LA LEÇON DE PIANO
Jane Campion, 1993
LE COMMENTAIRE
À l’ère du trans-humanisme, on ne pense qu’aux nouvelles manières d’améliorer le corps humain grâce à la technologie. Développer ses capacités de puissance, de précision ou de résistante. Trop gourmands et encore fascinés que nous sommes par la possibilité d’un sur-homme. Alors que la magie de la technologie pourrait tout simplement servir à rendre un peu de leur humanité aux personnes handicapées par la vie. Ce serait déjà beaucoup.
LE PITCH
Le piano est un instrument modérément apprécié au pays du rugby.
LE RÉSUMÉ
Ada McGrath (Holly Hunter) débarque en Nouvelle-Zélande, vendue par son père à Alisdair Stewart (Sam Neill). Elle ne parle pas depuis qu’elle a 6 ans, personne ne sait pourquoi. Sa fille Flora (Anna Pakin) l’accompagne, ainsi que l’objet le plus cher à ses yeux : son piano.
The strange thing is, I don’t think myself silent. That is because of my piano.
Les relations avec Alisdair sont d’autant plus fraîches qu’il l’informe que sa maison est trop petite pour accueillir le piano. Il va falloir l’abandonner sur la plage. Ada insiste et réclame à George Baines (Harvey Keytel), un ancien marin qui a rejoint une tribu maori, de la conduire à son piano sur la plage. Baines ira plus loin : il propose à Alisdair de lui échanger une partie de ses terres contre ce piano, et peut-être même quelques leçons.
Baines est complètement sous le charme d’Ada. Cependant, il pose ses conditions : elle pourra récupérer son piano si elle accepte de se plier à ses fantasmes.
Ada, wait. Wait. Do you know how to bargain? There’s a way you can have your piano back. Do you want it back, do you want it back? You see, I’d like us to make a deal. There’s things I’d… like to do while you play. If you let me, you can earn it back. What do you think? One visit for every key.
Ada tient trop à son piano pour refuser. Les leçons s’enchaînent, accompagnées d’un jeu sensuel. Baines constate qu’Ada ne ressent absolument rien pour lui. Par conséquent, il lui offre le piano par dépit et la libère de ses obligations.
I have given the piano back to you, I’ve had enough. The arrangement is making you a whore, and me, wretched. I want you to care for me. But you can’t. It’s yours, leave. Go on, go.
Pourtant, Baines finit par manquer à Ada qui part le rejoindre. Tous les deux font l’amour sous les yeux d’Alisdair médusé. Celui-ci essaie de forcer Ada dans la forêt et obtient qu’elle arrête de voir George. Elle veut lui envoyer une note de piano accompagnée d’un mot d’amour par l’intermédiaire de Flora, qui ne porte pas Baines dans son coeur. Très mauvaise idée. Flora se trompe volontairement de destinataire. Alisdair enrage. Impuissant et moqué, il coupe un doigt à sa femme.
L’existence d’Ada semble s’arrêter. Alisdair demande le divorce. Ada part avec Flora et Baines. Fini le piano. Elle le passe par dessus bord et tente même de se noyer, le pied attaché à son instrument. Puis elle se ravise et remonte à la surface. Elle fait bien. Une nouvelle vie peut commencer à Nelson. George lui a confectionné un index en argent qui lui permet de rejouer du piano.
Mieux, elle prend des cours pour pouvoir parler de nouveau.
L’EXPLICATION
La Leçon de Piano, c’est savoir apprécier la mélodie.
Ada est une femme magnifique qui ne parle qu’à travers des notes. Elle n’est que nuances. La pauvre se retrouve envoyée, contre son gré, à l’autre bout de la terre, chez les sauvages. C’est à dire les colons Britanniques venus en Nouvelle-Zélande pour acculturer les locaux.
Elle y rejoint un homme qu’elle ne connaît pas et avec lequel elle est censée vivre jusqu’à la mort. Si possible heureuse. Il est déjà bien assez compliqué d’être heureuse sur commande, comme la nuit de la Saint Sylvestre par exemple (cf Le Père Noël est une ordure). La tâche s’avère quasi insurmontable pour Ada. Pour ne rien arranger, Alisdair ne fait pas preuve d’une grande sensibilité. Il méprise le mutisme de sa compagne, en se comparant à Dieu.
God loves dumb creatures, so why not I?
Il commet surtout l’irréparable en ne mesurant pas la valeur du piano.
What would you think if someone played a kitchen table like it were a piano?
Like it were a piano?
It’s strange isn’t it? I mean it’s not a piano, it doesn’t make any sound.
Insulte suprême.
Un homme comme lui, incapable d’apprécier la musique, ne pouvait faire autre chose que de couper un doigt à Ada.
George n’a rien à voir. Il est illettré, certes. Mais il a su se fondre au sein d’une tribu d’autochtones. Il s’est adapté à la différence. S’est fait tatouer pour mieux se faire accepter. Cet homme ne cherche pas à changer les autres. C’est lui qui change. George est rapidement fasciné par le mystère d’Ada. S’il cherche peut-être à profiter d’elle de manière maladroite, il est très vite submergé par le charme de la pianiste. Le pseudo dominant se mue en admirateur (cf Le Mari de la Coiffeuse). Il la regarde, l’écoute, ne la voit plus comme un objet dont il va pouvoir disposer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il abandonne son petit jeu de lui-même. Il veut une relation non-marchande. Une relation authentique. Il le dit avec ses mots à lui, ce qui le rend encore plus touchant.
Ada, I’m unhappy. ‘Cause I want you, ’cause my mind has seized on you and can think of nothing else. This is why I’ve suffered. I am sick with longing, I don’t eat, I don’t sleep. So, if you have come with no feeling for me, then go. Go, go, get out. Leave!
Il s’agit d’un homme qui sait suivre le rythme de l’autre (cf Whiplash). On sait déjà que George n’arrêtera jamais d’écouter Ada. Il a su déjouer les pièges que la petite Flora lui a tendu. N’a pas abdiqué devant la menace que représentait Alisdair tout puissant. On peut imaginer qu’il n’aura jamais peur, contrairement à l’homme qu’Ada fréquentait en Ecosse. Tout simplement parce que George fait des efforts alors que rien ne l’y contraint. Il fait des efforts sans rien attendre en retour.
George has fashioned me a metal finger tip, I am quite the town freak which satisfies!
Dans la vie, les actes sont toujours beaucoup plus engageants que les mots.
Encore davantage lorsqu’ils sont désintéressés, comme une mélodie sans fausse note.
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