LA BOSTELLA
Edouard Baer, 2000
LE COMMENTAIRE
Les hommes s’en prennent plein la tronche au quotidien. C’est oublier qu’au plus profond de chaque mâle, on trouve encore un petit garçon qui a peur de décalotter dans son bain. Quelqu’un qui a tout simplement besoin qu’on le rassure un peu. Une sensibilité qui apprécie aussi un petit masque à l’argile de temps en temps (cf Apocalypse Now).
LE PITCH
Un jeune humoriste se met au vert avec son équipe pour préparer la rentrée télévisuelle.
LE RÉSUMÉ
Les performances d’Edouard Baer ont rencontré leur petit succès. La chaîne sur laquelle il se met en scène chaque soir lui propose de monter en niveau en passant de sketchs enregistrés de 3min à une émission live de 30 min. C’est à dire : 10 fois plus longtemps et sans filet. La pression est énorme.
Edouard choisit de se retirer en Camargue avec ses hommes et femmes de confiance : le fidèle Gilles (Gilles Gaston-Dreyfus), Jean-Mi (Jean-Michel Lahmi), Jo (Joseph Malerba), Milou (Patrick Mille), Manu (Emmanuelle Lepoutre) et Chloé (Sandrine Rigault). Comme le titre la presse, l’été promet d’être studieux.
Bon ben c’est parti. Tout un mois d’août, tous ensemble.
J-30. Edouard se réveille avec la gueule de bois. Tout le monde arrive avec son lot de questions.
Au niveau de l’organisation, ça se passe comment?
Les répétitions commencent. Chacun investit son rôle du Centre de Visionnage. Gilles devient Maître Morissard. Milou est Chico. Jo reprend ses robes de travesti. Chloé se mue en Corinne. Jean-Mi est fidèle à lui-même. Et le reste déroule. Sauf qu’Édouard n’est pas satisfait. Il craint de ne pas être à la hauteur.
Une demi-heure. Il faut que ça soit plus drôle parce que sinon les gens vont se faire chier.
Il tente un coup de poker en donnant sa chance à Francis (Francis Van Litsenborgh), leur hôte. Le pari est raté. Francis est lunaire. Il apporte une énergie nouvelle. Malheureusement, ses dérapages sont imprévisibles.
Je pensais jamais rencontrer des gens aussi sympathiques, de votre milieu des comédiens. (…) Vous savez, moi j’ai pas eu la chance d’avoir un nom à consonance israélite très forte. Donc euh je pensais jamais avoir l’opportunité et l’occasion de rencontrer des gens comme vous et je suis très heureux ce soir.
Le lendemain, le doute s’installe.
Bon chéri, concrètement on fait quoi là ??
Ben oui je sais pas qu’est-ce qu’on fait ? On continue comme ça ?
Edouard procède à un recadrage.
Voilà vous êtes bien contents, on est là les huit comme des cons. Francis je me suis gourré, c’était un gros beauf facho j’ai du le virer. C’est bien ?
Toune (Rosine Favey) et Jacky (Philippe Laudenbach), les parents d’Edouard viennent s’ajouter à la confusion générale. Le groupe patine un peu. Mathilda (Isabelle Nanty), la productrice, s’incruste pour surveiller son investissement. Car en face d’Edouard à la rentrée, ce sera Momo (Atmen Kelif). Donc il va falloir envoyer du bois.
Le bateau tangue. Jo saccage un bar. Edouard se perd dans des promotions ridicules pour faire plaisir à des élus du Conseil Général. Le Dr Drain (François Rollin) veut faire une mammographie à Chloé. Milou est sollicité ailleurs. Gilles ne dort plus et fatigue tout le monde.
Quand Mathilda revient avec Zitrac (André Djento) quelques jours avant la première émission, l’équipe n’est clairement pas prête. Tout le monde est même très nerveux, en particulier Mathilda. Edouard se fait pourrir.
On est à J-5! J’ai le droit de savoir où on en est! Dans cinq jours y’a Belmondo qui est en face de toi, en direct, devant des millions de gens, tu lui dis quoi ?? (…) Excuse-moi mais ce que j’ai vu l’autre jour, c’est pas très drôle!
Dans le tumulte, Edouard retrouve un second souffle pour motiver sa troupe quatre jours avant l’échéance. Il se réconcilie avec Milou. Tout le monde joue au foot dans la joie et la bonne humeur.
À Paris, Edouard doit rendre sa copie. Il fait face à son public, ses fans, ses parents. Jean-Paul Belmondo ne peut pas venir. À la rigueur, tant mieux.
L’EXPLICATION
La Bostella, c’est la vie comme une improvisation.
Alternance de joie et de peine, d’allégresse et de contrition, la Bostella est à l’image de la vie. Un grand huit qui monte et qui descend comme le disait Pascal (cf Les trois frères). Cela ressemble furieusement à une grande danse avec plein d’amis plus ou moins proches, ponctuée de moments de rupture.
La vie pourrait justement s’apparenter à une série d’échéances, jusqu’à ce que quelqu’un débranche la prise pour de bon (cf Monsieur Schmidt) – ou mette la main sur la caméra pour indiquer la fin de la comédie.
Dans cet environnement camarguais, on peut décider de jouer serré comme le fait Edouard début août. Ne voulant rien laisser à la chance.
Il faut à tout prix que je dorme parce que je vais rater un cycle de sommeil. C’est très important.
En tant que berger, Edouard réalise à quel point on n’est pas tout seul. Un constat peut en cacher un autre : il est très difficile de tenir son groupe. Personne n’est content. Jean-Mi devient un cauchemar à gérer.
Si on raisonne un petit peu à froid… C’est d’ailleurs plus une question qu’un problème… Est-ce qu’il est du domaine de l’acquis que la loi du premier arrivé va faire jurisprudence pendant trente nuitées?
Le micro-manager est en souffrance. Il se bat pour faire tourner la boutique. Ses efforts sont constamment ignorés. Quand on gagne, c’est grâce aux petites mains. Par contre, quand on perd, on regarde vers le patron, seul et unique responsable du naufrage (cf El Buen Patron).
C’est aussi pour cela qu’il est difficile d’être le chef. Il faut prendre ses responsabilités – ce que fait Edouard avec courage.
On te reproche rien Edouard.
Si! Je le sens bien. Déjà sur la maison… La chambre, la piscine, les moustiques, l’organisation générale… Je me trompé sur tout depuis le début, je me suis trompé sur vous. Sur moi. Je n’ai aucun flair.
C’est dans le doute qu’on prend conscience de sa mission. Le capitaine d’industrie doit mener son équipage à bon port (cf Das Boot). Début septembre. Paris. L’émission. Être plus que présent : être bon.
Alors Édouard repense à des hommes forts comme Charles de Gaulle ou Aimé Jacquet. Et il se souvient qu’en dépit de leurs discours répétés des jours à l’avance, ces deux derniers grands guides géniaux de la nation étaient avant tout de grand fans du hors-piste.
Edouard tient là sa solution. Il se libère enfin. Au pied du mur, agressé par Mathilda, il assume son free-style parce qu’il n’y a plus rien d’autre à faire. Plus rien à perdre. Il n’a plus peur ni de la mort, ni du regard des autres. La gêne disparait. Soudain, la peur du jugement s’évapore. On part en voyage sans ceinture, sans assurance. Publier sans se relire. Et tout va bien se passer. On vit un bon moment ensemble quand même (cf Le mot de la fin). Cela mérite d’être souligné.
Parce que l’improvisation n’est pas donnée à tout le monde. Frederic Beigbeder, talentueux par ailleurs (cf 99 francs), a certainement du effacer sa dernière chronique ratée sur France Inter de sa mémoire vive.
Rendre à Édouard ce qui lui appartient. Encore bravo à l’artiste.
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