LE VIEIL HOMME ET LA MER
John Sturges,1958
LE COMMENTAIRE
On pourrait croire que l’homme a fait du chemin en allant se promener jusque sur la lune (cf First Man). Faussement modeste parce que profondément persuadé qu’il est capable de l’impossible, il ne s’est pas vraiment rendu compte que son petit pas ne l’avait emmené nulle part. En vérité, il dérive toujours seul, à voguer après des chimères.
LE PITCH
Un vieux pêcheur s’acharne sur un gros marlin.
LE RÉSUMÉ
Quatre-vingt jours. C’est le temps dont certains ont besoin pour faire le tour du monde. En quatre-vingt jours, un vieux pêcheur cubain (Spencer Tracy) n’a toujours pas fait une prise.
Un garçon du village (Felipe Pazos) se prend d’affection pour ce looser et continue de l’encourager, en dépit de son manque de chance apparent – ou manque de talent. Ne pouvant décevoir cet enfant, le vieil homme reprend la mer par orgueil.
Il contemple son environnement sur sa barque, puis prend un premier poisson! La fatigue commence à se faire sentir et avec elle, les crampes dans les mains. C’est pourtant à ce moment qu’il hameçonne un gros morceau de manière inattendue. Le poisson fait quasiment la taille de son bateau et il ne compte pas se faire pêcher aussi facilement. Un bras de fer s’engage (cf Over the Top).
Le poisson est aussi têtu que le pêcheur. Tous les deux s’entrainent vers le large. Une relation de respect commence à se nouer entre eux.
The fish is my friend too.
La plaisanterie dure de longues heures au bout desquelles le poisson s’avoue finalement vaincu.
Fier de lui, le pêcheur remorque son trophée. Cependant, le marlin va se faire lentement grignoter par les requins sur le chemin du retour.
Now I have killed this fish who was my brother. Now I must do the slave work. Get to work, Old Man.
Le vieil homme atteint la plage au bout de la nuit. Seul un chat errant est là pour l’accueillir. Au petit matin, les villageois découvre la carcasse. Le pêcheur rentre chez lui dépité, les mains lacérées. Très vite, le petit garçon se porte à son chevet pour le réconforter.
Le vieil homme épuisé s’écroule sur son lit, rêvant de lions dans la savane.
L’EXPLICATION
Le vieil homme et la mer, c’est garder la foi.
Le pêcheur d’âge mûr a suffisamment fréquenté la mer pour en connaître le caractère cruel. Il sait quoi en attendre, et surtout quoi ne plus en attendre (cf No Country for Old Men). En l’occurrence, le vieil homme sait que la vie fait rêver, mais qu’elle est ingrate : elle réclame de se lever tous les matins pour aller gagner sa croute, chasser le bison ou pêcher l’espadon.
Never have I seen or heard of such a fish. But I must kill him. I’m glad I do not have to kill the stars. Imagine how it would be if, every day, a man had to try to kill the moon. The moon runs away. But think what it would be if, every day, he had to try to kill the sun.
Souvent, on rentre bredouille au port.
Plus on joue et plus on perd (cf Casino). C’est la règle.
Quand bien même, demain est un autre jour. Se lever à nouveau et retourner au charbon (cf Un jour sans fin). Une sorte de mythe de Sisyphe. Condamné à pousser sa pierre et la voir dégringoler encore et encore. Quatre-vingt trois jours sans rien prendre quand même… Autant de jours à s’obstiner, sans avoir l’impression d’avoir appris quoi que ce soit.
Car ce Cubain vit pourtant dans un petit Paradis dont il ignore tout. Lors de sa sortie, il a le loisir de pouvoir profiter du silence. Les oiseaux viennent à sa rencontre. S’il était oriental, nul doute qu’il communierait davantage avec la nature (cf Ponyo). En fait, il prend à peine la mesure de ce qui l’entoure.
Never have I had such a strong fish – or one that acted so strangely. Maybe he’s too wise to jump. He could ruin me with a jump. Or one quick rush. Maybe he has been hooked many times before and he knows this is how he must make his fight.
Sur sa barque, il philosophe à propos de son compagnon d’infortune.
I wonder if he has a plan or if he’s just as desperate as I am.
Tout juste pourrait-il se permettre d’imaginer la possibilité d’une improbable relation d’amitié entre lui et ce poisson mourant au bout de son hameçon, que la réalité de la pêche industrielle le rattrape aussitôt.
Man can be destroyed, but not defeated.
L’ego reprend le dessus. Un peu comme si tout cela n’avait servi à rien. Comme s’il n’avait rien compris. Le vieil imbécile et la mer. La sagesse semble le fuir un peu plus avec les années.
Sur la durée, la vie nous fait perdre notre mojo. Elle a raison de notre sens de l’humour (cf La Vie est Belle). Avec les années, l’entourage émet des doutes de plus en plus fondés.
Are you strong enough now for a truly big fish?
À la fin de l’histoire, le vieil homme n’est que vieux (cf Adieu Paris).
Maybe he’s too old?
Sa peau est brûlée par le soleil. Les cheveux ont blanchi. Ses mains sont fatiguées. Son corps tout entier le fait souffrir. Qu’ils paraissent loin les rêves de grandeur d’antan (cf Hollywoodland).
L’homme a tout pour se laisser abattre, et même finir par douter de lui.
I’m not lucky anymore.
Pourtant, il n’a pas perdu la lumière dans les yeux.
Everything about him was old except his eyes.
Et dans son coeur bat encore l’âme d’un enfant qui viendrait le rechercher quand tout va mal, pour aller jouer à nouveau. Reprendre une bière. Rire un peu. Car l’enfant pense que la vie en vaut le coup.
Quand le vieil homme est au plus mal, que le temps est venu de se retirer discrètement vers le cimetière des éléphants, cette petite voix intérieure lui chuchote toujours les mots justes (cf Everything Everywhere All at Once).
Quelques mots suffisants pour lui donner les ressources de hisser la voile à nouveau. Inlassable. Increvable. Tant que cet homme continuera de rêver d’Afrique et de lions, il aura plus qu’une bouée de sauvetage, une envie de rugir (cf Wolf).
je n’ai pas vu le film mais j’ai lu récemment le livre qui m’a beaucoup marqué. Au debut je ne voyais qu’un seul sens une grosse farce ou plutôt une révolution silencieuse: la vengeance du poisson contre le pêcheur, le poisson pêchant l’homme pour lui infliger les mêmes souffrances. Il faut dire le poisson subit à chaque coup d’hameçon et que le pêcheur est sacrément cruel. Le pire: les pêcheurs qui relâchent les poissons après leur avoir bien défoncé la mâchoire. C’est l’expérience que vit le vieil homme trainé par son énorme poisson qui lui use les mains puis le corps.
Le 2e sens je l’ai vu plus tard, quand embarqué dans cette galère, le vieil homme commence a rêvasser. La j’ai vu l’âme de l’enfant. L’enfant qui a eu les yeux plus gros que son ventre, l’enfant qui est parti tout seul dans la forêt construire une cabane pour impressionner les
copains. L’enfant qui a peur et qui n’a qu’une envie c’est de retrouver les bras de ses parents (joués par le jeune garçon).
L’enfant qui continue a rêver d’aventures, revoir les lions.
Vieillir et garder son âme d’enfant c’est ce qu’il y a de plus beau. Il peut mourir tranquille notre ami. Merci pour ce beau commentaire qui rejoint mes émotions de lecture.
Merci Delphine, si l’on se concentre sur la relation entre le vieil homme et le poisson, il s’agit effectivement d’un beau pied de nez. Lui qui avait l’orgueil de penser rentrer au port de manière triomphale doit déchanter. Il aurait du se contenter de son premier poisson.
Si l’on considère le rôle de l’enfant dans l’histoire et ce qu’il apporte au vieil homme, alors l’éclairage est différent.
Le vieil homme échoue de nouveau, mais garde son âme d’enfant qui lui permet de faire de beaux rêves et de trouver une raison de se lever le lendemain.