ROLLERBALL
Norman Jewison, 1975
LE COMMENTAIRE
Gauche, droite, gauche, droite… Un peu de liberté de mouvement dans un régime plus autoritaire qu’il n’y parait. On se fait plaisir dans le cadre d’une discipline féroce. Il faut faire le job. Aller toujours vite, donner des coups – sans se blesser. S’il faut parfois montrer les muscles, la tête reste encore ce que nous avons de plus précieux. C’est pourquoi il est quand même recommandé de réfléchir. Et de porter un casque.
LE PITCH
Un champion est poussé contre son gré vers la sortie.
LE RÉSUMÉ
En l’an de grâce 2018, Jonathan E. (James Caan) est la star absolue du Rollerball, sorte de handball à roulette joué dans un vélodrome et où tous les coups sont permis. Capitaine émérite de l’équipe de Houston, il est célébré par Bartholomew (John Houseman), le président de la corporation Energies : l’une des grandes majors qui gouvernent désormais le monde.
Corporate society takes care of everything.
Jonathan est au top de sa carrière mais Bartholomew le convoque pour lui demander de prendre sa retraite (cf Monsieur Schmidt).
You’ve had an amazing career. Jonathan, you know how proud we are of the Houston team and what we think of you – at Energy. Now there are executives who want you out.
Certains dirigeants s’inquiètent que Jonathan trahisse ce pourquoi le jeu a été inventé :
The game was created to demonstrate the futility of individual effort.
Jonathan refuse. Pire, il demande à revoir son ancienne femme Ella (Maud Adams) qui a été attribuée à l’un des dirigeants de l’une des grandes majors. Le torchon brûle entre le joueur et son président.
Les archives sont faussées pour aller dans le sens des corporations. Tout comme les règles du jeu sont modifiées pour renforcer la violence et contraindre Jonathan à s’arrêter (cf Le Placard).
Houston rencontre Tokyo et l’emporte, grâce à Jonathan. Son coéquipier Moonpie (John Beck) finit dans le coma. Les docteurs souhaiteraient le débrancher mais Jonathan refuse.
Lors d’une fête, Bartholomew fait une dernière tentative.
You’re bargaining for the right to stay in a horrible social spectacle. It has its purposes, you’ve served those purposes brilliantly. Why argue when you can quit? And you say you want to know why decisions are made. Your future comfort is assured, you don’t need to know! Why argue about decisions you’re not powerful enough to make for yourself?
Rien à faire.
Son ex-femme le rejoint pour l’avertir que les règles risquent de se durcir à nouveau avant la finale, afin de le dissuader d’y prendre partie.
There aren’t rules at all.
Jonathan s’obstine.
À New York, il n’y a plus de limite de temps, ni de remplacement possible. le match tourne au pugilat. Les joueurs tombent comme des mouches. Jonathan affronte son dernier adversaire mais lui laisse la vie sauve, pour marquer le point victorieux.
Les dirigeants quittent l’arène pendant que Jonathan triomphe seul sur l’ovale.
L’EXPLICATION
Rollerball, c’est l’illusion de croire en l’individu.
Il existe des courants de pensée fondamentaux qui permettent de diviser le monde en deux parties. Au hasard, celles et ceux qui croient en la vie après la mort – et les autres. Même parmi les croyants, on note une différence entre celles et ceux qui prient un dieu de miséricorde ou un dieu vengeur (cf Le Nom de la Rose). Des points de vue radicalement opposés qui ont contribué historiquement à quelques conflits mémorables, sans parler d’un certain nombre de victimes.
Une différence majeur qui existe entre les États-Unis et l’URSS d’hier, ou la Chine d’aujourd’hui, concerne l’individu. Aux États-Unis, et plus globalement dans l’occident, le je existe parce qu’il pense. Merci Descartes.
It’s not all on the muscles. Use your head.
L’individu doit être respecté comme tel. Il doit jouir de la liberté d’expression, de l’accès à la propriété privée, du permis de port d’armes (cf Nitram). Le collectif n’est rien d’autre qu’une somme d’individualités formidables, un peu comme dans une équipe de rollerball.
Dans les sociétés dites communistes, l’individu ne représente pas grand chose face au groupe. Il est même carrément négligeable. L’autorité peut lui prendre sa femme sans rien demander à qui que ce soit, ou le pousser dehors sans pré-avis.
It doesn’t matter what you want!
C’est en tout cas, la vision portée par Bartholomew à la tête de l’un des grands groupes qui ont dépassé les nations. L’individu ne doit surtout pas être plus fort que l’institution.
No player is greater than the game itself.
Précisément la raison pour laquelle Jonathan E. pose question.
They are afraid of you. All the way to the top.
Il émerge d’un jeu dont la vocation est de divertir les masses, tout en faisant passer le message que strictement personne ne doit sortir du lot. En plus, Jonathan n’écoute pas ce qu’on lui dit. Il ne suit pas les ordres comme un bon soldat. Il devient un problème.
Can’t you do what you’re told?
Sa légende doit être absolument rompue, sinon elle risque d’entretenir les fourmis dans leur fantasme d’être l’élu·e (cf Matrix). Jonathan doit perdre. Écrasé par le régime, pour maintenir l’ordre (cf Un pays qui se tient sage).
The game must do its work, the Energy Corporation has done all it can, and if a champion defeats the meaning for which the game was designed, then he must lose.
Finalement il l’emporte, donnant un message d’espoir à toutes celles et ceux à qui l’on répète que les derniers seront les premiers. Tout le monde a très envie d’y croire, car on est toujours du côté de David plutôt que Goliath.
Sa victoire est cependant un leurre (cf Un Poisson nommé Wanda). Le nouvel opium du peuple. Elle dissimule le fait qu’aujourd’hui, même aux États-Unis, c’est bien le corporatisme d’état qui fait la loi. Les GAFAM ont un pouvoir d’influence déjà incomparable sur les décisions politiques. Certains gouvernements ne peuvent plus taxer les grands groupes, pour la simple et bonne raison qu’on ne mord pas la main qui nous nourrit. C’est une réalité.
Corporate society is an inevitable destiny.
L’humanité est déjà aux mains de quelques grand·es patron·nes (cf El buen patron).
A few of us making decisions on a global basis for a common good.
Y compris dans le monde occidental, les grands groupes s’occupent de tout et ne demandent qu’une chose en retour : que les consommateurs continuent d’acheter – sans broncher.
Corporate society takes care of everything. And all it asks of anyone, all it’s ever asked of anyone, ever, is not to interfere with management decisions.
On veut croire qu’une personne peut terrasser une grande organisation, au nom de l’individualisme. Jonathan est le seul survivant d’un jeu de massacre et il préserve malgré tout son humanité, comme sur des roulettes. Parce que c’est Houston et que les États-Unis se sont érigés sur ce beau principe (cf There will be blood).
Pourtant ce sont bien les grands groupes qui s’entendent pour faire truquer les chiffres et écrire les belles histoires. Ils font, ou défont l’individu selon leur bon loisir.
> c’est bien le corporatisme d’état qui fait la loi. Les GAFAM ont un pouvoir d’influence déjà incomparable sur les décisions politiques.
Oui, tout à fait.
> L’humanité est déjà aux mains de quelques grand·es patron·nes (cf El buen patron).
Mais non: Les patrons ne sont que des pions, ils agissent suivant les règles qui leur ont été enseignées. Ils réfrènent leur humanité pour l’intérêt supérieur de l’entreprise, du groupe, de la multinationale. L’humanité n’est pas aux mains de patrons, c’est bien pire que ça : Elle est aux mains d’êtres non-humains que sont les entreprises, servies par une idéologie, souvent qualifiée d’ultralibéralisme.
Quand Staline est mort, le système qu’il avait créé a perduré: Le bloc de l’est n’était pas aux mains d’un homme, pas plus Khrouchtchev que Brejnev ou leurs successeurs, il était au main d’une idéologie. Gorbatchev a voulu sauver l’URSS, mais n’en avait pas le pouvoir, il a juste mener le système à sa perte.
L’Humanité n’est pas aux mains de quelques hommes, mais aux mains de non-humains –dites « personnes morales », quelle ironie !– et d’une idéologie économique. Le plus fous est que tout professeur d’économie sait que la fameuse concurrence parfaite mène à la baisse inexorable des profits, donc à la mort des entreprises. Par conséquent la seule façon pour les entreprises de prospérer est de violer, en douce, la sacro-sainte règle de la « concurrence qui bénéficie au consommateur ». L’hypocrisie est non seulement courante, mais indispensable.
Les économistes savent que ce système repose sur des contradictions, mais on continue à professer ces règles contradictoires et illusoires.
Les non-humains sont de plus en plus puissants.
Que deviendront les humains ?
Merci Notwen pour votre commentaire.
Les systèmes s’appuient sur des idéologies qui peuvent écraser l’individu. Selon l’idéologie communiste, l’individu ne compte pas (cf Le Docteur Jivago). Dans l’ultra-libéralisme, l’individu compte – mais comme une marchandise (cf La Loi du Marché).
La majorité consent à ces systèmes par défaut (cf Matrix). Paradoxalement, certains les encouragent.
L’existence en dehors d’un système est impensable. Dès lors, lequel nous parait le moins inhumain ?