LES ÉVADÉS
Frank Darabont, 1994
LE COMMENTAIRE
On a souvent pitié de ces soldats qu’on voit s’entraîner en rampant dans la boue comme des chiens. C’est une erreur. Tout d’abord parce que les chiens ne rampent pas dans la boue. Ensuite parce que ces militaires sont à notre image, nous les galériens du quotidien, subissant chaque jour les ordres de nos tortionnaires. On ne devrait pas avoir pitié de nous-mêmes. Nous sommes tous des adeptes du ramping. On est tous dans le même tunnel jusqu’à ce qu’on sorte enfin de ce parcours du combattant. C’est la seule façon d’apprécier la pluie.
LE PITCH
Un homme cherche à se barrer d’une prison après avoir été condamné à perpétuité.
LE RÉSUMÉ
Andy Dufresne (Tim Robbins) a pour seul défaut d’être cocu. Sa femme s’est faite assassiner sauvagement et tout l’accable. Il va faire l’amère découverte du microcosme pénitencier avec ses prisonniers sodomites, ses geôliers tortionnaires et son directeur corrompu.
Après avoir souffert, Andy va recevoir le soutient de Red (Morgan Freeman) et trouver un moyen de se garantir un certain confort dans la prison en faisant profiter les puissants de ses talents de comptable.
Andy prend sous son aile Tommy, un jeune détenu, qui va lui confirmer qu’il est bien innocent du crime dont on l’accuse, réveillant ainsi le besoin de liberté d’Andy. Norton le directeur (Bob Gunton) ne voit pas cette histoire d’un bon œil. Il va tuer Tommy pour mieux garder Andy dans sa cage. Ce sera le coup de trop.
À force de patience et de détermination, saupoudré d’espoir, Andy va finir par s’évader et donner rendez-vous des années plus tard à son vieux copain Red sur une plage du Mexique.
L’EXPLICATION
Les Évadés, c’est un coming out.
Nous sommes tous plus ou moins englués dans notre routine. C’est Red le fataliste qui l’exprime le mieux:
Same old shit, different day.
Englués dans nos a priori.
Red est le taulier. De loin le plus défaitiste de tous. Complètement pris au piège d’un système (cf Monsieur Schmidt).
Forty years I’ve been asking permission to piss. I cant’ squeeze a drop without say-so.
Tous les dix ans, il a un entretien probatoire qu’il rate immanquablement car il sort le même discours attendu. Il doit attendre le départ d’Andy pour réaliser qu’il n’a plus rien à perdre, et peut-être tout à gagner – comme Hi dans Raising Arizona. Il va donc dire ce qu’il a profondément sur le cœur et s’ouvrir les portes de la liberté.
Andy, qui n’est pourtant pas en prison, est lui aussi pris au piège de sa routine de banquier. Ce qui explique certainement que sa femme voit quelqu’un d’autre. Parfois il faut un bon électrochoc / burn-out (cf Chute Libre), pour pouvoir ouvrir les yeux. Rien de tel qu’une bonne injustice! Comme si on avait besoin de se victimiser avant de finalement se prendre un peu en main.
La routine est tenace. Même à Shawchank, Andy rétablit une routine dans laquelle il finit par y trouver son compte. Il faut une dernière goutte pour faire déborder son vase : Norton qui tue Tommy.
Andy doit passer par la case prison pour s’endurcir. Quelle ironie. Comme quoi il faut parfois manger quelques bananes pour devenir un homme.
On the outside I was an honest man. I had to come to prison to be a crook.
Andy Dufresne, le banquier si propre sur lui (cf Inside job), va devenir un brigand.
Red de son côté est un véritable chien battu. Droopy. La partie est perdue d’avance. Cela ne sert à rien.
Hope can drive a man insane.
Alors qu’Andy est plus philosophe. Après tout, chacun est libre de gérer sa détention à sa manière. Andy prend les choses avec plus de distance et plus de poésie.
Bad luck I guess. It floats around. I was in the path of the tornado, I just didn’t expect the storm would last as long as it has.
Andy incarne l’ouverture des possibles. Il est un admirateur du comte de Monte-Cristo. Il est un oiseau qu’on ne peut enfermer (cf Les vestiges du jour). L’espoir est le diesel qui lui permet de faire l’effort pour traverser la difficulté, symbolisée par un tunnel de merde. Car il faut en baver pour s’en sortir. C’est le prix de la liberté. L’homme doit se faire mal pour parvenir à se sauver.
Notons que l’origine de la douleur vient d’une femme, encore et toujours! C’est la femme qui commence par planter le mec. Comme Eve plante Adam avec sa pink lady. Et c’est sa femme qui envoie Andy en prison. C’est finalement grâce à sa femme qu’il se révèle. Derrière le poster de Raquel Welsh qu’Andy trouve une porte de sortie. La femme révèle l’homme en l’aidant à mieux se détacher d’elle, quel paradoxe incroyablement tordu.
La vraie prison d’Andy était donc dans sa tête. L’homme heureux, c’est celui qui a fait la paix avec lui-même (cf La grande bellezza). Il sera rejoint par son meilleur pote sur une plage du Mexique. Deux hommes qui en ont eu marre et qui ont décidé de mettre les voiles au Mexique, ce qui est quand même autrement plus romantique que rejoindre ses potes au bistro.
Car il s’agit bien de bromance. Red est un pote qu’Andy finira peut-être par se taper, car on ne prend pas que de bonnes habitudes en prison. On sait ce que ça veut dire qu’être amis quand on est en taule. Finalement les évadés sont simplement deux hommes libres et égaux en droit. Un hymne magnifique à l’homosexualité. Ce ne sont pas deux folles qui se seraient échappées de leur cage. Simplement deux hommes qui s’apprécient (cf Moonlight) et qui ont gagné le droit de se la couler douce au Mexique. Il y fait plus chaud qu’à la montagne (cf Brokeback Mountain).
Libre à eux d’occuper leur temps comme ils le souhaitent. Loin des regards et des jugements. Ils s’offrent enfin la vie de rêve (cf Scarface).
Bravo à eux.
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