MOI, BELLE ET JOLIE
Marc Silverstein, Abby Kohn, 2018
LE COMMENTAIRE
Pour commencer à comprendre une partie du drame féminin, il faut entrevoir le reflet qui se cache dans le miroir derrière le visage de la femme. Elle a beau se concentrer sur elle, se regarder dans les yeux et se jurer qu’elle est la plus belle… il y a toujours une ombre plus séduisante dans son dos. Tant d’heures à transpirer, à se faire entendre dire qu’il ne faut pas se comparer aux autres, sans y parvenir.
LE PITCH
Une jeune femme complexée essaie de se reprendre en main.
LE RÉSUMÉ
Renée Barrett (Amy Schumer) est une girl next door, c’est à dire une femme comme les autres. Elle n’a rien d’exceptionnel. Les bébés se mettent à pleurer quand ils l’aperçoivent. Les barmen ne la calculent pas en soirées. Ses formes plutôt rondes lui valent d’être ostracisée par les vendeuses des boutiques de mode (cf Les Hommes préfèrent les grosses).
You can probably find your size online.
Elle travaille dans un sous-sol comme webmaster pour le site de Lilly LeClaire en rêvant de pouvoir rejoindre un jour les prestigieux bureaux de la 5e Avenue de cette grande marque de cosmétiques.
Elle s’inscrit à des cours de spinning. Sa première tentative se solde par un échec retentissant. Elle s’écrase sur sa selle et quitte la salle honteusement, blessée à l’entre-jambes. Renée retourne à son cours et tombe à nouveau, se blessant cette fois-ci à la tête.
C’est une Renée transformée qui reprend ses esprits.
Look at my boobs, look at my ass… I’m… beautiful!!
Elle ose le décolleté, elle sourit, branche les garçons… Non seulement elle postule pour le poste de standardiste chez Lilly LeClaire, mais elle décroche le job après un entretien avec Avery LeClaire (Michelle Williams) en personne, secondée de sa Directrice Financière Helen (Naomi Campbell). Plus rien ne semble l’arrêter. Elle fait un numéro à la Little Miss Sunshine lors d’un bikini contest endiablé. Elle se regarde dans le miroir pendant qu’elle fait l’amour avec Ethan (Rory Scovel).
Tout le monde est sous le charme, y compris le séduisant Grant LeClaire (Tom Hopper).
How do you do that??
Renée prend même du gallon au moment où la compagnie cherche à lancer une nouvelle marque entrée de gamme, précisément pour les clientes comme Renée. Lilly LeClaire (Lauren Hutton), la grand mère d’Avery et fondatrice de cet empire, sent l’opportunité et propose de nommer Renée VP de la future marque. Tout lui sourit. Elle ne se rend même pas compte qu’elle est en train de snober gentiment ses deux meilleures amies Viviane (Aidy Bryant) et Jane (Busy Philipps).
Good news is I can get in, bad news is you guys can’t.
La veille d’une présentation importante à une chaîne de magasins, Renée se reprend une vitre et perd tout sa confiance en elle. Retour à la case départ ou presque. Elle est catastrophée.
I knew it couldn’t last!
Une discussion dans les vestiaires avec Mallory (Emily Ratajkowski) va lui ouvrir les yeux. Elle s’incruste à la soirée de lancement de la nouvelle marque de Lilly LeClaire et fait un speech émouvant pour inciter les femmes à croire en leur propre beauté, à mi-chemin entre Always et This Girl Can. Elle quitte la scène sous les applaudissements et retrouve son petit ami Ethan qui est plus que jamais amoureux d’elle.
Could you see me??
I’ve always seen you.
Renée continue de pédaler, avec le sourire.
L’EXPLICATION
Moi, Belle et Jolie, c’est littéralement tomber sur la tête.
Renée vit bien ancrée dans une réalité new-yorkaise faite de jugements dont la racine reste invariablement esthétique. Dans cette société superficielle, chacun se juge à la couverture.
No one even look at the profile. The picture is all that matters.
On soigne les apparences. Les médias érigent des icônes et nous nous laissons bercer par les sirènes du marketing qui nous font croire que nous pouvons leur ressembler. Pour cela, il nous suffit simplement de gommer notre identité (au cas où on l’aurait trouvée) pour essayer de ressembler à ces modèles que nous ne connaissons pas vraiment et auxquels on ne ressemblera jamais vraiment.
I do look pretty. Just, I don’t know if I look like me.
No you don’t look like yourself. But you do look like Selena Gomez.
Ce système génère des frustrations énormes, notamment pour Renée qui n’est pas exactement une fille qu’on voit dans Elle. Cette pesante vérité l’étouffe. Elle essaie de masquer son impression de ne pas exister par un peu de rouge à lèvres et un semblant d’humour, ce qui ne l’empêche pas de souffrir terriblement.
Aren’t you sick of this??
Après sa chute, elle se voit différemment (cf Je ne suis pas un homme facile). Rien n’a changé, mis à par son regard sur elle-même. Comme quoi, c’est rien et c’est énorme à la fois.
Parce qu’elle se voit belle, elle prend confiance. Elle se permet de taquiner. Et elle séduit. A tel point que tout le monde se demande comment elle fait pour avoir une telle assurance.
Après sa deuxième chute, elle comprend qu’il ne s’agit pas d’une question de perception mais de conviction profonde. La beauté est subjective. C’est plutôt son attitude, son énergie, cette confiance en elle qui ont fait son secret de séduction.
Cette personnalité extravertie, qui transcende l’esthétique, ne peut pas être ignorée par l’industrie. Si la beauté c’est la confiance, alors pourquoi aurait-on besoin de maquillage? Après tout, l’authenticité n’est-elle pas l’opposée de la cosmétique? Ce que démontre Renée c’est que le fond de teint ne transforme pas une femme.
I don’t think that this mascara or wet n wild bronzer could do that kind of heavy lifting so just pray for a miracle.
On croit tenir la solution. On imagine Renée enfin heureuse. Or si l’on croit que se sentir belle n’est qu’une histoire de conviction et que la beauté se résume à la confiance en soi alors on est effectivement tombé sur la tête. Ça n’est malheureusement pas aussi simple.
It’s like a giant game of bingo. But no one wins.
Renée n’est rien d’autre qu’une poule (aux oeufs d’or). Son histoire de confiance en soi prend des allures de révolution, aussitôt détournée par Lilly LeClaire et reprise comme un argument de vente, comme l’a fait Dove par exemple. Le discours rompt avec les codes et ça fonctionne.
That was super weird… and also super effective.
Demain, le marketing de la beauté trouvera d’autres arguments : L’intelligence, l’humour, l’exubérance, la générosité, la simplicité, la subtilité… Il y aura toujours une insécurité à laquelle répondre. La preuve, même la pauvre Mallory, qui ne peut pas faire un geste sans se faire accoster, se plaint de manquer de confiance en elle. Malgré tout, des inconnus l’invitent comme une princesse sur leurs yachts quand elle arrive en Grèce sans qu’elle n’ait à bouger le petit doigt. Ce dont rêverait Renée et certainement beaucoup d’autres femmes. Le serpent se mord un peu la queue. Et chacun voit midi à sa porte.
La vraie question est donc de se demander ce qu’on cherche vraiment dans la vie et d’essayer d’être en accord avec soi-même.
What are your goals exactly?
Faut-il être belle comme Emily Ratajkowski pour plaire, ou avoir du charme comme Amy Schumer ? À qui cherche t’on à plaire ? Quels efforts est-on prêt à faire pour y parvenir ? Quels sacrifices ? Et puis d’abord, faut il nécessairement plaire pour obtenir ce qu’on veut dans la vie ?
Renée donne l’impression de se sentir mieux dans sa peau et dans sa tête. Pas sûr qu’elle ait réglé ses soucis. Elle pédale en faisant du sur place.
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