LE DAIM
Quentin Dupieux, 2019
LE COMMENTAIRE
L’habit ne fait pas le moine, et pour cause. Le moine n’est rien. De la crotte. Sans son habit, le moine ne serait qu’une sorte d’Adam se baladant tout nu au square des Batignolles en se croyant dans le jardin d’Eden. Tout juste bon pour finir au poste. L’habit est ce que l’on remarque. Ce que l’on retient à travers les années. Le plus important. Les hommes, comme les modes, finissent par passer. L’habit reste. Il est tout.
LE PITCH
Un homme se rapproche de son absolu.
LE RÉSUMÉ
Georges (Jean Dujardin) jette son blouson dans les toilettes de l’autoroute. Il quitte les Hauts-de-Seine pour la montagne où il acquiert une veste en daim contre une somme d’argent. Ne se sentant plus de joie, le vendeur (Albert Delpy) lui fait cadeau d’un caméscope – en geste commercial.
Putain de bordel, j’ai jamais vu autant de pognon de ma vie.
Georges commence à s’improviser cinéaste.
Sa femme le quitte par téléphone.
Tu veux pas savoir où je suis ?
Non. T’es nulle part Georges, t’existes plus.
Elle bloque aussi sa carte bancaire. Pas grave. Georges donne son alliance pour s’offrir quelques nuits d’hôtel, où il sympathise avec Denise (Adèle Haenel), la serveuse du bar.
Et puis il a sa veste, avec laquelle il commence à communiquer. Il lui fait même une promesse.
Mon rêve le plus cher, c’est d’être le seul blouson au monde. Je veux qu’on puisse se promener tous les deux dans les rues, sans rencontrer d’autre blouson.
Ça tombe bien parce que j’ai envie d’être la seule personne qui porte un blouson.
Comment tu comptes rendre ce rêve possible ?
Un projet artistique, avec son caméscope.
Denise aimerait pouvoir l’aider.
Ma vraie passion, c’est le montage.
Georges croise des inconnus et leur demande de se séparer de leur blouson contre une somme d’argent, puis dispose le blouson dans son coffre avant de se barrer. Quand certain·es lui opposent une résistance, il les tue. Tout est filmé. Les cadavres sont enterrés.
On va quand même pas laisser tous ces connards nous empêcher de réaliser notre rêve.
Denise est enthousiaste.
Georges se procure un chapeau en daim. Denise lui offre un pantalon en daim.
C’est bien du daim ?
Georges voudrait parachever son oeuvre avec une paire de gants. Ce serait parfait. Il demande à Denise de le filmer, mais se fait abattre par le père d’un enfant qui avait pris l’habitude de le suivre mystérieusement.
Denise s’empare alors de la veste, sans s’arrêter de filmer.
L’EXPLICATION
Le Daim, ce n’est pas une lubie.
Denise a l’impression d’avoir tout deviné du projet de Georges.
J’ai l’impression que le vrai sujet du film, c’est ton blouson. Enfin plus précisément qu’on porte tous une coquille pour se cacher, qui nous protège du monde extérieur.
L’explication de la serveuse est que le daim servirait de bouclier à Georges. Pour se défendre du monde extérieur. Comme un chewing-gum contre les attaques acides. C’est un peu réducteur. Denise passe à côté de l’essentiel. Néanmoins, elle n’a pas tort sur Georges :
T’es juste un mec tout seul.
Contrairement à certain·es, il a effectivement conscience de sa solitude (cf Donnie Darko). Il est arrivé à un âge où il ne peut plus se cacher (cf Kennedy et Moi). Comme tout individu s’en rendant compte, il ne lui reste plus que ses obsessions.
100% daim!
Le daim pour lui n’est pas une armure face au monde extérieur comme le pense Denise, mais plutôt une forme d’aboutissement. Un habit de lumière qui va lui permettre de prendre de la hauteur et se détacher du réel (cf The Mask). Une arme stylistique.
Quelle allure!
Georges est effectivement seul, plaqué par sa femme et par sa banque. Seul au volant d’un véhicule sans destination (cf Locke). Perdu au milieu d’une foule de gens seuls, comme lui. Comme Denise. Terriblement banal.
Le daim lui redonne la sensation d’être unique. S’élever au dessus de la mêlée. Georges est un homme à l’abandon qui vit encore uniquement parce qu’il peut frimer. C’est tout ce qui lui reste. Ce n’est pas très compliqué.
Je veux simplement être le seul à porter un blouson, fais moi plaisir.
Il y pense tout le temps. Parvenant à convaincre les autres de se délester de leur blouson pour redevenir exceptionnel. Plus qu’un détail de son accoutrement, le daim prend une dimension identitaire. Le matérialisme comme seule façon d’exister, pour mieux composer avec sa solitude.
Ainsi, quand des personnes tentent de le ramener parmi les autres, Georges réagit violemment (cf Bernie). Par exemple, une femme au bar (Marie Bunel) le prend pour un vulgaire réalisateur de film X amateur. Georges se vexe.
Qu’est-ce qui vous fait penser que je suis dans le porno ?
Ben si je suis dans le vrai cinéma. Tu m’as regardé là…? T’as vu le style de malade ?!
Cette obsession n’a rien d’un caprice. Elle lui permet de maintenir le bateau à flot. Continuer à vivre dans un monde d’à-peu-près. Personne ne parvient vraiment à le comprendre, pas même Denise qui ne réalise pas la portée d’un total look daim. Et pourtant…
Georges, lui, sait parfaitement faire la différence.
Ça peut paraitre con, mais c’est hyper important pour moi.
Ce n’est pas con. On n’est pas dans le registre de la fantaisie. Le daim se présente plutôt comme une réponse. Une évidence.
Putain… Bingo!
Est-ce un hasard si Georges débloque sa créativité grâce à l’obtention de cette veste à frange ? Le costume vient avec la caméra. Tout fait soudainement du sens. Encore une fois, personne ne comprend.
C’est pas du tout bizarre, c’est génial.
Georges a mené une existence médiocre jusque là. Il s’en rend compte. Plutôt que de tirer sur la corde jusqu’à la retraite (cf Monsieur Schmidt), il accélère. Se sépare de tout ce qui pourrait le retenir. Vide son compte en banque. Trouve des solutions. Avant toute chose, il peut désormais vivre sans avoir à s’excuser.
Je vais pas chialer non plus.
Georges ne parviendra pas à finir son travail mais au moins il mourra debout, avec ses convictions. Mort assassiné d’une balle dans la tête, tel JFK ou John Doe (cf Se7en). Tué par un imbécile de plus qui n’avait rien compris (cf Easy Rider).
Ce fameux faux documentaire qu’il a commencé d’entreprendre mériterait d’être étudié, analysé, décrypté – comme tout le reste. Si, Denise tente de poursuivre le film, elle ne fait en réalité que suivre les traces d’un Maître qu’elle ne dépassera sans doute jamais (cf The Master).