PHANTOM OF THE PARADISE
Brian De Palma, 1974
LE COMMENTAIRE
On peut envisager la musique comme étant la clé de l’amour et de l’amitié (cf Ennio). Tout particulièrement quand on s’appelle Nicoletta, et qu’on croit aujourd’hui à son destin. Pour d’autres séduit·es par ce qu’Axel Bauer appelait le côté sombre (cf Star Wars), la mélodie peut jouer un rôle radicalement différent. Ce qui n’empêche pas d’apprécier Wagner, Strauss ou Marilyn Manson pour autant.
LE PITCH
L’industrie de la musique a signé un pacte avec le diable.
LE RÉSUMÉ
Winslow Leach (William Finley) se fait remarquer par Swan (Paul Williams), un célèbre producteur (cf Quincy).
His past is a mystery, but his work is already a legend. (…) He brought the blues to Britain, he brought Liverpool to America, he brought folk and rock together.
La musique de Winslow plait énormément. Son style beaucoup moins.
Le propriétaire du label Death Records demande alors à Arnold Philbin (George Memmoli), l’un de ses agents, de se procurer la cantate du jeune artiste afin de lancer en grandes pompes sa future salle de concert, le Paradise.
Winslow Leach se rend à l’audition des choristes qui vont chanter sur ce qu’il découvre être son morceau. Dans la file d’attente, il fait la rencontre artistique de Phoenix (Jessica Harper) et tombe sous le charme de sa voix. Les filles y sont évaluées sur leurs compétences sexuelles, davantage que sur leur timbre de voix.
Winslow se réclame comme étant le compositeur en personne, mais personne ne le prend au sérieux. Reconnu par le service de sécurité, il est immédiatement mis dehors. Swan utilise son influence pour envoyer le fauteur de troubles en prison.
À Sing Sing où il apprend que sa cantate va faire l’ouverture du Paradise, Winslow Leach s’échappe pour se rendre chez Death Records et détruire tous les disques. Mais coincé dans une presse, il se retrouve défiguré puis laissé pour mort.
Winslow se réfugie alors dans les coulisses du Paradise et se déguise pour devenir le fantôme et saboter les répétitions. Swan lui propose alors de signer un contrat.
Now we’re in business together, for ever.
Le fantôme doit composer nuit et jour, reclus dans un studio, sous amphétamines. Il insiste pour que Phoenix chante mais Swan envisage plutôt Beef (Gerrit Graham). Qu’à cela ne tienne! Le fantôme le tue lors du soir de la première. Ce qui permet à Phoenix de monter sur scène et de devenir la nouvelle star. Le fantôme cherche à la mettre en garde.
Don’t you hear them down there? Why should I give that up?
They want more, they want much more than you can ever give.
I’ll give them whatever they want.
Rien à faire, Phoenix devient la nouvelle protégée de Swan – au grand damn du fantôme. Sa tentative de suicide est un échec, car il a signé sans le savoir un contrat… avec le diable.
Didn’t you read you contract closely? See where it says « terms of agreement », can you read what it says? « This contract terminates with Swan. » No more suicides, Winslow. You gave up your right to rest in peace when you signed this contract.
Swan est également sous contrat vidéo avec le diable. En échange de son âme, il ne vieillira jamais. Seule son image sur la vidéo prendra des rides. Si cette vidéo est détruite, le contrat est caduc.
Lors d’une ultime représentation, Swan imagine une mise en scène impliquant la mort de Phoenix comme clou du spectacle. Jusqu’à ce que mort s’en suive (cf Black Swan).
Now, what a minute. This may be none of my business or anything. But if you’re gonna kill her, why do it here tonight?
An assassination live on television coast to coast? That’s entertainment! (cf Raging Bull)
Le fantôme intervient. Il détruit la vidéo de Swan, annulant ainsi son contrat avec le diable – mais ré-ouvrant également la plaie de son coup de couteau qu’il s’était porté plus tôt.
Phoenix reconnaît alors le visage de Winslow, au milieu d’une foule en transe.
L’EXPLICATION
Phantom of the Paradise, c’est le peu d’intérêt pour les coulisses.
Officiellement, on aime se révolter dès qu’on en a l’occasion, pour la moindre raison. Crier au scandale quand des sportifs ou des sportives sont accusé·es de dopage (cf Stop at nothing). Rien de tel que des élections truquées ou des politiques reconnu·es de corruption. Des histoires de trahisons, de mensonges ou autres injustices.
Les bras nous en tombent souvent, même si ce n’est jamais vraiment une surprise. Si l’on se plaint autant, ce n’est peut-être pas tant par excès d’éthique que pour masquer le fait qu’on en manque cruellement.
Ainsi, on s’offusque presque naturellement de cette industrie musicale infernale régie par un Swan trop puissant, aux méthodes diaboliques. Un homme qui a vendu son âme pour ne pas vieillir. Vouant un culte ridicule à la jeunesse (cf No Country for Old Men).
Qui ne tient pas ses promesses. Le fourbe!
Par exemple, il vole le travail des autres, notamment des diamants bruts comme Winslow qui pourrait au moins être crédité. Le producteur l’envoie d’abord en prison, puis l’oblige à se cacher dans les coulisses. Il l’a littéralement emmuré dans son studio.
Swan est avant tout un as du marketing qui travestit la culture en vendant des produits calibrés. Des recettes musicales basées sur trois accords qui ne vont pas casser trois pattes à un canard mais qui font carton commercial, à l’image du groupe The Juicy Fruits.
Il se sert de ses castings pour mieux abuser de jeunes femmes (cf L’intouchable Harvey Weinstein). Le cuistre!
Il n’hésite pas à sacrifier des talents sur l’autel du spectacle (cf Nope).
Et puis le diable quand même… c’est mal.
Ce qui se passe dans ce Paradis offre-t-il une vision cynique, ou plutôt tragique de la réalité ?
Car cette industrie pervertie fonctionne malgré tout elle. Une preuve : la foule en redemande.
They never want the show to stop.
Aussi scandaleux que cela puisse paraitre, le Paradis de Swan est un succès.
The Paradise is more magnificent than I ever dreamed.
Cette industrie est totalement pervertie, et qu’est-ce que cela change ? Qui se cache derrière le show ? Qu’est-ce que cela peut bien faire ? Quelles sont les conditions dans lesquelles se fait le show ? Peu importe.
Anyway what difference does it make?
Quelqu’un s’intéresserait-il à la musique de Winston si elle n’était pas retravaillée par Swan ? Se bousculerait-on pour rentrer s’il n’y avait pas de drame ? Préfère-t-on le monde d’Eliott Ness à celui d’Al Capone (cf Les Incorruptibles)? À Jack Nicholson qui se posait des questions sur son jeu d’acteur, Stanley Kubrick a répondu : it’s real, but it’s not interesting.
Le Paradise est un exemple. Par principes, on préférerait sûrement que ce qui se passe en coulisses soit irréprochable. En vérité, on ne se soucie guère que de ce que l’on voit sur scène (cf Matrix). Cela ne va pas plus loin.
Le grand public assume totalement son intérêt pour la chanson de l’été.
Certaines personnes se satisfont pleinement de jouer les pots de fleurs.
Phoenix, en dépit de son talent, ne rêve que de popularité.
Just give me that crowd again!
Le public n’a pas hésité à siffler Amy Winehouse car elle n’était pas capable d’assurer son concert, sans s’intéresser aux souffrances de l’artiste qui disparaitra quelques semaines plus tard.
Ainsi va le spectacle. Celles et ceux qui veulent percer y rentre à leurs risques et périls. Mais certainement pas en méconnaissance de cause.