LITTLE ODESSA
James Gray, 1995
LE COMMENTAIRE
Les angoisses apparaissent souvent au moment d’éteindre les lumières (cf it comes at night). Quand la nuit tombe et qu’on se retrouve seul dans sa chambre, la tête sur l’oreiller. Aujourd’hui déjà disparu. Demain encore capricieux. Coincé dans l’instant.
LE PITCH
Un tueur retourne chez lui pour honorer un contrat, bien qu’il soit persona non grata.
LE RÉSUMÉ
Joshua Shapira (Tim Roth) est un tueur à gage efficace (cf Leon). Tricard à Brighton Beach, le parrain de la mafia locale Boris Volkoff (Paul Guilfoyle) le cherche. Sa famille vit toujours là-bas: son petit frère Reuben (Edward Furlong). Irina (Vanessa Redgrave), sa mère, est gravement malade. Son père Arkady (Maximilian Schell) gère un kiosque à journaux.
Josha prévient son frère de sa présence à Brighton Beach. Reuben lui apprend que leur mère est souffrante.
Mom’s gonna die. She got a brain tumor.
Joshua prépare l’assassinat de Pahlevi (Mohammed Ghaffari) mais il veut naturellement profiter d’être de retour à la maison pour rendre visite à sa mère, malgré les relations tendues avec Arkady. Joshua veut également revoir Alla Shustervich (Moira Kelly) pour laquelle il a le béguin.
Reuben surprend son père avec sa maîtresse. Joshua en profite pour négocier un cessez le feu avec Arkady. Il va pouvoir revoir sa mère, en tête à tête. Elle lui reparle du temps où il était petit et il construisait des maquettes d’avion pour son père. Il a oublié. Elle lui demande aussi de prendre soin de son frère.
I know you can change. You don’t believe it but I know you can.
Joshua se remet au travail et execute son contrat. Volkoff furieux met la pression sur Arkady pour obtenir des informations. Le père ne dit rien. Par contre, Arkady défend formellement Reuben de revoir Joshua. Il le bat à coups de ceinture.
S’en est trop pour Joshua qui braque son père et s’apprête même à l’executer. Il se retient au dernier moment. Face à cette violence, Arkady cède. Il appelle Volkoff et dénonce son propre fils.
Les hommes de Volkoff abattent d’abord Alla. Reuben se retrouve victime collatérale pour s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, par la faute de son frère.
Joshua s’était caché. Il découvre le carnage puis emporte le corps de son frère sans rien dire pour l’immoler, là où il fait disparaitre ses autres victimes.
Seul, Joshua repense avec tristesse à son frère et sa mère.
L’EXPLICATION
Little Odessa, c’est disparaître dans l’ombre.
Joshua a quitté sa famille pour devenir un tueur à gages. Il a fait le choix de la mort. S’il n’a pas disparu pour ses parents, à leurs yeux il n’existe simplement plus.
They think you’re dead.
Joshua n’est peut-être pas encore mort mais il l’est définitivement à l’intérieur. Il s’est équipé d’un blouson en cuir et d’un revolver pour mieux faire face à la vie et son cortège de souffrances parmi lesquelles la maladie de sa mère ou la violence de son père. Sauf qu’il est devenu un fantôme. Il n’est littéralement pas là (cf The barber). On n’est pas censé l’avoir vu.
Nobody can know I’m here.
Indéchiffrable. Impossible de savoir s’il est content de revoir son frère ou s’il est ému de voir sa mère. Froid comme un Russe qui ne tremble pas au moment de la mise à mort.
Hey, do you believe in God?
Yes!
Good. We’ll wait ten seconds and see if he comes to save you.
Arkady est également dans l’ombre. Il frappe ses fils et trompe sa femme alors qu’elle est sur le point de mourir. En plus, il signe l’arrêt de mort de Joshua en le balançant à Volkoff.
Arkady fait du mieux qu’il peut. Cela ne suffit pas. Il n’est simplement pas parfait. Il s’en explique auprès de Reuben, dans le plus pur style patriarcal:
I’m sorry I hit you. But you’re always running away. I don’t want you to see Joshua anymore. Joshua is not your brother anymore. Understand? I’ve spent my life trying to make things better for you, I don’t make apologies. If I make mistakes, I’m sorry. (…) Do you think I enjoy selling gifts and magazines? (…) I know you don’t respect me, but Lord knows I try my best. Reuben.
Arkady se sent profondément coupable. Il aime sa femme et essaie juste de s’accrocher comme il le peut en trouvant du réconfort auprès de sa maitresse. Ses fils le détestent et ça le désespère (cf Au nom du père).
You know there is a saying: When a child is six years old, it says : « my father can do everything », when he’s twelve, he says, « my father can almost do everything », when he’s sixteen, he says, « my father is an idiot », when he’s twenty-four, he says, « my father wasn’t maybe such an idiot », and then, when he’s forty, he says, « if I could only ask my father ». But I’m afraid my sons will never ask themselves that.
Au moment de perdre sa propre vie, Arkady le faible implore pourtant son bourreau d’épargner la vie de son autre fils. Il le prie de s’éloigner de Reuben car il sait son influence néfaste.
I don’t know what made you what you are. All I ask you is to leave Reuben alone, please.
Arkady n’a pas totalement démissionné, à l’inverse de son fils.
Aren’t you gonna say anything? You’re a big man, is that it? You’re a big man?
I don’t need a gun to be a man.
Quand Joshua revient il essaie de rattraper le temps perdu en jouant les justiciers ou les grands frères. Ses grands discours tombent à plat.
You’ve been very strong, you don’t always have to feel that way, you can feel sad about it.
Joshua n’arrive même pas à répondre à Reuben quand celui-ci lui dit qu’il l’aime. Il se cache quand son frère se prend une balle dans le dos. Son choix le ramène là d’où il vient. Il est damné et voit sa famille détruite par sa faute. Obligé de prendre ses responsabilités. Il reste seul.
Le constat est amer : il a tout gâché.
You’ve destroyed us.
Le néant a envahi Joshua. Il ne rêve plus (cf Neverending Story). Tout est sombre. Son monde a définitivement disparu dans les ténèbres (cf le Parrain 2).
Les premiers pas remarqués de James Gray
En effet! Encore un film sous-évalué et mal vendu par son trailer…
Salut! J’aime beaucoup tes petits commentaires de films. C’est très agréable à lire et ce sont de parfaits petits résumés. Tu saisis bien en général l’essence de la trame (même si parfois on aimerait en (s)avoir encore un peu plus).
Little Odessa, c’est le genre de film qui me mets parfois paradoxalement sur un petit nuage. C’est tellement noir. Ca rappel un peu par certains côtés American History X – mais c’est plus « pop » dans l’ensemble – (l’histoire de deux frères, la conclusion et évidemment Edward Furlong).
J’ai été un peu déçu par son dernier, Ad Astra par contre (c’est grandiose par certains côtés – la réalisation -, mais par contre niveau scénar c’est un peu plan-plan – le développement du personnage, ça fait un peu vu et revu, un peu décevant pour du James Gray -).
Quelques suggestions éventuellement qui manquent au bataillon pour l’instant – mais en règle générale je retrouve déjà beaucoup de films que j’apprécie, t’es un vrai stakhanovist ! -) : Drugstore Cowboy (dont l’introduction me fait toujours penser à Serpico – ou L’impasse – …et sont limite à me procurer les frissons de celle de Raging Bull – bon quand même pas, faut pas déconner -), A la rencontre de Forrester, Rusty James (au hasard ^^), Basketball Diaries (pas mon film préféré mais bon, pourquoi pas ?), Verdict (ça manque de Lumet !), Red Rock West (vraiment dommage que John Dahl ne fasse plus grand chose), Impitoyable ou encore aller Clueless (ou du John Hughes ? La folle journée de Ferris Bueller ?) pour changer de style. Voir quelques films sur le sport (toi qui a l’air un peu branché foot et PSG – complètement d’accord avec toi pour Mbappé… bon par contre faut dire que moi je suis Monaco ^^ …et oui y’en a quelques uns -) : Le grand défi ? Le meilleur ? Warrior ?
T’as de quoi faire maintenant pendant le confinement :p
Non, bravo et merci, très bon site !
Merci pour ce commentaire, Little Odessa est effectivement vraiment sombre, jusque dans son traitement.
J’ai plutôt apprécié Ad Astra, même si je suis d’accord sur le faux rythme. L’intérêt du film réside dans son voyage, au bout de lui-même. Un peu comme l’odyssée du Capitaine Willard dans Apocalypse Now.
Et merci beaucoup pour ces recommandations, dont certaines ne me sont pas inconnues. À suivre prochainement!
Je ne suis pas totalement d’accord avec votre jugement négatif sur Joshua : il a fui un quartier pourri et une famille toxique où ne règne que la violence. Il a certes à son tour choisi la voie de la violence mais le véritable responsable est son père . Et Brooklyn aussi d’ailleurs. En outre je pense que Joshua aime vraiment son frère ainsi que sa mère : (il s’est d’ailleurs mis en danger de mort pour les revoir. ) bonne soirée. Cdt
Merci beaucoup Sylvain, je ne suis pas sûr que mon jugement sur le personnage de Joshua soit négatif. J’observe plutôt qu’il n’a pas d’attache. Lorsqu’il revient dans son quartier, c’est parce qu’on l’a programmé pour tuer. Il essaie de reconnecter avec les siens mais ses tentatives échouent. Joshua ne se réconcilie pas avec son père et provoque involontairement la mort de son frère. Il réussit seulement à faire ses adieux à sa mère.
Votre approche sur Brooklyn est intéressante : est-ce la société qui corrompt l’individu?
Cela fonctionne dans les deux sens : la société corrompt l’homme mais c’est à la base parce que les hommes moralement corrompus sont ceux ayant le plus de chances d’y réussir (pouvoir, argent etc) que la société est elle-même corrompue.
La Société est un mal nécessaire : ce qui signifie que son existence est indispensable mais que sa nature est intrinsèquement mauvaise. Dans certains endroits encore plus qu’ailleurs…Et il est certain que grandir dans les quartiers de New York (ou de Chicago, ou de Londres, ou de Paris etc etc) où règne la loi de la jungle n’est pas idéal pour le psychisme. A fortiori le fait de grandir dans une famille toxique. Bonne journée.
Merci Sylvain. On peut se demander si le raisonnement s’applique à certains endroits. S’il n’est pas simple de grandir dans un quartier (cf Athena, Gomorra, Capharnaüm), il n’est finalement pas plus évident de grandir dans un trou paumé au Texas (cf Massacre à la tronçonneuse).