LOLA
Jacques Demy, 1961
LE COMMENTAIRE
Depuis que les nomades que nous sommes se sont pris de passion pour la sédentarité, nous ne cessons de souffrir. Nous nous apercevons sans jamais nous croiser. Puis quand on se croise, on se perd (cf La La Land). En avance rapide, tout en regardant constamment derrière soi. Sur l’autoroute, à contre-sens. Condamnés à s’aventurer dans des directions opposées.
LE PITCH
Des couples se font et défont dans le Nantes d’après-Guerre.
LE RÉSUMÉ
Cécile est Lola (Anouk Aimée), une danseuse dans un cabaret de Loire Atlantique fréquenté par des marins Américains, dont Frankie (Alan Scott) – son client régulier. Une manière d’oublier Michel (Jacques Harden) son grand amour dont elle a eu un enfant mais dont elle n’a plus de nouvelle.
Roland Cassard (Marc Michel) traine son spleen dans un café de la ville.
Les gens m’ennuient, la ville m’ennuie, la province m’ennuie…
Dans une bibliothèque, il tape dans l’oeil de Madame Desnoyer (Elina Labourdette), mère célibataire de la jeune Cécile (Annie Duperoux).
La patronne (Margo Lion) du café, qui se trouve être la mère de Michel, propose à Cassard d’aller voir un coiffeur offrant du travail. En chemin, il croise Lola qu’il n’avait pas vu depuis des années. Le coiffeur propose au jeune homme de partir en Afrique du Sud avec un faux passeport. Une affaire de diamants… Cassard accepte. Son bateau part samedi. Le temps de tomber amoureux de Lola puis de changer d’avis.
J’ai plus envie de partir, je vais me décommander. C’est absurde de partir. Pourquoi chercher ailleurs ce qu’on trouve à sa porte ?
Malheureusement pour lui, Lola ne partage pas ses sentiments.
Autant être franche : je ne t’aime pas.
De son côté, elle se lamente de tous ces hommes qui lui promettent la lune alors qu’ils n’en ont qu’après ses fesses. Le seul qu’elle aime semble avoir disparu.
Qu’est ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela ?? Je ne suis pas méchante. J’ai toujours eu peur de faire aux gens la moindre peine. Et malgré moi, je fais du mal. Moi qui voudrais tellement que tout le monde soit heureux! Je n’en peux plus, je suis si fatiguée…
Elle accepte une offre à Marseille puis se retracte à son tour lorsque Michel, son Michel, revient à la maison après sept longues années d’absence.
Si tu savais comme je t’ai attendu!
Frankie en sait quelque chose…
L’Américain embarque pour Chicago via Cherbourg. Roland part à Johannesburg bien que la police ait démantelé le traffic de diamants. Lola prend la route avec Michel et leur fils.
L’EXPLICATION
Lola, c’est le flou artistique.
La guerre n’est à désirer qu’en ultime recours car elle déshumanise (cf Voyage au bout de l’enfer, La ligne rouge, Apocalypse Now). Pour quelques belles histoires (cf La vie et rien d’autre, Les sentiers de la gloire, Dunkirk), la guerre fait trop de morts et de blessés (cf Le Vieux Fusil, The Master, Au revoir là-haut, Né un 4 juillet, Brothers, Une grande fille). Une hécatombe. On ne peut évidemment pas souhaiter tant d’atrocités.
Néanmoins, force est de reconnaître qu’une bonne guerre peut faciliter la vie sous bien des rapports dans la mesure où l’on n’a plus qu’à penser à sa survie. Rien d’autre.
La guerre finie, il faut reconstruire. Le Baby-Boom et ses galipettes. Les grands gagnants des Trente Glorieuses. En un mot : le Bonheur. Celui après lequel on a couru pendant des années.
En vérité, ce Bonheur est déjà hors d’atteinte pour beaucoup d’hommes se retrouvant de nouveau livrés à eux-mêmes à l’image de Roland qui questionne désormais ce qu’il veut faire dans la vie. L’armistice a fait de lui un bohème malheureux. Philosophe à ses heures. L’absence de réponse le tourmente.
Y’a pas de dignité possible, pas de vie réelle pour un homme qui travaille douze heures par jour sans savoir pour quoi il travaille.
Il est dans la critique facile.
Ici, on ne sait pas vivre.
Rien ne semble lui convenir : ni le réel, ni la fiction.
Au cinema, c’est toujours plus beau!
Sa lucidité lui permet de rester critique envers lui-même. Ce qui lui va très bien car il a désormais le luxe de pouvoir râler. Il ne s’en prive pas.
Je pense que je suis l’image meme du raté. (…) Je cherche pas d’excuse, j’ai surtout manqué de courage.
La guerre est finie. Il n’a pas le droit de se plaindre, il le sait. Pourtant à l’entendre, on le croirait maudit.
Je me dis que nous n’avons pas le droit de nous laisser abattre.
Des femmes livrées à elles-mêmes également, à l’image de Lola. Un alias. Celle qui, de ses propres mots, veut plaire et s’en tenir là. Une danseuse professionnelle, insaisissable, qui ne se permet pas d’être heureuse.
Je ne te plais pas.
Si justement…
Une femme qui coupe court, se réfugiant dans sa complexité pour mieux s’empêcher de vivre.
Je ne te comprends pas…
C’est comme ça.
Une femme qui maudit le sort de l’avoir privé de son grand amour. Un amour qu’elle affirme vouloir vivre pleinement. Quand l’occasion se présente, elle la refuse.
Quittons-nous bons amis, il ne faut rien brusquer.
Elle aussi vit son drame à sa manière. Sa vie en pause. La passion au ralentit. Ce qui la contraint à tirer des conclusions banales et sans intérêt.
C’est beau de vivre quand même.
Paradoxalement, elle critique l’amour qui est pourtant devenu son unique raison de vivre.
Je t’aime.
C’est idiot.
Repoussant Cassard, sans se résoudre à le laisser partir.
Je ne voulais pas que tu partes sans que tu saches que je t’ai menti.
Compliquée. Française. Son Ulysse est de retour, ce qui ne la remplit bizarrement pas de joie. Plus de raison de se plaindre. Son statut de victime disparait. Lola se sent coincée dans cette voiture. Elle regarde Cassard marcher vers l’Afrique du Sud et envie soudainement sa solitude.
Lola représente celles et ceux qui sont là sans savoir quoi faire, dans un Nantes aux faux airs de Bruges. Avec des envies d’ailleurs.
L’essentiel, c’est de partir.
Peu importe la destination, ce qui compte c’est le voyage. Car il donne le loisir de pouvoir nous perdre dans d’interminables discours sur nous-mêmes (cf Sideways, Un homme et une femme, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait). On occupe le vide comme on peut.
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