LA HAINE
Mathieu Kassovitz, 1995
LE COMMENTAIRE
La situation dans les banlieues est explosive. Des générations parquées dans des HLM, sans espoir de pouvoir en sortir car l’ascenseur social est en panne. Dans les banlieues non plus on n’a pas envie de déposer les armes.
LE PITCH
La cité des Muguets se réveille péniblement après les émeutes.
LE RÉSUMÉ
Suite aux émeutes dans une cité des Yvelines, le jeune Abdel est grièvement blessé par la faute d’une bavure policière. Ses potes Vinz (Vincent Cassel), Saïd (Saïd Taghmaoui) et Hubert (Hubert Koundé) se retrouvent le lendemain sur le toit d’un immeuble pour débattre des événements autour d’un sandwich merguez frites. La rumeur court. Un policier aurait perdu son calibre dans la cité.
C’est Vinz qui l’a trouvé.
Avec un truc comme ça, t’es trop le boss dans la cité.
Vinz est visiblement décidé à s’en servir pour fumer un schmidt. Hubert garde la tête froide et essaie de calmer les ardeurs de son pote en lui rappelant que ça ne servirait pas à grand chose. Vinz a pourtant grave les nerfs contre le système.
Si tu donnes ta joue tu te fais niquer ta mère.
Ils se rendent tous les trois à l’hôpital pour voir Abdel. La police les empêche de passer. La situation s’échauffe et Saïd est emmené au poste. Libéré par un ami de son frère qui bosse dans la police, Saïd doit se rendre dans Paris pour retrouver ‘Asterix’ qui lui doit 500 francs. Au pied de l’immeuble, ils se font arrêter par la police. Vinz parvient à s’échapper. Said et Hubert sont emmenés au poste et se font tabasser, sans raison, avant d’être libérés, malheureusement trop tard pour attraper le dernier train de banlieue.
Ils zonent dans Paris et s’incrustent à un vernissage avant de se faire mettre dehors. Puis ils essaient de tirer une voiture pour rentrer avant de se faire à nouveau coincer par les flics. Ils profitent alors de la présence d’un badaud bourré (Vincent Lindon) pour échapper aux forces de l’ordre. Enfin, ils échouent dans un centre commercial et constatent médusés qu’Abdel est finalement décédé de ses blessures. Hubert craint que Vinz ne mette ses menaces à exécution: il avait promis de tuer un flic si Abdel y passait.
C’est sur une bande de skinheads qu’ils vont finalement tomber au coin d’une rue. Vinz intervient en catastrophe avec son flingue pour les faire fuir. Il braque l’un des skinheads (Mathieu Kassovitz). Hubert le pacificste incite Vinz à lui tirer dessus.
Un bon skin c’est un skin mort!
Vinz se dégonfle et finit par le laisser partir. Hubert récupère le Magnum.
Au petit matin, la bande se sépare. Saïd et Vinz se font à nouveau coincer par la brigade. L’un des policiers provoque Vinz avec son flingue et finit par lui tirer dessus. Hubert est sur le point de craquer. Il prend son revolver. Lui et le policier se tiennent mutuellement en respect… jusqu’à ce que l’un des deux ne tire.
Jusqu’ici tout va bien…
L’EXPLICATION
La Haine, c’est ne pas finir la journée.
Une journée va vite et malgré tout, peut-être bien remplie. Il suffit d’un rien pour que tout bascule, surtout dans un environnement aussi explosif. Les banlieues sont devenues une poudrière dans laquelle les jeunes et la Police jouent au chat et à la souris.
Cette situation est la conséquence d’une utopie née dans les Trente Glorieuses selon laquelle les gens pourraient vivre heureux dans des banlieues dortoirs. Le rêve de béton s’est petit à petit transformé en cauchemar après le choc pétrolier. On a préféré ignorer le problème. La puanteur du pet finit cependant toujours arriver aux narines de quelqu’un, même celles de Jacques Chirac. Les gens, parqués dans les HLM, n’en peuvent plus (cf 8 Mile). Ils ne brûlent pas des voitures pour le plaisir, plutôt par exaspération.
J’en ai plein le cul de subir ce putain système tous les jours comme un connard. On est là on vit dans des trous à rat comme des merdes. Et quoi tu fais quelque chose pour changer les choses?
Vinz, Hubert et Saïd ont trois rôles bien définis.
Hubert est convaincu que la violence n’est pas la solution (cf Qu’Allah bénisse la France).
La haine attire la haine.
Vinz au contraire veut mettre le feu. Il n’en peut plus qu’on lui manque de respect et imite de Niro dans la glace (cf Taxi Driver).
C’est à moi qu’tu parles??
Saïd est un médiateur. Il est neutre.
Passer 48h au poste à se prendre des grosses tartes dans la gueule et rentrer chez moi pour qu’mes parents y m’égorgent? J’vois pas l’kiff.
Tous les trois vivent l’injustice de la mort de leur pote, victime d’une énième bavure, qu’ils apprennent dans le temple de la société de consommation. Ils se retrouvent coincés dans une situation qu’ils n’ont pas voulu et face à une opposition qui ne sait déjà plus quoi faire. La police fait figure de professeur dépassé dans une classe remplie d’élèves turbulents pour lesquels le système n’a aucun avenir à proposer (cf Entre les Murs).
Je sais plus quoi faire. Y’a quelques années y’avait un dialogue possible avec eux mais plus maintenant. T’imagine un flic qui débute ici, plein de bonne volonté, il tient pas plus d’un mois.
Personne n’a de solution. Personne n’essaie. Ceux qui pourraient changer les choses préfèrent ne pas bouger. Ainsi Hubert dénonce cet homme qui prend l’escalator sans descendre les marches.
Regarde… c’est la pire des races, ceux qui se laissent porter par le système. C’est les mêmes qui votent Le Pen mais qui sont pas racistes.
On est tous responsable. Tous à cran (cf Polisse). Dans la même impasse. On essaie de rester positif et de se convaincre que tout ne va pas si mal.
L’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage.
Un peu comme le personnage du générique de Mad Men, on espère atterrir dans le confort d’un canapé Cuir Center. Malheureusement les cités sont bien réelles. La situation ne s’est pas beaucoup améliorée en vingt ans (cf Les Misérables), dans des banlieues qui sont maintenant draguées par l’extrême droite – un comble. Le racisme et le chômage continuent de créer des turbulences. On aura de la chance si on ne crève qu’un pneu au moment de l’atterrissage.
Bonjour !
Faisant des recherches, j’ai fini par croiser votre analyse de ce film que je trouve magnifique : La Haine. Analyse que je trouve soi dit en passant, des plus pertinentes.
Ceci dit, je n’y ai pas trouvé la réponse à la question que je me posais à la base. Et je me suis demandé alors, pourquoi ne pas poser cette fameuse question directement à vous, l’auteur de cette analyse ?
Depuis que j’ai vu ce film, une scène précise m’interpelle (même si le film entier est porteur de sens…) : La scène des toilettes, où notre trio rencontre un vieil homme, qui leur raconte alors l’histoire de « Gutowski (?) »…
Il est des scènes dont on sent bien qu’elles ont un sens précis et profond, sans toujours parvenir à mettre le doigt précisément dessus… Celle-ci en est une pour moi.
Cette histoire a un sens. J’en suis sûr, certain. Mais j’hésite entre de multiples interprétations, ce qui est peut être plus frustrant encore que de n’en avoir aucune.
Que signifie donc cette scène, cette histoire ? Comme disait Saïd : « Pourquoi il nous a raconté ça ? Hein ? Pourquoi il a raconté ça ?? » En y pensant d’ailleurs, j’ai l’impression que Hubert et Vince, eux, silencieux (le regard baissé ?), pourraient presque laisser penser qu’ils ont compris…
Que faut-il en comprendre ???
Que les moqueries du vieil homme à son ami ont fini par causer la perte de ce dernier, s’étant trop éloigné du train ?
Est-ce le pantalon ne tenant pas, qui était au centre de l’histoire ?
Ou peut être le train « qui n’attend pas » ?
Le froid ??
Si je devais rencontrer Mr Kassovitz, je ne manquerais pas de lui poser la question, mais je doute de le croiser un jour…
En tout cas, merci pour cet article, et pour votre site, que je vais probablement aller visiter de ce pas. De films comme La Haine méritent amplement de disposer de pages leur étant dédiées sur Internet. De tels sites les protègent de l’oubli.
Bonne continuation.
Merci pour votre commentaire Fred.
Effectivement dans La Haine, il y a la « parabole » Grunwalski https://www.youtube.com/watch?v=sOHp_UV77zY
Ce qu’il faut comprendre c’est que pendant que Vinz et Hubert s’engueulent à propos de cette histoire de flingue, ils en oublient un temps autrement plus difficile. Sans dénigrer le malaise que ces garçons vivent, le monsieur dans les toilettes leur rappelle que fut un temps, des hommes devaient descendre du wagon qui les emmenaient vers la Sibérie pour aller chier derrière les buissons. Et que s’ils ne se dépêchaient pas, ils courraient le risque de rater ce train qui allait pourtant les conduire en enfer. C’est pour cette raison que le monsieur s’exclame « Ça fait du bien de chier! » à sa sortie des toilettes.
Ces jeunes oublient le confort relatif dans lequel ils vivent. Ils sont parqués dans des tours certes. Ils sont harcelés par la police, certes. Mais ils sont tellement le nez dans leur colère qu’ils passent à côté de tout, y compris cette parabole puisque Saïd se demande pourquoi le monsieur leur a raconté tout ça.
J’ai mis longtemps a comprendre l’histoire de Grunwalski.
Alors que Vinz et Hubert s’opposent sur l’idee d’une vengeance, cette histoire vient rappeler que les plus grands malheurs peuvent arriver pour des raisons idiotes: « je me moquais de la pudeur de Grunwalski et il en est mort de froid ».
A la fin de la journee Vinz et Hubert, en desaccord sur l’usage d’un pistolet, vont mourir par balle. Les tragedies arrivent sans qu’on les voie venir, sans qu’on sache les empecher, parce qu’on perd son pantalon quand on essaie de tendre la main.
Et non, le drame de la deportation ne nous fait pas oublier le drame de la pauvrete, non, nous n’avons pas de chance de vivre autrement. Nous avons d’autres malheurs.
Merci Charles, effectivement l’anecdote de Grunwalski est là pour rappeler à Vinz et Hubert que le drame qu’ils vivent n’est qu’un drame parmi d’autres. La cité est leur capitale, mais elle n’est pas le nombril de l’Histoire. Par ailleurs, et comme vous le mentionnez très bien, tout peut dégénérer très vite sans que l’on s’en rende compte. Cette leçon ne leur aura malheureusement pas été utile… ils ont été dépassés par les événements.