I… COMME ICARE
Henri Verneuil, 1979
LE COMMENTAIRE
En 2021, les Français·es ont passé cinq heures par jour en moyenne devant leur smartphone. Si l’on ajoute les 6h55 que dorment les Français·es en moyenne, alors cela ne laisse pas beaucoup de temps passé loin des écrans dans une journée. Sachant la quantité de couleuvres qu’on essaie de nous faire avaler par ce biais, il y a de quoi être perplexe.
LE PITCH
Un procureur refuse de souscrire à un rapport mensonger.
LE RÉSUMÉ
La foule se presse pour voir passer le Président Jarry (Gabriel Cattand), un homme dont le discours est porteur d’espoir.
Il y a des gens qui voient les choses comme elles sont et qui se demandent pourquoi. Et puis il y a des gens qui rêvent les choses comme elles ne le sont pas et qui se demande pourquoi pas ?
Il est abattu en plein jour (cf JFK). A priori par un tireur situé sur le toit du bâtiment d’en face. Problème : Karl-Eric Daslow (Didier Sauvegrain) n’avait pas de cartouche dans son fusil. Il a été retrouvé assassiné d’une balle dans la tête, dans l’ascenseur.
La Commission Heiniger, composé de ministres et du directeur des services secrets, conclut que Karl-Eric Daslow était l’unique tireur. Affaire classée!
Le procureur Henri Volney (Yves Montand) s’insurge.
Je suis sincèrement désolé messieurs, mais je ne peux pas signer ce rapport.
Il obtient de ré-ouvrir le dossier.
Tout d’abord il se procure tout le matériel vidéo du jour du crime pour reconstituer les faits. La mise en scène apparait évidente. Daslow est un bouc émissaire. Le Président a été victime d’un complot.
Lors de ses recherches, Volney découvre que Daslow avait participé à une expérience scientifique visant à prouver la théorie de Milgram sur l’obéissance à l’autorité (cf Compliance).
En moyenne, 63% des sujets sont obéissants. Ils acceptent complètement les principes de l’expérience.
Ce qui signifie que dans un pays civilisé démocratique et libéral, les 2/3 de la population sont susceptibles d’executer n’importe quel ordre émanant d’une autorité supérieure…
Volney retrouve le dernier témoin à s’être présenté spontanément à la Commission d’enquête, qui soit encore en vie. Il ne fait que confirmer les doutes du procureur.
Tout est faux dans cette affaire, tout! Un faux témoin, un faux coupable, un faux rapport. 30 volumes d’enquête. 682 pages de conclusions. Et pas la plus petite réponse à la plus élémentaire question : pourquoi ?
Faisant le lien entre des membres du grand banditisme et des membres du gouvernements, Volney met la main sur une cassette cryptée faisant état d’une opération « I comme Icare » devant début le jour même.
Volney laisse un message au Président.
Je vous prie de croire, monsieur le Président, à l’expression de mes sentiments dévoués.
Puis il appelle sa femme pour en savoir davantage sur Icare. Il meurt lui aussi d’une balle dans la tête pendant que sa femme lui rappelle la signification du mythe (cf Icarus)…
Si l’on considère le soleil comme une représentation de la vérité, alors Icare se brûle les ailes car il s’approche trop de la grande vérité. Voilà. Est-ce que cette interprétation peut t’aider ?
L’EXPLICATION
I… comme Icare, c’est le danger de faire son malin.
Les gens qui aiment faire leurs malins sont bien connus. Ils comprennent tout plus vite que les autres. Lèvent la main en posant une question à laquelle on n’avait même pas encore songé. Des personnes qui osent refuser un ordre dont on ignorait qu’on pouvait ne serait-ce que le questionner.
C’est inacceptable!
Des personnes comme le procureur Volney, qui met dans l’embarras des décideurs jusqu’au plus haut sommet de l’état.
Oui, j’ai bien reçu cet ordre. Enfin je veux dire, cette suggestion. Ce souhait plus précisément. Mais je jure sur l’honneur que je n’en ai tenu aucun compte.
Volney créée le malaise parce qu’il assène des vérités. Par exemple, il reproche à ceux qui sont censés faire la lumière sur un drame pouvant plonger la démocratie dans la crise de ne pas faire leur travail correctement.
Ce que je reproche à la commission, c’est un état d’esprit. Nous étions sincères quand nous disions nous voulons la vérité, et toute la vérité. Mais au fond de nous même, nous espérions que cette vérité là serait celle que nous souhaitions. Et bien à force de la souhaiter nous avons fini par l’avoir. Une bonne petite vérité bien rassurante qui ne fait pas de vague, n’éclabousse personne. Une vérité qui écarte les sales rumeurs, dissipe les mystères et garde notre image de marque intacte.
Volney veut rétablir l’histoire en mettant le doigt sur le véritable sujet, en appuyant précisément là où cela fait mal. Il dénonce l’hypocrisie générale.
Peut-être avons-nous peur d’admettre que nous sommes peut-être une nation qui résout certains problèmes politiques par l’assassinat ?
Volney est celui qui se lève et prend son stylo pour dessiner des graphiques au tableau comme si rien ne pouvait résister à leur extrême lucidité. Il prouve par A+B qu’il a raison.
Il fait le fanfaron avec son air révolté et son sens de la formule.
La vérité n’a ni honneur ni pays!
Et bien ces gens là qui font leurs intéressant·es ne font jamais long feu. Soit ils dérangent trop et sombrent dans l’anonymat parce qu’on finit par les considérer comme des marginaux. Ou ils dérangent trop et finissent dans une benne à ordures (cf Il était une fois en Amérique).
Volney le confesse à sa femme, quelques secondes seulement avant de mourir.
Je n’ai jamais été aussi seul.
Personne n’aime le révolutionnaire. Volney fait la découverte que celui qui cherche à sortir du groupe finit immanquablement par s’isoler.
Un tyran a besoin avant tout d’un état tyran. Alors il va recruter un million de petits fonctionnaires qui auront une tâche banale à executer. Chacun va executer cette tâche avec compétence, et sans remord. Car personne ne se rendra compte qu’il est le millionième maillon de l’acte final.
Le groupe n’a aucune envie qu’on lui mette le nez dans son caca. Il n’a aucune envie d’ouvrir les yeux pour découvrir à quel point le monde est tout pourri de l’intérieur (cf Matrix). Si Daslow a été identifié comme le tueur c’est qu’il est le tueur. Si l’histoire ne tient pas debout, c’est encore mieux car rien ne vaut un bon vieux mystère (cf Ne le dis à personne).
L’assassinat de Volney alimente le débat. Il est décidément mieux mort.
Les gens qui aiment faire leurs malins devraient savoir rester discrets.