SPARRING
Samuel Jouy, 2017
LE COMMENTAIRE
Un homme aime se comparer à un grand cru plutôt qu’à de la piquette. En tout cas, certainement pas à du vinaigre. C’est légitime. Alors qu’en vérité, l’homme s’apparente tout simplement à une voiture. Cabossée avec les années. Les cicatrices, les cernes, les cheveux qui grisonnent avant de tomber. Trop de kilomètres au compteur qui finissent par se sentir jusque dans les côtes. Puis un beau jour, l’homme devient bon pour la casse.
LE PITCH
Un boxeur vétéran sert de sac de frappe pour un champion déchu.
LE RÉSUMÉ
Steve Landry (Mathieu Kassovitz) est un combattant de Normandie. La Normandie qui ne fait pas rêver. Oissel.
Il a perdu beaucoup plus de combats qu’il n’en a gagnés. Treize victoires pour trois nuls et trente trois défaites. À quarante cinq ans, cela fait désordre.
Sans doute aurait-il déjà du raccrocher les gants depuis longtemps. Oui mais voilà, il aimerait réussir à payer les cours de piano de sa fille (Billie Blain). Et idéalement pouvoir lui offrir un piano pour qu’elle pratique tous les jours. Se donnant des chances de réussir un concours (cf La Famille Bélier).
C’est pas parce qu’on n’a pas d’argent qu’on va vivre comme des pauvres et qu’elle va pas faire son rêve!
Alors il accepte, contre l’avis de sa femme (Olivia Merilahti), ce qu’il s’était pourtant juré de ne jamais faire : sparring partner.
Pire, il se bat pour être pris comme sparring partner de Tarek M’Barek (Souleymane M’Baye), fraichement remis d’un KO et qui s’apprête à affronter Mathis.
Omar (Lyes Salem), le coach de M’Barek, finit par accepter car Landry a déjà affronté Mathis. S’il n’est pas le sparring rêvé, son expérience pourra toujours servir.
Les entrainements s’enchainent. Landry joue les Rocky, la carrure en moins. Il se fait régulièrement assommer, pour ne pas dire humilié. L’ego détruit.
Faut bien qu’il y ait des gars comme moi aussi.
Difficile de garder son autorité de père quand on s’en prend plein la tête devant ses enfants.
On tape jamais les gens en premier!
Totalement crédible.
Cependant Landry s’accroche pour toucher la prime. Il pense à sa fille justement, au piano et au concours.
Parfois, il glisse quelques conseils précieux à M’Barek.
Tu t’es pas remis de ton KO. T’as peur de prendre des coups, j’l’ai vu. Je vais te dire un truc : Y’a un avant et un après, pour tous les boxeurs. (…) J’t’ai vu. Si tu vas sur le ring comme ça avec Mathis il va te défoncer.
Message reçu.
Pas ingrat, M’Barek lui propose de boxer en levée de rideau suite à une défection. Une sorte de baroud d’honneur pour Landry qui se prépare sérieusement pour l’occasion. Vivre son fantasme une dernière fois (cf The Wrestler).
Le dernier se gagne, y’a pas le choix. (…) Ce soir tu vas mourir un peu, tu comprends ? Alors fais moi voir celui que tu aurais voulu être, celui que tu aurais pu être si quelqu’un avait cru en toi.
C’est beau.
50e combat. Quelques applaudissements quand même. Décision partagée. Même pas de victoire, malgré ces ultimes efforts. Rien de mémorable non plus. Un combat de plus pour rien. Heureusement, pas le combat de trop.
Le short à la machine à laver.
Il est vraiment temps de retrouver Aurore pour assister à son audition (cf De battre mon coeur s’est arrêté).
L’EXPLICATION
Sparring Partner, c’est le bon combat (cf Glory).
Pour peu qu’on voit la vie comme un match de boxe masculine, on peut classer les individus en deux groupes : les vainqueurs d’un côté et les perdants de l’autre. On a tendance à célébrer le plus souvent les vainqueurs, sachant qu’il y a évidemment vainqueur et vainqueur.
Les perdants, quant à eux, restent dans l’ombre de leur coin, dont ils vont disparaitre sans faire de bruit.
Pas la peine de revenir, ça va pas le faire.
Steve Landry fait partie de ceux là. Les losers qui embarrassent leurs enfants et n’excitent plus leurs femmes. Des mecs qui ne paient pas de mine. Qu’on ne remarque pas (cf The Barber), pas en dehors de quelques beaux bleus sur le visage en tout cas (cf Fight Club). Des compétiteurs qui ne savent même plus ce que c’est que de lever les bras au ciel (cf Fighter).
Ça fait combien de temps que t’as pas gagné ?
Steve Landry est un figurant. Un soldat inoffensif.
Il risque pas de me faire mal.
On peut le sacrifier. Quelqu’un qui prend un petit chèque pour se prendre des coups, sans broncher.
Il cherche un sparring qui encaisse et qui fait pas chier.
À chaque fois que Landry essaie de dépasser son rôle, le manager se charge de bien le remettre à sa place. Impossible pour lui de sortir de sa condition.
Je trouve très bien que t’aies des opinions, par contre tu les gardes pour tes copains quand tu vas boire un coup.
Pourtant, Landry remonte sur le ring. Parce que quelque chose le motive pour s’en prendre autant plein la tronche, au delà de la solde ou de la testostérone. Ce qui l’intéresse est ailleurs.
On s’en fout de la mutuelle!
La vie.
Pas sa vie à lui, car la sienne est déjà passée. Il le sait (cf Hollywoodland). Son heure de gloire ne s’est jamais présentée et ne viendra jamais. Même son dernier combat ne laissera pas de trace.
Tant pis. Car la vie, c’est plutôt sa fille. Elle est la suite.
Landry est le sparring idéal pour la petite Aurore. Il prend les coups pour elle, pour son bonheur (cf La Vie est Belle). Coriace. Presque avec le sourire.
Aurore ne paie pas de mine non plus, comme son père. Loin d’être une virtuose, même si elle a un petit talent. On pourrait se demander si elle en vaut la peine.
Son père ne se pose pas la question en ces termes. Il donnerait tout pour elle. Jouer du piano lui fait plaisir ? Alors elle jouera du piano. C’est le plus important. Elle a besoin d’un papa dans l’ombre, qui l’écoute avec fierté au bout du couloir. Avec la pudeur admirable du partner.