UN HÉROS

UN HÉROS

Asghar Farhadi, 2021

LE COMMENTAIRE

Par définition, le héros est celui qui se distingue par sa bravoure exceptionnelle. Son action spontanée joue un rôle déterminant sur le cours de l’Histoire. On pourrait donc s’attendre à ce que le héros soit systématiquement le personnage central. Pas toujours. Parfois, il arrive que le héros dérange. Alors, on s’arrange pour le faire disparaitre (cf JFK).

LE PITCH

Un prisonnier se rend coupable d’une bonne action.

LE RÉSUMÉ

Rahim Soltani (Amir Jadidi) profite de sa permission pour retrouver Farkhondeh (Sahar Goldoost), une jeune femme avec laquelle il compte pouvoir se marier une fois libre (cf Un Prophète). Elle a trouvé par hasard un sac rempli de pièces d’or. Avec cet argent, Rahim pourrait rembourser une partie de la dette qu’il a contractée auprès de Bahram (Mohsen Tanabandeh), son ex-beau-frère qui ne le porte clairement pas dans son coeur.

Il a baratiné tout le monde toute sa vie!

Malheureusement le cours de l’or fluctue et la butin vaut moins que la semaine précédente. Rahim change alors d’avis et décide à la place de publier un avis de recherche. Une personne se manifeste rapidement. Sa description semble effectivement correspondre. La jeune femme passe chez la soeur de Rahim récupérer son sac. Fin de l’histoire.

Pas tout à fait. La direction de la prison apprend le geste de Rahim et en parle à une chaîne de télévision nationale, de manière à saluer la noblesse du détenu – et au passage mettre en avant l’institution carcérale. L’opinion publique commence à s’intéresser à son cas.

Ils appellent tous pour dire qu’ils sont fiers de toi.

L’histoire prend de l’ampleur. Une association décide de venir en aide à Rahim pour payer une partie de sa dette, ce qui permettrait peut-être à Bahram de retirer sa plainte. Rahim pourrait ainsi échelonner le montant de ce qu’il lui reste à payer en trouvant un travail. Par ailleurs, on lui propose déjà un poste dans l’administration.

Braham s’en agace.

Soyez coopératif!

Vous parlez comme si je voulais l’escroquer. Je n’ai jamais déshonoré personne, on va me donner un certificat ? Dans quel pays on félicite les gens pour ne pas avoir fait le mal ? Maintenant il est présenté en héros, et moi je suis le salaud de créancier.

Il accepte finalement, au nom du fils de Rahim (Saleh Karimaei).

Problème : la personne (Ehsan Goodarzi) chargée de recruter Rahim se méfie.

Il y a des rumeurs, il se pourrait que votre histoire ne soit pas vraie…

L’imbroglio commence. Impossible de retrouver la jeune femme qui a récupéré le sac. Rahim n’a aucune preuve de sa bonne action. Soudainement, son histoire semble douteuse. Le diable est dans les détails, que les directeurs de la prison ou l’animateur de TV lui ont notamment demandé de changer.

Tu as rendu l’or?

Oui.

Voilà. C’est tout. Oublie le reste.

Jusqu’à ce que le reste finisse par avoir une importance.

Une personne anonyme fait courir le bruit que Rahim n’est pas fiable, en dépit de ses efforts. Des échanges SMS fuitent et continuent de semer le trouble. Rahim est convaincu que Braham tente de le discréditer. Il le confronte. La rencontre vire à l’empoigne. La fille de Braham (Sarina Farhadi) a tout filmé et menace de diffuser la vidéos sur les réseaux sociaux.

L’association de Madame Radmehr (Fereshteh Sadr Orafaie) l’apprend et menace de reprendre son argent par crainte de perdre toute légitimité. Si la vidéo sortait, tout le monde serait dans l’embarras – y compris la prison.

Vous êtes un modèle. Les gens vous suivent. Vous ne pouvez pas avoir ce genre de comportement!

Le directeur de la prison tente le tout pour le tout avec une interview éhontée du fils de Rahim en larmes. Son père refuse.

Je veux pas que ça soit diffusé, je veux pas que mon fils soit vu comme ça.

On s’en fiche de ce que tu veux. La réputation de tous est en jeu.

Et vous allez la racheter avec le bégaiement de mon fils?

Il décide de tout arrêter. Retour à la case départ. C’est fini.

Demain tu reviens en prison et tu attends de te faire oublier.

Farkhondeh convainc Madame Radmehr de faire un communiqué officiel précisant que Rahim renonce à son argent pour que l’association sauve la vie d’un condamné à mort. Ce qui permet à Rahim de retourner en prison, dans des conditions honorables. Mais retourner en prison malgré tout.

Entrez.

L’EXPLICATION

Un héros, c’est être condamné·e à rester dans l’ombre.

Le monde n’est certainement pas noir ou blanc. Plutôt clair obscur (cf Tenet) comme le fait remarquer le chauffeur de taxi.

Rien n’est juste dans ce monde.

Rempli de nuances qui le rendent plus subtil, donc plus intéressant – mais également plus complexe à appréhender. C’est pourquoi il est difficile de situer l’histoire de Rahim.

On me traite de menteur, j’ai pas menti!

Tu n’as pas dit la vérité non plus.

Bien qu’il s’en défende, il ne donne pas le numéro de la prison tout à fait par hasard. D’une certaine manière, il veut que sa démarche soit connue pour ne pas retourner en cellule. Son geste était-il donc vraiment désintéressé ?

Malgré tout, il est vrai qu’il a pris la décision de ne pas vendre les pièces d’or et de redonner le sac – sans réfléchir. Tout comme il accepte de retourner en prison plutôt que de continuer à se battre, pour préserver son fils. Il est indéniablement héroïque de ce point de vue. Son histoire est belle. Aucune raison d’en douter.

Le malheur de Rahim est que son héroïsme se perd dans le storytelling, cet art du récit devenu absolument nécessaire.

Rahim ne s’attend tout simplement pas à un tel effet boule de neige. Dépassé par les événements. Visiblement pas prêt à composer avec les conséquences de son acte. Il n’a pas calculé, car le héros ne calcule jamais. En tout cas, il n’a clairement pas assez calculé.

Comment je pouvais me douter qu’on aurait besoin de tout ça?

Sa démarche se retrouve kidnappée par son entourage, pervertie par une machine médiatique qui ne sait que s’emballer. L’histoire finit par échapper à tout le monde.

Entre ce que les gens disent et ce qu’ils font…

Personne n’est capable de rester en contrôle du message. Les erreurs de communication se multiplient.

Rahim a voulu faire bouger les choses sans anticiper ce qu’il allait déclencher. Sans réfléchir plus loin.

C’est vous qui avez appelé la TV. Moi j’ai jamais pensé parler de cette histoire. 

Rahim n’est peut-être pas été un héros assez rusé, comme le laisse entendre le directeur de la prison.

Soit tu es très malin, soit très naif.

Ce qui est désintéressé, par essence, n’intéresse personne. Donc voué à rester dans l’ombre, comme Rahim qui doit retourner dans une prison dont la porte est ouverte.

Plus rien ne peut être vraiment désintéressé aujourd’hui. Ainsi les héros modernes doivent aussi fabriquer leur propre légende (cf Le Prestige).

Rahim n’en a pas été capable. Il est un héros à l’ancienne, obligé de rentrer dans sa cage.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

Commentez ou partagez votre explication

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.