LE TRANSFERT DU SIÈCLE : ET FIGO CHANGEA DE CAMP
Ben Nicolas, David Tryhorn, 2022
LE COMMENTAIRE
Dans le monde du travail, les individus se retrouvent parfois coincés entre des institutions rivales. Plus que d’honorer sa parole, le plus important devient d’honorer son contrat. La seule manière pour l’individu d’exister face à l’institution.
LE PITCH
Un joueur bleu et rouge passe chez les blancs. Sale affaire en Espagne…
LE RÉSUMÉ
En 1995, Luis Figo est encore un joueur prometteur du Sporting. Fruit d’une génération dorée avec Rui Costa, qui lança le Portugal de Cristiano Ronaldo vers les sommets quelques années plus tard.
Ce talent plein de promesses se retrouve au milieu d’un imbroglio contractuel au moment de partir pour la série A italienne. En effet, il s’engage avec Parme mais signe un autre contrat avec la Juventus. Le transfert est bloqué. Figo est interdit de jouer en Italie pour deux saisons.
Il part au FC Barcelone. Més que un club. L’ultime saison sur le banc de la légende Johan Cruyff.
En Catalogne, Figo ne déçoit pas. Il est nommé capitaine. Le club ajoute une clause de libération de 200 millions de francs afin de s’assurer les services de sa pépite.
En cinq ans, le Barça gagne notamment deux championnats et la Coupe des Coupes – nom de code pour l’ancienne Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupes qui a disparu aujourd’hui.
Figo est heureux. Il célèbre la naissance de sa première fille. Met la misère au rival madrilène et parade face à la foule en délire en reprenant des chants de supporters.
Madrid et ses pleureurs! Inclinez vous devant les vainqueurs!
Malgré son statut de star, Figo n’est pas nommé Ballon d’Or. C’est son coéquipier Rivaldo qui remporte la récompense. Tout comme le Brésilien empoche un salaire plus important. Alors Figo agacé toque à la porte du président pour une revalorisation de salaire, par l’intermédiaire de son agent José Veiga. Devant les médias, il joue l’apaisement.
J’espère que ça s’arrangera et qu’on pourra tous se détendre.
En pleine période de ré-élection des présidents, c’est Florentino Perez, candidat à la présidence du Real qui se renseigne sur le Portugais. L’entrepreneur est ambitieux (cf El buen patron). Il veut créer une équipe galactique avec les plus grands joueurs de la planète.
Perez est prêt à payer la clause libératoire. José Veiga s’engage au nom du joueur, moyennant une commission de plusieurs millions. Figo n’est au courant de rien, en pleine préparation de l’Euro 2000.
Les médias espagnols apprennent le deal. Trop contents de pouvoir le rendre public. Les élections s’enflamment. Perez promet alors la signature du Portugais s’il est élu. Problème : Figo n’est pas prêt à partir. Autre problème : Veiga aurait signé une clause contraignant le paiement d’une somme de 30 millions au cas où Figo n’honore pas son engagement.
Après une longue nuit de négociations à Lisbonne, Figo signe pour le Real. Séduit par le discours de Florentino Perez. Lors de la présentation à la presse pourtant, il ne fait pas preuve d’un enthousiasme débordant.
Il se passait tellement de choses en même temps.
Il ne remettra plus les pieds à Barcelone, sauf pour jouer au Camp Nou avec le maillot merengue.
Là-bas, une centaine de milliers de fans trahis l’attendent pour lui jeter des bouteilles.
En cinq saisons au Real, Figo il gagne à nouveau deux championnats, mais surtout la prestigieuse Ligue des Champions, ainsi que le Ballon d’Or. Surtout, il a obtenu la reconnaissance qu’il souhaitait.
Je suis parti principalement parce qu’ils reconnaissaient ma valeur.
L’EXPLICATION
Le Transfert du Siècle, ce sont les valeurs du football business.
Le sport en Europe a porté pendant longtemps l’héritage du baron Pierre de Coubertin et sa fameuse devise : l’important c’est de participer. Quelques années plus tard, les athlètes se sont quand même rendu·es compte qu’il était plus intéressant de participer et de gagner à la fin.
Dans le football, on était donc à la recherche du prestige. Des grands clubs européens comme le FC Barcelone et le Real Madrid empilaient les trophées. Lorenzo Sanz, président du Real entre 1995 et 2000 a remporté un championnat d’Espagne et deux ligues des Champions. Respect.
C’est alors qu’arrive un socio depuis plus de quarante ans : Florentino Perez.
Et Florentino Perez dit que les titres, c’est sympa. Mais que cela n’est pas assez. Il faut selon lui restaurer une réputation qui s’est détériorée à l’international. Pour cela, il faut des joueurs d’un certain calibre. Il veut gagner largement – marque de fabrique du Real depuis toujours.
Luis Figo va servir sa politique. Puis Ronaldo, Zidane, Beckham…
La signature du Portugais a fait basculer le football européen dans l’ère moderne, celle du business. Une course à l’armement. Un environnement dans lequel l’argent prend l’avantage sur le sportif. Les joueurs, et les entraineurs, sont devenus des mercenaires sans scrupule. Car ce qui compte, au delà des coupes ou des titres honorifiques, c’est le chiffre en bas de la feuille de paie.
Ce qu’explique Paulo Futre, ex joueur portugais émérite jamais invité par sa fédération après avoir pris sa retraite, et qui a contribué au transfert de Figo. Il a pris 1,5 millions au passage.
Ce qui est important, c’est l’argent. L’argent que tu gagnes.
L‘amour du maillot a désormais disparu. Figo a juré son amour au Barça, selon l’ancienne coutume. Puis s’est vite fait rattraper par son appât du gain – et des titres évidemment. Mis dans une situation où il a commis le pêché de trahison envers son supposé club de coeur. Peu importe. Les joueurs se soucient plus de leur argent que de leurs souvenirs.
J’essaie de ne pas avoir de regrets car je pense que ça ne sert à rien.
Par ailleurs, les fans s’excitent quelques années à brûler des maillots, puis ils oublient. On ne se rappelle de rien de toute façon, alors peu importe. Au train où vont les choses, on risque de moins en moins se rappeler…
Même les anciens coéquipiers de Luis Figo comme Pep Guardiola ne lui en tiennent pas rigueur. Peu importe.
Je sais qu’il a été heureux, c’est tout ce qui compte.
Pep Guardiola devenu entraineur du club anglais de Manchester City, propriété des Émirats Arabes Unis. Newcastle est aux mains de l’Arabie Saoudite. L’Inter de Milan est devenu Chinois. On ne va pas parler du PSG des Qataris. Les Olympiques sont sous pavillon américain. Tout comme le Milan AC, Liverpool, Chelsea, Manchester United et l’AS Roma.
Le merchandising a explosé. Sans parler du prix des abonnements au stade, ou des maillots – dont on compte maintenant jusqu’à quatre jeux différents.
Qu’elle parait déjà loin l’époque où le football était un sport populaire.
Loin l’époque où le football était une industrie à éviter car on y perdait de l’argent…
Mais ne soyons pas mauvaises langues. Habituons-nous à ce nouveau paradigme – en priant pour que la bulle n’explose jamais (cf The Big Short). Prenons justement exemple sur les États-Unis où le business est la règle dans le sport professionnel depuis longtemps. Pas d’histoire de dopage ni de matchs truqués en NBA, en NFL, en NHL ou en MLB. Les joueurs sont transférés d’une franchise à l’autre sans broncher (cf Le Stratège). Personne ne râle.
À l’inverse de l’Europe, on pense aux États-Unis que la critique n’est pas bonne pour le spectacle.
On ne crache pas dans le pop corn!
Propre explication