LE GRAND BLEU

LE GRAND BLEU

Luc Besson, 1988

LE COMMENTAIRE

Personne n’a dit que la vie serait simple. Quand les enfants viennent au monde, la lumière du jour leur brûle les yeux (cf Matrix). Face à un réel insupportable, certain·es préfèrent tout simplement plonger dans la fiction pour ne plus en sortir (cf Memento).

LE PITCH

Un homme se révèle être un dauphin.

LE RÉSUMÉ

Jacques Mayol (Jean-Marc Barr) et Enzo Molinari (Jean Reno) ont barboté ensemble dans les eaux grecques depuis leur enfance. Des années plus tard, Enzo met à profit son talent d’apnéiste pour l’argent et la gloire. Tandis que les caractéristiques physiologiques de Jacques sont devenues un sujet de recherche scientifique.

Enzo le champion à l’ego démesuré ne peut supporter l’idée que quelqu’un puisse être meilleur que lui. Il sait que Jacques l’est certainement. L’Italien va donc inviter le petit Français dans une compétition d’apnée qui permettra de déterminer une fois pour toute celui qui descendra le plus profond. Il demande à son frère Roberto (Marc Duret) de lui rendre service :

Trouve moi le petit Français, trouve moi Jacques Mayol!

Les deux hommes s’échangent les records. Jacques va à chaque fois un peu plus loin. Enzo vit mal qu’on puisse lui voler la vedette. Son entêtement le pousse à aller trop loin, au delà de ses limites. Il coule.

Fatigué de voir la mer lui prendre ceux qu’il aime, Jacques cesse de lutter contre la grande bleue pour s’abandonner à elle définitivement, laissant courageusement sa compagne Johana (Rosanna Arquette) se débrouiller seule avec l’enfant qu’elle porte.

En pleine nuit, il prend un bateau pour rejoindre la plateforme de plongée. Une fois en bas, il décide de quitter le monde pour rejoindre un dauphin.

grdbleu

L’EXPLICATION

Le Grand Bleu, c’est l’ivresse des profondeurs.

Pour certain·es, la vie a des allures d’enfer dès le plus jeune âge (cf Capharnaüm). Pour d’autre au contraire, l’enfance a un petit goût de Paradis. Comme une île Grecque sans touriste, à la mer bleue impeccable. Bien que sa mère soit partie, le petit Jacques mène une vie sans histoire avec ses copains. Il sait se satisfaire de peu de choses. Quelques sardines, un peu de feta et surtout beaucoup de soleil.

Puis la vie le rattrape. Son père meurt dans un accident regrettable. Jacques va commencer à vivre en marge de la société à partir de ce moment. Il faut aller jusque dans les montagnes du Pérou pour le retrouver. Là-bas, il se cache.

Johana vient le chercher. Elle souhaite le ramener vers le monde des vivants : New York, son agressivité, ses hamburgers, sa superficialité. Johana veut une vie avec Jacques, et tout ce qui va avec. La voiture. Le chien. La maison.

Ramener Jacques en surface est un problème car le petit Français préfère la profondeur et le silence.

Jacques et Enzo descendent inlassablement. Ils creusent comme s’ils espéraient toucher l’essentiel du doigt. En tout cas, ils sont à la recherche de quelque chose, comme une sorte de vérité, qu’ils ne trouveront jamais.

Enzo le possessif parle de la mer comme d’une femme qui lui appartiendrait. Ce qui l’excite dans la mer est la possibilité de la posséder. Jacques est plutôt un bohème qui parle de la mer avec beaucoup de poésie. Ce qu’il aime dans la femme est son mystère.

Jacques n’est d’ailleurs à l’aise que sous l’eau. Il confesse à Johana:

The hardest thing is when you’re at the bottom. (…) Cause you have to find a good reason to come back up… and I have a hard time finding one.

Dans le réel, Jacques porte le costard avec des baskets. Il ne comprend pas les codes. En retour, ses contemporains se moquent de lui, en le considérant comme un dauphin.

Don’t look at Jaques as if he was a human being, he comes from another planet.

Jacques n’est tellement pas à sa place qu’il en souffre physiquement. C’est dans sa chambre d’hôtel, pas sous l’eau, qu’il fait une embolie pulmonaire. Le monde à l’envers.

Il est une sorte de vilain petit canard. Un poète maudit qui ne sera reconnu qu’après sa mort (cf At Eternity’s Gate). Le musicien qui ne va pas chercher sa victoire de la musique car il ne souscrit pas à la comédie du milieu auquel il est censé appartenir.

Jacques est le dépressif qui va s’abandonner au côté sombre des profondeurs. Incapable de prendre ses responsabilités, il préfère suivre un dauphin plutôt que la mère de son enfant. Libéré des tourments de la vie par les sirènes (cf L’échelle de Jacob).

You go down to the bottom of the sea, where the water isn’t even blue anymore, where the sky is only a memory, and you float there, in the silence. And you stay there, and you decide, that you’ll die for them. Only then do they start coming out. They come, and they greet you, and they judge the love you have for them. If it’s sincere, if it’s pure, they’ll be with you, and take you away forever.

Jacques reste à jamais l’enfant qui n’a pas réussi à grandir. Après la mort de son père, la mer est devenue son absolu. Avec des photos de dauphins dans son portefeuille en guise d’unique famille.

Certain·es ne parviennent tout simplement pas à s’inscrire dans un projet de société, comme un membre productif. Faut-il condamner ceux qu’on qualifie de marginaux pour autant ? Ne peut-on pas essayer de les comprendre ? Sous l’eau, on trouve un monde qui obéit à d’autres lois. On y glisse. La respire est différente. Tout au fond, il voit autre chose (cf Annette).

Le temps n’a plus la même valeur. Il n’est certainement pas de l’argent comme le prétendait Benjamin Franklin. Dans ce Grand Bleu, pas de workshop ni de réorganisation. Pas de concurrence. Ni d’investissement locatif dans le but de faire une plus value immobilière. Pas de cette vie. Une autre vie (cf La Ligne Rouge). Juste être en harmonie avec ce qui nous entoure. Est-ce si bête ?

Quand on comprend Jacques, on peut accepter son choix. Il n’a pas perdu la tête. Jacques est simplement un animal sauvage qui ne peut pas s’épanouir dans le zoo. Johana finit par l’accepter et lui donne sa liberté.

Jacques est un artiste est condamné au suicide (cf Born to be Blue) sans que cela soit dramatique puisque sous l’eau, il se sent bien. Il y a trouvé un univers qui l’accepte enfin pour qui il est, sans jugement (cf Shining).

It’s much better down there, It’s a better place.

Il faut dire qu’on retrouve pas mal de romantiques au fond des océans. Ce n’est pas Jack Dawson qui dira le contraire (cf Titanic).

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

22 commentaires

  • JAWS – Explication de film
  • Bonjour, votre vision est intéressante mais pourquoi parler d homosexualité, c est un amour fraternel, un respect profond entre deux hommes, ça va bien plus loin que de dire vulgairement homosexuel lol, ils aiment tout les deux les femmes mais ils aiment encore plus leur même ressenti profond pour cet océan si envoûtant qui les rapproche forcément vers le même but de la vie 😉 Eddy Christian

    • Merci Eddy pour votre commentaire. Je parlais d’homosexualité parce que Jacques n’hésite pas à planter Johanna en pleine nuit pour aller faire des galipettes avec des dauphins dans l’océan. Et au moment d’assumer sa paternité, il préfère quitter Johanna à nouveau pour l’océan (et pas ‘la mer’, sinon il aurait été plus juste d’intituler le film « la grande bleue » n’est-ce pas?). De la même manière, Enzo l’hétérosexuel dans toute sa splendeur peut assumer son homosexualité refoulée lorsque Jacques lui fait découvrir l’ivresse des profondeurs. Il s’agit donc à mon sens d’un peu plus que d’une simple relation d’amitié… 😉

  • ROMA • Explication de Film
  • Bonjour,
    Je ne comprends pas d’où ce film réalisé en 1988 pourrait avoir une relation avec L’Euro 2000 et encore moins avec la situation actuelle de la Grèce qui est d’après vous le naufrage de l’Europe. J’ai l’impression que vous prennez de nombreuses conclusions sans arguments valides.

    • Merci Léa pour ce commentaire teinté d’incompréhension.
      En réalité c’est assez simple : la rivalité entre Jacques et Enzo est à l’image de la tension constante entre la France et l’Italie. Tout a commencé avec l’invasion de la Gaule par l’Empire Romain. Napoléon a pris une belle revanche et bien qu’il ait imposé l’Italien comme langue officielle dans le pays, les locaux n’ont jamais accepté cette domination étrangère. Bande d’ingrats… Cette tension est palpable lors de cette partie de ping-pong entre Christian et un vacancier transalpin (cf Les Bronzés). Ou lorsque les skieurs italiens narguent Popeye et Jean-Claude (cf Les Bronzés font du ski). Scusi scusi… facile à dire scusi!
      Dans le sport, les coeurs italiens sont encore meurtris de la défaite à l’Euro 2000, trahis par Trezeguet… qui jouait à Turin. Nous avons payé cher la Coupe du Monde 2006. Ne parlons plus de Materazzi à Zidane. Nous nous aimons et nous nous détestons. L’histoire se poursuit avec les disputes récentes entre Salvini et Macron. Macron qui est aussi une marque de sport italienne…
      Cette relation compliquée montre toute la fragilité du projet européen. Bizarrement, le point de départ se situe en Grèce, berceau de notre civilisation et qui se trouve aujourd’hui à la dérive. Le boulet d’une Union qui coule.
      Le Grand Bleu était une plongée en eaux troubles prémonitoire. Luc Besson était un visionnaire, à l’époque en tout cas.

  • Jacques ne se suicide pas à la fin du film contrairement à ce que vous écrivez tout en haut de page. Jacques Mayol l’a d’ailleurs dit à la télévision. Questionné sur la fin du film, il a déclaré que Jacques partant avec le dauphin ne signifie en aucun cas son suicide. Cordialement.

    • Merci Erl, effectivement dans la version US : Jacques remonte à la surface pour vivre d’amour et d’eau salée avec le dauphin.
      Dans la version originale, dans laquelle on le voit disparaitre dans la pénombre en compagnie du dauphin, on peut imaginer qu’il a fait le choix difficile de se retirer définitivement du monde. Difficile puisqu’il hésite au moment de lâcher la gueuse. Bien à vous.

Commentez ou partagez votre explication

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.