RENCONTRE AVEC JOE BLACK

RENCONTRE AVEC JOE BLACK

Martin Brest, 1998

LE COMMENTAIRE

La mort a souvent été incarnée comme quelqu’un de sinistre. Une grande faucheuse avec un crâne pour visage, caché par une cape lugubre (cf Monty Python : le sens de la vie). On comprend mieux pourquoi s’attacher désespérément à la vie. Et si la mort ressemblait plutôt à un beau gosse ?

LE PITCH

Un milliardaire prend conscience de son épée de Damoclès.

LE RÉSUMÉ

Allison Parrish (Marcia Gay Harden) s’active pour organiser une grande fête en l’honneur de son père Bill (Anthony Hopkins). En l’occurrence, le magnat des media s’intéresse davantage à un projet de fusion acquisition qu’à son propre anniversaire.

I hate parties. It’s not enough to be on the earth for 65 years without having to be reminded of it?

Sa seconde fille Susan (Claire Forlani) sort avec l’un des membres les plus ambitieux du comité de direction : Drew (Jake Weber). Certainement pas le plus romantique. Bill met ouvertement en question cette relation.

Are you gonna marry him…? (…) There’s not an ounce of excitement. Not a whisper of a thrill.

Parallèlement, Susan fait la rencontre d’un charmant inconnu (Brad Pitt) qui lui tient quasiment mot pour mot les mêmes propos passionnés que son père.

Lightning may strike.

Susan est sous le charme de cet homme énigmatique qu’elle quitte sans prendre son nom. L’inconnu se fait malheureusement renverser par une voiture quelques secondes plus tard.

Dans son bureau, Bill est victime d’une attaque cardiaque. Il entend des voix. Lui apparait soudain l’inconnu rencontré par Susan, dont le corps a été investi par la mort. Il s’agit d’un signe. L’heure de Bill est proche…

Am I going to die?

Yes.

(…) You’re not Death, you’re just a kid in a suit.

It came with the body I took.

Intriguée par ce qu’il essaie d’accomplir, la mort lui accorde cependant un peu de temps supplémentaire tant que le patriarche jouera bien son rôle (cf Les Dents de la Mer 2).

It’s only recently your affairs here have piqued my interest. 

(…) About what?

(…) Show me around, be my guide. And in return you get…

I get what?

Time: minutes, days, weeks, let’s not get encumbered by detail, what matters is that I stay interested.

La mort est baptisée Joe Black par Bill. Elle l’accompagne partout.

Susan et Joe tombent amoureux, ce qui ne plait pas à Bill qui n’a pas envie que sa fille meure aussi jeune. Il implore Joe de l’épargner.

Pendant ce temps, Drew a tiré quelques ficelles pour évincer Bill, prendre le contrôle de l’empire et le vendre pour mieux le démanteler. La vie entière de Bill ne laisserait aucune trace (cf 1492, Monsieur Schmidt). Ce n’est pas acceptable.

I don’t want anybody buying up my life’s work! Turning it into something it wasn’t meant to be. A man wants to leave something behind.

Touché par les Parrish, la mort aide d’abord Bill à reprendre le contrôle de sa compagnie en exposant les malversations de Drew. Puis elle se détache de Susan, conscient que l’amour entre les morts et les vivants serait une toute autre histoire…

Le soir de son anniversaire, Joe emporte Bill. L’heure a sonné. Les deux hommes s’éloignent. Susan leur court après mais ils ont disparu. Seul Joe semble revenir. En réalité, il s’agit de l’homme du coffee shop qui ne comprend pas très bien où il en est. Peu importe. Susan l’a retrouvé et lui demande ce qui va se passer désormais.

What do we do now?

It’ll come to us.

L’EXPLICATION

Rencontre avec Joe Black, c’est réussir sa mort.

La mort est un sujet fondamental puisque le rapport que l’on entretient avec elle conditionne la manière dont on vit.

Les Grecs ne la redoutaient pas car elle ne frappe finalement qu’une fois. Avant l’heure, c’est pas l’heure. La mort n’existe pas encore. Après l’heure, c’est plus l’heure. Plus besoin de s’en inquiéter, elle n’est plus un problème. Seule sa perspective pose problème. On cherche à l’anticiper mais les questions qu’elle génère n’ont pas de réponse, ce qui nous terrifie.

Celles et ceux qui la nient sont contraint·es de la reconnaître un jour où l’autre. La fuir ne sert à rien d’autre que de passer son existence dans l’angoisse la plus totale. Penser que la mort est une étape vers un arrière monde reste de l’ordre du pari (cf The Fountain).

Donc on tient dur comme fer à ce que l’on a. Partant du principe que les morts ne savent qu’une chose : il est préférable d’être en vie (cf Full Metal Jacket).

It’s hard to let go, isn’t it?

Bill représente par excellence le personnage qui ne veut pas disparaître. Le milliardaire a pris goût à tout contrôler. Passer la main lui est inconcevable. Il se voudrait immortel. La mort est son plus grand drame. Elle ne devrait pas exister. Pourtant elle va bien se matérialiser.

It’s not open for discussion. Nothing is.

La chance que la mort offre à Bill est de ne pas l’emporter subitement dans une crise cardiaque. Ainsi, elle lui laisse le temps de mettre ses affaires en ordre (cf Biutiful).

Dans un ultime effort, il résiste aux requins qui tournent autour de lui. Surtout, il permet à Susan de ne pas s’enfermer dans une vie misérable avec Drew.

I loved Susan from the moment she was born, and I love her now and every minute in between. And what I dream of is a man who will discover her, and that she will discover a man who will love her, who is worthy of her, who is of this world, of this time, and has the grace, compassion and fortitude to walk beside her as she makes her way through this beautiful thing called life.

Quand on a conscience de la mort et de son éventualité, sans la redouter, alors on peut prendre les décisions juste. Montrer la voie. Bill ne subit plus la mort quand il l’invite à sa table. Il sympathise avec elle, presque au point de l’appeler Jojo. Vivre avec la mort lui permet de faire la paix avec ses démons (cf L’échelle de Jacob).

If anything should happen, I’m gonna be okay. And everything’s gonna be all right, and I have no regrets, and I want you to feel the same way.

Il profite du temps qu’il lui reste pour distribuer quelques punchlines.

You have to try, because if you haven’t tried, you haven’t lived.

Il a fait son devoir de père au sens de Michel Jonasz. Ses affaires sont bien rangées. Prêt pour le grande voyage.

I’m going to tell you my one candle wish: that you would have a life as lucky as mine, where you can wake up one morning and say, « I don’t want anything more. »

La grande Histoire dont chacun·e fait partie nous dépasse. Dès lors, on ne vit pas tant pour écrire sa légende personnelle que pour mettre celles et ceux qui suivent dans les meilleures conditions. De ce point de vue, Bill a clairement réussi sa sortie.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

2 commentaires

  • C’est une bien belle manière d’envisager la mort! Une autre optique, beaucoup moins vertueuse, serait de voir en ce film l’idée d’un inceste par procuration. Joe serait une projection du père jeune qui vit une histoire passionnelle avec sa fille. Heureusement tout le monde meurt a la fin, la morale est sauve. Ce film rejoindrait ainsi tous ces auteurs qui dénoncent l’inceste, on citera par exemple Leila Slimani dans son livre ´sexe et mensonges’ qui pointe du doigt les dérives d’un système liberticide ou encore de manière plus militante Cédric, membre du collège de la haute autorite de santé, rappelant que l’inceste est un ´fléau de l’ombre’.

    • Merci Delphine pour ce commentaire allant à l’opposée de ce qui semblerait être l’évidence. Joe Black se présente comme la mort venue chercher Bill. Et si Joe représentait autre chose, comme la part d’ombre de Bill? À travers le personnage de Joe adoubé par Bill, le magnat pourrait ainsi poursuivre son œuvre et aspirer à la vie éternelle, dans un élan mégalomano-incestueux. Une interprétation pas si délirante lorsque l’on connait l’attachement des empereurs à la vie… et aux liens du sang.

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