PODIUM
Yann Moix, 2004
LE COMMENTAIRE
Les artistes ne font pas que composer leurs oeuvres, ils les partagent avec leur public. Quel plus beau moment pour eux que celui de la communion avec leurs fans. Quand Freddy Mercury (cf Bohemian Rhapsody) fait chanter des dizaines de milliers de spectateurs ou quand Iggy Pop se jette dans la foule. Les sosies de ces stars ne récoltent en général que des miettes. Et pourtant ils ne ménagent pas leurs efforts. Le frisson procure la même sensation.
LE PITCH
Un sosie de Claude François sort de se retraite pour revenir sur le devant de la scène.
LE RÉSUMÉ
Bernard Frédéric (Benoît Poelvoorde) mène une double-vie. Il est banquier mais aussi sosie de Claude François. Le meilleur sosie de tous à en croire Jean-Baptiste Coussaud (Jean-Paul Rouve) dit ‘Couscous’, alias Michel PolnarG, sosie de Michel Polnareff. Bernard Frédéric livre des spectacles mémorables en boîtes de nuit ou à la foire aux asperges. Lui qui est plutôt près de ses sous n’hésite pas à dépenser des fortunes pour acheter des objets de collection ayant appartenus à Cloclo. Le sujet est sensible.
Parce que Claude François c’est quoi ? Claude François c’est de l’émotion, c’est de la poésie…
La poésie c’est plutôt Brassens non ?
Qu’est-ce tu m’emmerdes avec Brassens toi? L’autre moustache qui fait rimer couilles avec nouilles. ‘J’ai perdu ma couille au fond du ravin…’
Véro (Julie Depardieu), une fan de Julie Clerc, n’en peut plus et pose un ultimatum à son compagnon : il doit choisir entre sa famille ou sa carrière. Bernard abandonne la scène.
5 ans plus tard, Bernard traine sa misère. Il découvre par hasard qu’Évelyne Thomas va bientôt présenter ‘la nuit des sosies’, spéciale Claude Francois. 100,000 euros à la clé. Couscous appelle dans la foulée. Bernard doit remettre le costume. Surtout après avoir reçu un appel téléphonique de Cloclo himself en pleine nuit. Véro n’a pas son mot à dire.
Accompagné de Couscous, Bernard se remet à l’entrainement. Il réalise un montage financier en accordant un crédit à Couscous pourtant interdit bancaire.
Je choisis la solution offensive. OFFENSIVE!
Bernard organise des auditions de Bernadettes. Son grand rival, Claude David (Olivier Mag) est en panique. Il a profité de l’absence de la star pendant cinq ans. Il sent que la consécration peut lui échapper. Alors il envoie Vanessa (Marie Guillard), l’une de ses danseuses, rejoindre les Bernadettes de Bernard Frédéric pour mieux lui savonner la planche.
Vanessa séduit le sosie et lui fait tourner la tête. Véro décide de le mettre à la porte. Et la taupe parachève son travail de sape en faisant trébucher Bernard Frédéric lors du casting de l’émission. Cet incident donne l’occasion à l’artiste de briller en faisant une déclaration d’amour à son public.
Vous croyez que Claude se cassait jamais la gueule ?? Y’a que les ptits Cloclos frileux qui font jamais de chute. Vous croyez que j’en ai quelque chose à foutre de vos conneries ? Tiens regarde là j’suis tout nu… Quoi ? Faudrait que je fasse un CAP Cloclo pour animer la foire au boudin à Auchan ? C’est pas les ronds de cuir qui m’ont fait moi… C’est le public!
Devant les applaudissements, le jury est presque contraint de le sélectionner pour la finale.
Bernard s’est fait viré de son job et de son appartement témoin. Il songe au suicide. Par chance, il se remettra de son électrocution pour se rendre sur le plateau et livrer l’une de ses performances les plus émouvantes. Il chante ‘ma préférence à moi’ de Julien Clerc en hommage à Véro, en larmes devant son petit écran.
Le couple se retrouve au restaurant. Cette fois-ci c’est Véro qui choisit. Couscous fait du babysitting. Et le fiston bosse sa chorégraphie sur Belinda.
L’EXPLICATION
Podium, c’est arrêter de vivre par procuration.
Bernard Frédéric est presque bipolaire puisqu’il est éteint en tant que banquier. Lorsqu’il devient Claude François, il se transforme en un personnage remarquable, euphorique et parfaitement mégalomane.
Tu parles à qui là ? Bernard Frédéric c’est 5 employés… c’est 80 appels téléphoniques par semaines, c’est 30 lettres de fans par jour. Bernard Frédéric c’est 2 litres de sueur par gala, 3 syncopes par tournée, 12,000km sur les routes par an. C’est une énorme addition. Une gigantesque machine de guerre!
Il a du mal à faire cohabiter les deux. Son portefeuille a besoin du salaire du banquier et son coeur bat au rythme des Magnolias. Sa femme a du mal à cohabiter également.
J’en ai marre d’habiter dans un appartement témoin avec un mari témoin.
Véro a des faux airs de Julie (cf Bienvenue chez les Ch’tis). Elle voit son mari dépenser les économies du foyer sur un coup de tête. Elle craint qu’il se déconnecte de la réalité du foyer. Et pourquoi aurait-il droit de vivre sa passion et pas elle ? Quand elle lui demande de choisir, elle fait cependant une grosse erreur. Car Bernard n’est ni A, ni B, il est quelque part entre les deux. Les femmes savent pourtant bien qu’une personnalité est multi-facettes.
Pourquoi les hommes n’auraient pas le droit de l’être également ? En le poussant à prendre une décision, Véro espère trouver LA personne qui se cache derrière son mari. Tout ce qu’elle va faire, c’est vivre avec un banquier pendant cinq ans avant que le phénix du sosie de Claude François ne reprenne le contrôle. Bernard passe d’un extrême à l’autre.
Lorsqu’il devient Claude François, il est un sosie. C’est à dire un double. Un individu qui prend la place d’un autre pour mieux combler son propre vide.
C’est quoi un sosie papa ?
Un sosie ? C’est un Dieu grec. Sosiris…
Il n’avait aucune personnalité…
Les questions des journalistes l’ennuient.
Vous n’avez jamais eu envie d’être vous même ?
Mais t’as rien compris toi!!
Des gens qui vivent de cette manière, nous en connaissons tous. Nous vivons peut-être comme ça nous-mêmes sans nous l’avouer. Couscous le fait pourtant remarquer : Nous sommes trop nombreux sur ce marché. On se moque de Claude David et de Michel PolnarG pour ne pas avoir à se moquer de nous-mêmes. On se planque par confort dans notre petite vie de banquier ou de vendeuse intérimaire chez Pantashop, même si ça ne nous satisfait pas dans le fond.
Ce ne sont ni plus ni moins que d’autres sosies plus simples à gérer. Ils nous donnent l’illusion que nous n’avons pas besoin de nous poser les questions essentielles sur l’existence.
Bernard fait un progrès énorme dès lors qu’il reconnaît sa part d’imposture.
À part ta paperasse, y’a rien qui me dit que t’es pas un imposteur. Toi t’es un imposteur, moi j’suis un imposteur, ta secrétaire… On est tous des imposteurs. Est-ce que Bernard Frédéric t’empêche d’exercer ton métier d’imposteur. Alors t’es gentil, tu n’empêches pas Bernard Frédéric d’exercer son métier de Claude François.
À partir de ce moment, il joue le jeu à fond et va devenir insupportable. Car ce Claude François n’est pas facile à vivre. Il fait le vide autour de lui. Son ego a pris toute la place. Et il finit par s’isoler et déprimer au point de vouloir mettre fin à ses jours. En touchant cette ampoule, symbole de la découverte, Bernard Frédéric ne fait pas que se prendre un coup de jus. Il réalise aussi quelque chose d’essentiel au bonheur : la réconciliation.
Bernard a besoin de sa femme et son fils, d’un boulot et de sa passion. Désormais il le sait. Une fois sur le podium, il se met en retrait. Il fait chanter Julien Clerc plutôt que Cloclo. C’est une manière de commencer à s’y retrouver dans ce mélange. Plutôt que de se radicaliser en empruntant des rôles rassurants, il lui faut trouver l’équilibre. Il va devoir apprendre à investir son propre personnage, tout en nuances.
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