Le chirurgien permet de lui reconstituer le visage. Lors du voyage suivant, l’agent (Ethan Hawke) part à New York en 1970.
Sa mission est de jouer les barmen et de connecter avec un certain John (Sarah Snook).
John est né Jane (Sarah Snook). Orpheline jamais adoptée et petite fille bagarreuse, Jane passe des tests pour s’inscrire à un programme spatial. Elle échoue mais le patron du programme, Robertson (Noah Taylor), lui propose de devenir agente pour son agence. Une agence particulière puisque ses membres voyagent dans le temps pour prévenir des crimes (cf Minority Report).
I work for an organization whose primary purpose is not space travel. It’s… reshaping wrong doing.
Jane ne peut pas s’enrôler car elle est enceinte d’un homme qui l’a quittée depuis.
Après l’accouchement, le chirurgien découvre que Jane est intersexe. Il est contraint de procéder à hystérectomie. C’est ainsi que Jane est devenue John. Il en a gros sur la patate.
Every time I looked at myself I was reminded of that bastard who ruined my life.
L’agent lui propose de le retrouver dans le temps pour le tuer. En échange, John devra lui rendre un service. Par exemple, empêcher le Plastiqueur Pétillant de réaliser un attentat qui va tuer 10,000 personnes. John flaire l’embrouille mais l’agent se veut rassurant.
Do I have a choice?
You always have a choice.
Sometimes don’t you think that things are just inevitable?
L’agent voyage en 1970 avec John, qu’il met en relation avec Jane. Quand il croit retrouver son ex, John découvre qu’il s’agit de lui-même. Il ne va pas se tirer une balle dans la tête. Alors il tombe amoureux de Jane, puis la quitte quelques temps plus tard.
Jane accouche d’une petite fille qu’elle appelle Jane – comme si ce n’était pas assez compliqué.
L’agent passe à la maternité pour kidnapper l’enfant et la déposer dans un orphelinat.
En parallèle, John commence à travailler pour l’agence de Robertson. Sa première mission est de désamorcer une bombe… qui lui explose au visage.
Jane, John, leur fille et l’agent sont donc la même personne.
Un beau cas d’école en matière de paradoxe temporel (cf Retour vers le Futur, l’Armée des douze Singes).
La dernière mission de l’agent est de neutraliser le Plastiqueur Pétillant. Quand il le retrouve enfin, il découvre avec effroi qu’il s’agit de… lui-même (Ethan Hawke)! Il se justifie en expliquant que les victimes de ses attentats épargnent mathématiquement des vies.
Si l’agent ne tue pas le Plastiqueur Pétillant, il disparait. S’il le tue, il devient lui-même – au sens de Pindare.
If you shoot me, you’ll become me. You get it? That’s how it happens. If you want to break the chain, you have to not kill me, but try to love me again.
L’agent n’a donc pas d’autre choix que de vider son chargeur.
The only thing I know for sure is that you’re the best thing that happened to me.
L’EXPLICATION
Predestination, c’est se réconcilier avec soi-même.
Jean-Paul Sartre a posé une bombe quand il a affirmé que l’existence précède l’essence. Une façon de dire chacun·e peut décider de qui il veut être. Si un homme souhaite jouer les garçons de café, il est libre de le faire. Nous sommes ce que nous faisons de ce que les autres ont fait de nous.
Une doctrine à laquelle souscrit complètement l’agent qui est convaincu que nous ne sommes pas de simples figurant·es de notre propre histoire. Nous sommes des acteurs et des actrices. Si l’histoire s’écrit à plusieurs main, nous avons le final cut.
How do you see your role in this journey? (…) Do you see yourself as a tourist or as a participant?
Ainsi, l’agent est un obsédé du fameux sens de la vie (cf Monty Python). Persuadé qu’il n’est pas comme les autres.
I was different.
Il aimerait voir les choses comme un enchaînement de missions qui doivent le conduire à une sorte de révélation. Au bout du chemin, il va trouver la réponse.
Our first mission is just as important as our last. Each one getting us closer to our final destination. (…) The path you’re on will take you to your destination.
L’agent suit le précepte sartrien en remontant le temps pour changer le passé et impacter le futur. Il voit bien que les déterminismes existent. Cependant, ses actions font qu’il n’a pas à être une victime passive du déterminisme. Chacun·e a une influence sur la vie des autres, et aussi sur la sienne : on peut changer le destin d’une enfant, ou prévenir la mort de plusieurs milliers de victimes. L’effet papillon.
Puis après Sartre est arrivé Léo Ferré, qui a chanté le temps : avec le temps va, tout s’en va.
Time catches up with us all.
Avec le temps, l’agent va découvrir une pesante réalité qu’il croyait pouvoir fuir à travers les couloirs du temps.
Truth is stranger than fiction.
La réalité est que toutes ces vies n’en font qu’une. Il n’y a rien à faire. Tous ces personnages qui se croyaient singuliers finalement se regroupent en un seul et même individu. John et Jane s’unissent pour se donner naissance. L’agent se suicide pour vivre.
Le sens qu’il croyait avoir donné à sa vie lui a été confié par Robertson depuis le début. L’agent ne fait qu’exécuter. Il vit son destin, rien de plus.
We were born into this job.
Tout Sartre s’écroule à cause d’un serpent qui se mord la queue.
Il ne lui reste plus à l’agent qu’à faire la paix avec l’idée qu’il est prédestiné, prisonnier comme un rat de laboratoire.
I guess at some point, you have to let it go.
Il est temps d’arrêter de se prendre la tête, et se mettre à Nietzsche.