QU’UN SANG IMPUR
Abdel Raouf Dafri, 2019
LE COMMENTAIRE
Dans sa Marseillaise, Rouget de Lisle cherchait à encourager les troupes en espérant qu’un sang impur abreuve nos sillons. On peut supposer que le sang impur appartienne à l’ennemi. Après tout, la Marseillaise n’était pas une comptine mais bien un chant guerrier – xénophobe. En pleine polémique, Frédéric Dufourg a joué l’apaisement en proposant une autre thèse selon laquelle le sang impur serait celui du peuple, par opposition au sang bleu de l’aristocratie. On refait l’histoire comme cela nous arrange, sans peur de nous voiler la face.
LE PITCH
Un soldat Français part en Algérie pour retrouver un compatriote supposé mort.
LE RÉSUMÉ
Alors que le Général De Gaule s’apprête à rendre l’Algérie aux Algériens, Madame Delignières (Annie Mercier) est persuadé que son fils Simon (Olivier Gourmet) est mort au combat. Elle contacte le Colonel Breitner (Johan Heldenbergh) afin qu’il lui ramène une preuve.
Le Colonel Breitner souffre encore d’un syndrome post-traumatique (cf Brothers) suite à la guerre d’Indochine où il a fait la rencontre de Soua (Linh-Dan Pham). Il accepte la mission et recrute quelques hommes pour l’accompagner à Arès : le sergent-chef Senghor (Steve Tientcheu) et le sniper Alexis Martillat (Pierre Lottin). La prisonnière Assia Bent Aouda (Lyna Khoudri) est enrôlée de force en qualité de démineuse (cf Démineurs, Les Oubliés). Dans quelques jours à peine, la zone sera rasée au napalm. Il faut donc faire vite.
Breitner remonte jusqu’à Mourad Boukarouba (Salim Kechiouche), un soldat de l’ALN.
Le Colonel Delignières n’est pas mort. Par contre, il est passé de l’autre côté (cf Apocalypse Now).
Lequel d’entre nous deux est le pire? Et toutes ces horreurs pour quel résultat?
Youcef (Hichem Yacoubi) tue Senghor parce qu’il a participé au massacre de se famille. Delignières confie sa plaque militaire à Breitner et lui propose de repartir avec ses hommes.
Youcef les escorte mais il est tué par Martillat. Breitner et Soua décident de retourner sur le camp car Assia est en train de se faire torturer par Mourad qui la considère comme une traitresse.
Lorsqu’ils reviennent au camp, Breitner obtient la libération de Assia. La jeune fille est néanmoins abattu par Delignières, qui est tué à son tour par Breitner. L’officier pense qu’il a échoué dans sa mission. Il n’a plus peur de rien.
J’ai plus de guerre à gagner. Je suis plus bon à rien. Mourir ici c’est encore ce que je peux faire de mieux.
Mourad poursuit son chemin. Lui a encore une guerre à gagner.
L’EXPLICATION
Qu’un sang impur, c’est l’absurdité de la guerre.
Le conflit est une réalité. On ne doit pas nécessairement tout faire pour l’éviter (cf Les heures sombres) mais on ne devrait certainement y penser qu’en ultime recours. Car ces périodes atroces se caractérisent le plus souvent par leur absurdité.
Quand on y pense, la finalité de la guerre est assez simple. Il s’agit d’une lutte de pouvoir pour conquérir une terre. Officiellement la guerre se mène pour des raisons idéologiques ou géostratégiques. Parfois même au nom de la Liberté (cf Armadillo). Officieusement, la guerre se mène plutôt pour défendre des motifs économiques (cf Jarhead, Lord of War, Vice). Le sang coûte cher mais il rapporte gros. Jusque là, tout se tient.
La guerre transforme les hommes en animaux qui détestent leurs prochains au lieu de les aimer, comme il est pourtant prévu dans les textes. Les Algériens haïssent les Français. La réciproque est vraie.
Sale race, on les encule!
C’est assurément regrettable, mais compréhensible.
C’est sur le terrain que la guerre devient absurde car elle souffre de nombreuses incohérences. Par exemple, Youcef a combattu pour la France avec les Indigènes puis il a été torturé par les Français.
J’ai combattu pour ton pays à Monte Cassino et en Indochine. Je suis rentré dans mon village blessé peut-être mais sûr et certain d’avoir gagné le droit d’être Français par le sang versé. Les DOP m’ont torturé pendant deux jours.
Désormais, il prend plaisir à tuer ceux auprès de qui il a pourtant combattu naguère.
Delignières est un amoureux de la France, donc de l’Algérie. Parce que l’Algérie, c’est la France. Ce qui fait qu’aux yeux de l’Etat Majeur, il est un traitre. Mais pas dans sa tête. Ni pour Mourad – par intérêt.
Je suis le Français tant que ça sert ma guerre.
Les accords de Genève ne sont pas respectés.
On donne sa parole d’officier aussi facilement qu’on la trahit.
Tu lui as promis!
C’est l’ennemi, pas la famille.
Des Algériens commettent aussi des crimes odieux contre les leurs
Ce ne sont pas des Français qui ont tué mes parents, ce sont des Arabes.
En fait, ce ne sont pas des arabes non plus. Ce sont des chiens.
Mourad torture Assia bien qu’elle soit sa nièce. Il choisit la justice plutôt que sa famille, reniant Camus qui était Algérien de naissance et de coeur.
En même temps, la famille peut se montrer hypocrite (cf L’Ordre et la Morale). Delignières ne le sait que trop bien.
Ma famille n’aime ses enfants que lorsqu’ils meurent en héros pour la patrie.
Il n’y a plus de règle. Difficile de s’y retrouver dans ce chaos. Alors autant ne pas trop réfléchir. Martillat pense comme un soldat, c’est d’ailleurs tout ce qu’on lui demande. Il ne s’en porte pas plus mal.
J’suis venu là pour faire mieux que mon père en Indochine. (…) Quand j’ai signé pour venir ici, on m’a pas dit que je venais pour avoir pitié. On m’a dit que je venais ici pour buter des bicots.
Breitner fait également la différence.
Quand on fait de l’armée son métier, on doit mettre son coeur de côté. C’est le prix à payer.
De toute façon, la guerre ne brille pas par sa mémoire, comme le souligne Madame Delignières.
Laissez moi vous dire quelque chose à propos de vos nouveaux compatriotes : ils ont pour habitude de se coucher pendant la guerre et de tondre les femmes à la Libération. Après, ils boivent et ils oublient.
Car à la fin, on efface tout avec un peu de napalm. L’histoire sera ré-écrite par la suite avec celles et ceux qui auront réussi à passer entre les balles (cf Le Pianiste).
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