PRESQUE

PRESQUE

Bernard Campan, Alexandre Jollien, 2021

LE COMMENTAIRE

Puisque nous nous sommes tous transformés en lapins blancs (cf Alice au Pays des Merveilles) courant désespérément après la montre, nous ne savons plus apprécier les bancs. Trop pressé de consommer la vie comme s’il s’agissait d’un fast-food buffet à volonté. Pourquoi prendre le risque de s’asseoir? Pour peu que nous prenions le temps, nous pourrions pourtant faire de belles rencontres.

LE PITCH

Une amitié nait dans un corbillard.

LE RÉSUMÉ

Louis (Bernard Campan) dirige une entreprise de pompes-funèbres en Suisse. Par faute d’inattention sur la route, il envoie dans le fossé Igor (Alexandre Jollien), un livreur de fruits et légumes hypocondriaque. Ce dernier souffre de handicap. La communication entre les deux hommes est compliquée.

Vous comprenez quand je vous parle? 

Igor n’en veut pas à Louis. Au contraire, il se félicite même de cette rencontre.

Si on m’avait dit que je rencontrerais un croque-mort de mon vivant!

Igor lit les grands philosophes du soir au matin pour tromper sa solitude, et échapper à sa mère.

Du matin au soir, j’essaie d’être un peu plus libre et on essaie de me mettre dans des cases. 

Louis décide de s’occuper du transport de la dépouille de Madeleine vers Montpellier où doit avoir lieu sa cérémonie funéraire. Igor s’invite pour le voyage, ce qui ne fait pas plaisir au conducteur.

À une station service, les deux hommes prennent Cathy (Tiphaine Daviot) avec eux après que celle-ci se fasse planter par son co-voiturage.

La jeune femme doit se rendre à l’EVJF d’une de ses amies. Elle propose à ses compagnons de route de la rejoindre un peu plus tard dans la soirée. Igor la retrouve avec plaisir. Louis met plus de temps à se décider et souhaite rentrer le premier.

À leur hotel, une escort (Marie Benati) attend Louis qui se retrouve cependant bloqué.

Je crois que je vais pas y arriver…

Sensible à l’attention que lui porte Igor, elle le rejoint dans sa chambre.

T’as jamais fait l’amour?

Que des petites fois…

On va essayer de faire une grande fois alors.

Après le départ de la jeune femme, Igor rejoint Louis pour partager son expérience.

J’aurais jamais pensé que ce corps puisse donner de la joie!

Le lendemain matin, il est temps pour Igor de reprendre le train pour Lausanne bien qu’il n’en ait aucune envie.

Je n’ai que des amis en papier. Socrate, Nietzsche, Spinoza… Avec toi, c’est pas pareil. T’es un ami en chair et en os!

Touché par autant de sentiments, Louis demande finalement à Igor de rester. Une fois sur place, il retrouve son ex-femme Judith (Marilyne Canto) parente de la défunte. Les relations entre eux sont fraîches.

Ambiance étrange. Personne ne souhaite prendre la parole. Finalement Louis se lève pour prononcer quelques mots d’excuses pour Judith.

Je vous demande pardon.

Igor se permet d’ajouter une réflexion. Des paroles simples qui vont apaiser la famille de Madeleine.

On sait pas où on va, on ignore tout de la destination et on est a bord.

Avant de conclure ce road trip, les deux amis s’aventurent jusqu’au bout de la jetée puis se jettent tous les deux à l’eau.

L’EXPLICATION

Presque, c’est profiter de n’être pas tout à fait.

Nous pâtissons d’une mauvaise compréhension de la pensée Epicurienne à laquelle on associe l’hédonisme. Une notion qui ne se définit quasiment plus qu’à la recherche absolue de plaisirs.

Comme nous ne comprenons plus que ce qui est exagéré, cette recherche de plaisirs doit obligatoirement être orgiaque (cf Satyricon). Les Épicuriens seraient donc nécessairement des débauchés qui ne s’épanouiraient que dans l’abus de délices en tout genre.

De ce point de vue, il semble que nous sommes tous ce genre d’Epicuriens, obsédés à l’idée de faire le plein. Être à fond. Si pas tout le temps, au moins autant que possible car la vie est courte. À l’image de Louis, nous conduisons tous avec notre cercueil à l’arrière de la voiture, quelque part dans un coin de notre tête.

Alors pour l’oublier, faisons la fête (cf Don’t look up). La seule manière de croquer la vie à pleines dents. Être heureux au quotidien. Au max. Atteindre ce que les anglo-saxons appelle le best self, puisque tout est mesurable aujourd’hui.

T’es à combien sur ton échelle du bonheur ?

La société nous impose pratiquement de nier le réel tel qu’il est. Une pression de tous les instants, alors qu’il nous est difficile d’être à 100% en permanence.

Je trouve que t’as l’air normal et que ça se voit pas.

Presque…

Cependant comment être heureux quand on perd de la masse musculaire, quand on n’a plus de cheveux, qu’on est divorcé sans enfant à l’approche de la soixantaine, qu’on travaille comme croque-mort, qu’on vit en Suisse! Louis n’y arrive pas. Il ne bande plus.

Sa rencontre avec Igor va tout changer (cf Rain Man).

Quelqu’un qui pourrait être son frère jumeau.

Igor est celui qui lit. Il parle par aphorismes, ce que lui reproche d’ailleurs Louis (cf Green Book). Et pourtant…

Tout ça, c’est des formules!

Ces formules, ça m’a sauvé la vie.

Igor sait que la pensée Epicurienne vise avant tout l’ataraxie. C’est à dire l’absence de trouble, tout simplement. Boire un verre d’eau quand on a soif. Manger un morceau de pain quand on a faim. Être bien comme on est, à son échelle. C’est tout. Cela fait moins rêver, évidemment. Néanmoins, cette vision des choses soulage de pas mal de frustrations. Elle permet de vivre, ce qui n’est déjà pas mal.

Igor est un personnage tragique qui voit le réel tel qu’il est. Impossible pour lui d’ignorer son handicap. Il n’est pas un champion et ne veut pas prétendre le contraire (cf Comme des Phénix).

Pour autant, il ne veut pas qu’on le réduise à un être fragile qu’il n’est pas. Handicapé n’est pas être incapable. Igor a même moins de frein que Louis. Il rigole et s’amuse tout comme il jure et peut se mettre en colère aussi. Humain. Voilà pourquoi il reproche à sa mère de s’être transformée en infirmière alors qu’il n’a rien demandé.

Lâche-moi!!

Igor est conscient que la vie n’est pas grand chose : un simple tiret entre deux dates inscrites sur une pierre tombale.

Ce petit tiret fragile, c’est ça la vie.

Ce qui lui permet de se détacher de la plupart des considérations triviales qui nous hantent au quotidien : des poignées en bronze ou en or pour le cercueil ? L’essentiel n’est pas là.

C’est pas foutre de l’argent par les fenêtres ?

Igor médite pour ne pas se faire happer par la peur, cette passion triste selon Spinoza.

On s’accroche à rien.

Il réussit à ne pas se faire écraser par la pression sociale.

Le regard d’autrui on s’en branle!

Se contenter de n’être pas complètement pour mieux plonger la tête la première et faire corps avec le monde autour de soi, en se laissant porter. Le presque de Jankélévitch. Une pensée toute en nuances.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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