LES HUIT MONTAGNES
Felix Van Groeningen, Charlotte Vandermeersch, 2022
LE COMMENTAIRE
Qu’il est bon de sortir de l’enfer des villes pour prendre un peu l’air à la montagne. Prendre de la hauteur. De là-haut, nos pensées obsessives se décollent avec le vent. Si Jean Ferrat disait de la montagne qu’elle était belle, ce n’était pas dans une optique de sports d’hiver (cf Les Bronzés font du ski), mais plutôt parce qu’elle nous permet de remettre les petites personnes que nous sommes à leur place.
LE PITCH
Deux amis d’enfance construisent une maison à la montagne.
LE RÉSUMÉ
Le petit Pietro Guasti (Lupo Barbiero) passe des vacances avec sa mère (Elena Lietti) à Grana, un petit village de la Vallée d’Aoste. Là-bas, il y fait la connaissance de Bruno (Cristiano Sassella) qui vit à Grana avec son père. Quelques jours au grand air, puis Pietro et sa mère retournent à Turin.
La famille Guasti retourne à Grana dès qu’elle en a l’occasion. Le père Giovanni (Filippo Timi) aime faire des randonnées vers les sommets. Il emmène les deux garçons. Les Guasti propose à la famille de Bruno de le prendre avec eux à Turin pour qu’il puisse faire des études, mais le père refuse.
Pietro (Andrea Palma) grandit. Il commence à se disputer avec son père.
Fous pas ta vie en l’air!
C’est toi qui a gâché la tienne! (…) Je deviendrai pas comme toi!
Qu’est-ce qu’on est intelligent quand on est adolescent quand même…
Pietro (Luca Marinelli) quitte le nid familial. Il ne parle plus à son père. Quelques années plus tard, il apprend que Giovanni est mort d’un arrêt cardiaque au volant, en prenant soin au préalable de se mettre sur le bas côté de la route avec ses feux d’avertissement.
Pietro hérite d’une maison en ruine sur les hauteurs. Un projet de son père qui voulait se retirer du monde, loin des gens. Bruno (Alessandro Borghi) est devenu maçon comme son père. Il continuait de voir Giovanni et s’était engagé auprès de lui à finir la maison. Alors il propose à Pietro de l’aider.
Je lui ai promis. Même sans lui ça change rien.
La maison finie donne l’occasion à Pietro de revenir dans les montagnes chaque année pour voir son ami – comme s’il avait besoin d’une raison.
Bruno se met en couple avec Lara (Elisabetta Mazzullo). Le couple a une petite fille et lance son commerce de fromage.
De son côté, Pietro nourrit son amour de la montagne en partant au Népal pour explorer l’Himalaya (cf Everest). Il écrit des livres. Les années passent…
Je ne sais pas si je reviendrai l’an prochain…
Les affaires de Bruno se compliquent. Peut-être était-il juste fait pour être berger? Il se sépare de Lara et abuse de la Grappa. Sa relation avec Pietro se défait également. Celui-ci revient malgré tout à Grana, répondant au SOS de son pote.
On est toujours amis hein?
(…) Tu veux que je vienne ?
Oui… ce serait bien.
Pietro retrouve le journal que Giovanni avait enfoui sous des cailloux il y a des années. Le fils entreprend de refaire tous les sentiers que son père a parcouru.
L’hiver suivant, Bruno ne donne plus de nouvelle. Les secours ne trouve personne dans la maison. Au printemps suivant, sa dépouille est retrouvée par les corbeaux. Pietro se demande ce qui continue de le lier à Grana.
Ce qu’on avait construit ensemble, quand resterait il maintenant que l’un de nous n’est plus ?
C’est pour entretenir la mémoire de son ami, et de son père, qu’il continuera de retourner dans les montagnes.
L’EXPLICATION
Les huit montagnes, c’est une chaîne humaine.
Quand on est un rat des villes, on se croit très malin. Tout va vite, tout paraît dangereux. On s’active bien dans la fourmilière, à se croire très importants (cf Fourmiz) et à occuper le vide. Consumer la majeure partie de sa vie à la gagner.
Pietro découvre d’abord la montagne avec sa mère, plein d’a priori négatifs envers Bruno qui a pourtant son âge et avec lequel il partage le statut de petit garçon. Et puis il va commencer à bien s’amuser avec ce rat des montagnes finalement plutôt sympa.
Au point de vouloir retourner à la montagne dès que possible (cf Brokeback Mountains), et à en haïr la ville. Pietro s’élève contre ses parents lorsqu’ils émettent l’idée que Bruno puisse venir vivre à Turin pour étudier précisément car Pietro veut le protéger de la ville. Il veut garder la pureté de son copain intact, même si cela prive Bruno de toute chance de finir ingénieur dans une grande entreprise.
Sans le savoir, Pietro a découvert ce que la montagne représente. Il ne s’en rend pas compte immédiatement – même si l’attraction de la montagne est évidente. Lorsqu’il part faire une randonnée sur le glacier avec son père et Bruno, il est victime du mal lié à l’altitude. La tête lui tourne. Pietro ne perçoit que la dimension de performance dans la randonnée alpine et il a l’impression d’avoir échoué (cf Le Sommet des Dieux).
On ne fait pas demi-tour.
À l’adolescence, la montagne devient même un sujet de discorde : il ne veut plus y aller – pour s’opposer à son paternel. Incroyable. Il n’y a pas à dire, on atteint un pic d’intelligence à l’adolescence.
Plus tard, grâce aux années, Pietro comprend que la montagne n’est pas un simple coup de coeur pour lui mais une véritable histoire d’amour car elle le relie aux autres (cf Cliffhanger).
Elle le relie à son père, avec lequel il n’aura pas su communiquer de son vivant. À Grana, Pietro va comprendre ce qu’il fiche sur cette planète en commençant à se poser les bonnes questions. Il marche dans les traces de son vieux.
Qu’est ce que voulait mon père? Que devais je faire d’une promesse perdue?
Il réalise qu’il fut bien bête d’envoyer son loser de père sur les roses (cf Au nom du père) et qu’il donnerait tout ce qu’il a pour pouvoir échanger avec lui à nouveau s’il le pouvait (cf Little Odessa). Bruno le réconforte.
Il aurait été content de ce que tu es en train de faire.
Grâce à la montagne, Pietro garde le lien avec son ami Bruno – une autre partie de lui-même. Un personnage à la Henry Thoreau. Bruno comprend le monde bien que beaucoup de citadins, sans avoir lu de manuel.
Il y a que les gens de la ville comme vous qui parlez de ‘nature’.
Bruno est l’ancrage de Pietro. Grâce à la montagne, il prend racine. Construit une maison. L’arbre qu’il a replanté à proximité de la maison et qui continue de pousser malgré tout. Bruno est ce qui relie Pietro au monde.
J’avais l’impression d’être passé à côté de l’essentiel.
La mort de son ami donne d’abord des scrupules à Pietro.
Je suis parti trop loin. J’aurais dû rester ici.
Puis il se rappelle des paroles pleines de sagesse de son père.
Le glacier se déplace tout le temps.
La montagne l’accompagne partout où il va. Pas besoin d’un pendentif en forme de glacier acheté dans une boutique pour touristes, ni de faire les fameuses huit montagnes pour percer le coeur de l’existence. Il reste à jamais lié à ceux qu’il aime.
Quand on prend de la hauteur pour la contempler, c’est comme si tout disparaissait. On ne distingue plus la maison parmi les roches dans la neige. La montagne est une manière de se fondre dans la grande Histoire.