LA PERLE
Emilio Fernández, 1947
LE COMMENTAIRE
Quand on a l’impression de tenir une perle, on pense être en possession d’un trésor. Un objet de valeur, très singulier, que les autres nous jalousent. On devrait sûrement prendre le temps d’y regarder de plus près. Parce que les apparences peuvent être trompeuses. Certaines aubaines n’en sont pas (cf Dune).
LE PITCH
Un pêcheur croit tenir la solution à tous ses problèmes.
LE RÉSUMÉ
Kino (Pedro Armendáriz) vit modestement dans le petit village de La Paz avec sa femme Juana (María Elena Marqués) et leur bébé Juanito. Ils dépendent de la pêche pour vivre. Dernièrement, les conditions météorologiques ne sont guère favorables.
Six days without diving…
Juanito se fait piquer par un scorpion, mais le docteur (Charles Rooner) refuse de s’en occuper – prétextant que le couple n’a pas les moyens.
They never pay!
Kino et Juana se voient obligés de se rabattre sur un guérisseur pour soigner le petit.
La prochaine sortie en mer doit être bonne. Kino sait qu’il doit ramener du lourd. Il est confiant.
We will get a lot of chance. I have a feeling.
Il a vu juste puisqu’il remonte une énorme perle de sa plongée en apnée (cf Le Grand Bleu). Juana craint cependant que cette perle ne leur apporte que des ennuis, et invite son mari à la jeter dans la mer. Kino refuse car il voit là une chance de trouver la liberté. Acheter une carabine. Offrir des chaussures à sa femme. Permettre à Juanito de lire et compter.
This is what the pearl will do. The pearl will make us free.
La perle attire aussitôt l’attention des curieux à La Paz. Tout le monde veut en profiter. Le docteur est soudainement disponible pour s’occuper de Juanito pourtant en pleine forme. Le frère (Fernando Wagner) du docteur complote pour mettre la main sur la perle. Il n’en offre qu’une misère à Kino, prétendant qu’elle ne vaut rien. En réalité, il souhaite la lui voler.
En danger, le couple quitte le village. Juana essaie de s’emparer de la perle pour la jeter dans l’océan mais Kino la rattrape puis la frappe.
Trois hommes les prennent en filature, puis leur tirent dessus, blessant mortellement Juanito.
Kino parvient à se débarrasser de ces poursuivants. Après quoi il décide finalement de jeter la perle au loin, comme le souhaitait Juana depuis le début. En espérant se débarrasser de ce qui était devenu une malédiction.
The pearl which was hope and beauty, was turned to ugliness, and greed, and death and loneliness.
Il prend la main de sa femme.
L’EXPLICATION
La Perle, cela ne permet pas de sortir de sa misère.
Quand on est un petit pêcheur, dans un monde où être heureux ne suffit pas (cf La Ligne Rouge), on se retrouve forcément tout en bas de l’échelle sociale. On survit en retenant son souffle, tout en s’en remettant à des marées favorables.
Kino et sa femme sont des anonymes à La Paz, tellement discrets qu’ils en deviennent transparents. Le docteur ne les calcule pas bien que leur bébé se soit fait piquer par un scorpion. Sans argent, ils n’existent pas. Ce qui veut dire qu’au moindre problème, ils sont en fragilité.
Kino veut mettre sa famille à l’abri et il a un peu plus d’ambition que pêcher le gardon. Ce qui est tout à son honneur.
My son will read.
Dans ce monde régit par l’économie de marché, le réflexe de Kino est de trouver une façon de faire fortune afin de pouvoir sortir de sa condition. En cela, cette perle apparait comme un sésame inespéré lui permettant d’ouvrir des portes qui jadis lui étaient fermées. En effet, tout le monde s’intéresse à lui.
Cependant Kino bascule dans un monde qu’il ne connait pas : un monde de possibilités. Que va-t-il s’acheter grâce à cette perle ? Tous les standards que l’argent lui permet d’obtenir : un fusil pour se protéger des étrangers ? De la lingerie pour sa femme ? Peut-être une prépa pour son fils ? Il ne sait pas.
Kino bascule dans un monde de menaces, avec plein de nouveaux amis dont il doit se méfier comme de la peste car ils n’attendent qu’un moment d’inattention pour lui dérober sa richesse. Il doit veiller sur son patrimoine. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas quand on manque d’argent qu’on fait attention à ses dépenses (cf Une époque formidable). C’est l’inverse. Kino et Juana n’ont jamais eu d’argent, ils n’ont donc jamais eu à se poser cette question. Ils ignorent ce que c’est.
Ces nouveaux riches (cf Les Tuche) doivent apprendre à assumer un nouveau statut pour lequel ils n’ont pas été préparés. Cette richesse arrive trop vite. Elle les noie. Kino essaie de rentrer dans un nouveau personnage.
Yes, I am a rich man.
Fondamentalement, il reste pauvre. Pensant et agissant comme un pauvre.
Ce couple qui avait l’impression de souffrir au quotidien, persuadé que la perle serait une issue de secours, finit par souffrir encore davantage. Leur environnement devient hostile. On essayait de leur maintenir la tête sous l’eau. À présent, on leur croque les orteils.
Ils finissent par devoir fuir et se disputent à cause de la gestion de cette perle. Kino devient violent envers Juana. Ils perdent le peu qu’ils avaient construit ensemble.
L’argent ne fait clairement pas le bonheur (cf Mandibules), cette vérité n’est pas contestée. Kino s’imagine que la perle lui permette d’acheter sa liberté. Au lieu de quoi, il va se retrouver aliéné. Sa tête tourne. Lui qui a visiblement du flair ne parvient plus à prendre les bonnes décisions. Il se sent prisonnier de cette nouvelle vie qui se referme sur lui comme un piège. Pire, il frappe sa femme et perd son fils.
Il s’agit effectivement là d’une expérience à partager avec les jeunes générations de façon à ce qu’elles ne reproduisent pas la même erreur que Kino.
This is a story that old men tell to children.
L’ascenseur social est en panne (cf Titanic, Parasite). Donc quand on est pauvre, on le reste. Autant se faire à l’idée. Inutile d’espérer mieux en gagnant à la loterie. Ce n’est qu’une illusion.
Kino peut s’accrocher à Juana car elle est tout ce qui lui reste. Prier Saint Mathieu pour que les derniers soient les premiers. Ou écouter Céline Dion en boucle.
La liberté quant à elle, ne s’achète pas.
Merci pour cette explication. Il s’agit en effet d’un récit très sombre à travers lequel Steinbeck voulait clairement dénoncer la misère sociale.
Je me suis demandée ce que j’aurai retenu si on m’avait lu cette histoire toute petite. Je crois que je me serais demandée comment les perles poussent dans la mer. Je crois que j’aurai compris que les scorpions c’est mortel et qu’il est dangereux de se balader la nuit dans la montagne. Je crois que j’aurai pas bien compris pourquoi les hommes se battent. Je crois que j’aurai trouvé la perle très belle. Je crois que j’aurai pas tout compris mais j’aurai retenu beaucoup de choses. C’est la beauté des contes. L’histoire est souvent horrible mais il en reste toujours quelque chose de beau dans la mémoire.
Merci Delphine, plus que de dénoncer la misère sociale je crois qu’il dénonce le fait qu’on ne peut pas en sortir.
Il me semble que la conclusion donne le sens du film : This is a story that old men tell to children. Il s’agit donc d’une leçon à destination des générations futures. Que pourraient-elles en retenir, qui ne soit pas sombre…?
Les bébés peuvent guérir des piqûres de scorpion grâce à l’homéopathie. Ça c’est une bonne nouvelle.
Les perles sont mieux où elles sont. Donc ne pillons pas les océans, cela ne sert à rien. Ainsi les hommes ne s’entretueront pas et l’environnement ne s’en portera pas plus mal.