LES TROIS FRÈRES
Didier Bourdon, Bernard Campan, 1995
LE COMMENTAIRE
La vie ne fait de cadeau à personne. À l’ère du chacun pour soi, il faut se débattre pour ne pas finir les fesses dans l’eau (cf Titanic) ou sur le bas côté de la route. Lorsqu’il s’agit de se partager une grosse somme d’argent, les choses se font en bonne intelligence. Tout se passe bien, jusqu’à ce que que cela n’aille plus. Les sourires de façade vont bientôt laisser la place aux insultes.
LE PITCH
Trois demi-frères se rencontrent pour la première fois au moment de partager l’héritage de leur mère.
LE RÉSUMÉ
Didier (Bourdon) est vigile philosophe de supermarché amoureux de Montaigne. Bernard (Campan), SDF toxicomane, vend les miracles de produits détachants sur les marchés entre deux films porno. Pascal (Legitimus) est un publicitaire aux costumes flashy, à la queue de cheval et au chromosome avec un os dans le nez. Rien ne les rapproche si ce n’est l’argent de leur maman.
C’est devant le notaire que les trois rigolos se retrouvent donc pour la première fois pour toucher la coquette somme d’un million de francs nouveaux. On comprend à quel point il est ridicule de dire 100 patates alors qu’il s’agissait en fait d’une brique.
Comme de vrais nouveaux riches, Didier, Bernard et Pascal célèbrent au champagne et vont faire des plans sur la comète entre billets d’avion, Cadillac et parts dans la société. Ils vont pourtant voir l’argent s’envoler vers un orphelinat conformément à la volonté de leur mère, la faute à une procédure qui s’est éternisée.
Les 100 patates là… À pu ?
Désormais criblés de dettes, les trois imbéciles vont alors devoir se débrouiller pour assumer leurs bêtises, ne pouvant plus compter que sur eux-mêmes. Au final ils n’auront pas touché le pognon. Ils auront gagné quelque chose d’autre: une fraternité improbable.
Deux demi-frères, ça a jamais fait un frère!
L’EXPLICATION
Les Trois Frères, c’est un lourd tribut.
Dès leur naissance, ces trois frères paient le prix de la fantaisie de leur mère. Plus globalement, ils souffrent de l’insouciance de la génération 68 qui couchait à tout va sans moyens contraceptifs – sans rien assumer non plus puisque cette maman a placé ses fils dans un orphelinat. Didier, Pascal et Bernard héritent d’abord d’une animosité très forte envers cette génération laxiste qui n’a pas respecté ses promesses.
Ça a fait mai 68 ça!!
C’est effectivement à ces soixante-huitards qu’on doit la famille recomposée, dont le modèle ne fonctionne pas. En effet, Didier, Pascal et Bernard ne partagent rien en commun si ce n’est une tâche de naissance. Ces hommes ne se trouvent pas, ils se détestent. Ils se jettent des regards de travers dans la salle d’attente.
Chacun est un boulet énorme pour l’autre. Ils ne s’apportent rien. Au contraire, leur vie était quelconque. Elle ne va pas aller en s’améliorant. La famille recomposée végète. Elle progresse d’une manière horizontale plutôt que verticale. Par-dessus le marché, ces trois lascars doivent se coltiner le fils de Didier qui plutôt que de cimenter les relations, ajoute de la tension en réclamant égoïstement des Chocapics ou une Super Nintendo. C’est même par la faute de Mickaël qu’ils finiront devant le tribunal pour enlèvement de mineur. Merci la famille!
Le projet collectif de ces trois frères est bancal depuis le départ puisqu’il repose sur un héritage fictif. Les fameuses 100 patates. Le pognon de dingue – qu’ils ne toucheront même pas. Ce rendez-vous raté avec la richesse aurait pu leur ouvrir les yeux sur le fait qu’il existe des choses plus importantes dans la vie, comme la déconne, un enfant, ou encore des jeux vidéo.
Après tout, on rentrait en plein dans l’ère de l’entertainment régressif. C’était le début de l’empire des consoles de jeux. Comme Charlie qui oublie l’argent de son père pour se rapprocher de Ray (cf Rain Man), les trois frères auraient pu découvrir quelque chose de plus beau.
Au lieu de cela, ils n’apprennent strictement rien. Ils n’arrivent pas à dépasser le camouflet du 45 tours. Incapables de dépasser leurs petits intérêts. Leur intention était et reste de faire cavaliers seuls, chacun de leur côté. Voilà ce qui se passe quand l’association repose sur la fortune plutôt que l’amour.
Car l’argent ne tient pas aux doigts comme le disait déjà le Papé (cf Jean de Florette). Si Bernard, Pascal et Didier se ruent sur les restes du compte en banque de leur défunte mère comme des charognards, leur gain est nul. Les restes n’existent pas. Ils se sont fait avoir, une fois de plus.
C’est la goutte de trop. Cet héritage manqué fait éclater leur ressentiment. Eux qui ont pourtant fait l’effort de s’intégrer restent encore des marginaux dans leur genre. Bernard n’a pas de travail (cf la loi du marché). Didier n’est pas marié. Et Pascal n’aura pas sa promotion.
Dans le fond, ils détestent profondément ce système même s’ils donnent l’impression de se battre contre les préjugés. Eux aussi ont la haine envers les femmes – des ‘salopes’ – ou les homosexuels – des ‘menteurs’.
Après que le système les entube, ils se rebellent contre le notaire qui manie les expressions latines pour mieux créer la confusion. Ce sadique ne cache pas le plaisir qu’il éprouve au moment de délivrer le 45 tour aux trois dindons de la farce.
Respectant scrupuleusement les règles de la société du crédit (cf Enfermés dehors), tous les trois avaient évidemment fait des plans sur la comète et se retrouvent considérablement endettés. N’ayant plus rien à perdre (cf Joker), ils partent en guerre contre le système.
Dans le cas de Bernard, des employeurs qui exploitent les travailleurs précaires (cf Sorry we missed you). Didier va régler ses comptes avec sa belle-famille hyper-conservatrice. Et Pascal plante ses patrons menteurs et racistes ordinaires.
Tu vas pas me dire que t’as pas un chromosome avec un os dans le nez!
La croisade de ces parias se finit sur TF1, tout un symbole. Sur le plateau de Philippe Risoli. Un animateur plein de promesses à l’époque des animaux de mon cœur et de Jeopardy. Quelqu’un qui aurait peut-être pu prendre la relève de Julien Lepers sur Questions pour un champion mais qui a lui aussi succombé aux sirènes de l’argent.
Soldat d’un système qui soutire honteusement quelques sous à celles et ceux qui n’ont déjà pas grand chose, en leur faisant croire qu’ils peuvent empocher le pactole. La promesse d’une vie de rêve (cf Scarface). Sauf que le million est capricieux lui-aussi. Il se refuse encore à Bernard, Didier et Pascal. La boule échoue sur la case des 100,000 francs, comme un affront ultime. Une belle somme qui ne peut pas les satisfaire, ni rembourser les dettes.
Les trois hommes feront leur TIG à l’orphelinat, contraints de devoir servir la soupe à des enfants comme eux. Punis pour la vie, ils ne sont pas sortis de leur condition.
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