UNE ÉPOQUE FORMIDABLE

UNE ÉPOQUE FORMIDABLE

Gérard Jugnot, 1991

LE COMMENTAIRE

Le chômage est une tendance lourde. Les demandeurs d’emploi sont de plus en plus nombreux chaque jour. Ce qui ne doit pas être une fatalité. Plutôt que de regretter l’époque révolue du plein emploi (cf la Zizanie), sachons apprécier la chance unique de pouvoir prendre le temps. Des milliers de cadres paieraient cher pour avoir l’opportunité de s’asseoir sur un banc cinq minutes avec toi, et regarder les gens tant qu’y’en a. Du moment qu’on ne dort pas dessus (cf Le Grand Partage)…

LE PITCH

Un homme fait un stage à durée indéterminée, non-rémunéré, dans la rue.

LE RÉSUMÉ

Michel Berthier (Gérard Jugnot) fait des cauchemars qu’il tombe de son bateau puis qu’il se noie. Et c’est normal. Cela fait quatre mois qu’il s’est fait virer de son boulot. Il est effectivement en train de se noyer, discrètement. Il n’a rien dit à sa Juliette (Victoria Abril).

Ses entretiens d’embauche ne le mènent nulle part.

On vous écrira…

Il ment à droite en faisant croire à sa femme qu’il a reçu une promotion. Puis il ment à gauche à faisant croire à Malakian (Éric Prat) que sa femme est enceinte pour qu’il le couvre. Il sait que sa femme a des doutes.

La supercherie dure quatre mois. Sa carte de crédit ne fonctionne plus. Malakian est épuisé de devoir jouer la comédie et Juliette finit par le confronter. Berthier est acculé. La vérité finit par éclater. Il est sur la paille. Pire, il croule sous les dettes.

Je voulais te faire une surprise!

C’est réussi!!

Il plaque tout, comme il avait menacé de le faire.

Je vais craquer!

Il se retrouve à la rue en plein hiver puis perd tout : ses CD, sa chaîne Hi-Fi, son canapé, sa voiture, ses chaussures. Condamné à s’introduire chez les gens par effraction pour pouvoir dévorer un peu de boudin noir, comme un animal.

Par chance, il rencontre trois autres SDF : le Toubib (Richard Bohringer), Crayon (Ticky Holgado) et Mimosa (Chick Ortega). Tous les trois survivent comme ils le peuvent. Ils magouillent avec Copi (Roland Blanche) qui possède un squat. Ils piquent de l’essence, des couvertures chauffantes et des médocs quand ils ont l’occasion.

Entre ordures, on va pas se faire de l’ombre!

Après la mort de Mimosa, les trois amis accusent le coup. Crayon trouve un travail comme agent de sécurité à la Défense. Berthier lui rend visite et songe à se jeter du haut de l’immeuble.

C’est beau le vide. C’est simple!

Alors le Toubib et Crayon lui remontent le moral pour qu’il retrouve Juliette à l’aéroport où elle travaille. Il lui fait croire qu’il revient de voyage, avec une pomme dans sa valise. Celle-ci est néanmoins trop contente de lui demander de revenir à la maison.

L’avion peut re-décoller. À terre, le Toubib et Crayon sont toujours en galère.

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L’EXPLICATION

Une Époque Formidable, c’est la possibilité du gouffre.

On a connu une société divisée en trois avec la Noblesse, le Clergé et le Tiers-État. Puis on a connu une société divisée en deux avec les Bourgeois et les Ouvriers. Aujourd’hui, la société est divisée en quatre tranches.

Il y a d’abord la réalité de celles et ceux qui travaillent dur pour se payer leurs costards. Réalité marquée par une concurrence féroce (cf There will be blood) et qui nécessite de se réinventer sans cesse si l’on ne veut pas voir ses profits fondre comme peau de chagrin. Personne n’a envie de gagner moins. La vie de ces gens là n’est pas aussi simple qu’on le pense car ils ne savent pas toujours quoi faire de leurs millions.

L’éventualité que la mort les sépare de leur fortune les terrifie. Ils ou elles ont tout à perdre. Tellement occupé·es à protéger leur patrimoine qu’ils ou elles en oublient parfois de s’aimer. Leurs enfants sont des gosses de riches qui font des bêtises parce qu’ils ou elles souffrent d’être délaissé·es. Dans ce monde là, l’argent ne fait pas le bonheur, même s’il n’y a pas de bonheur sans argent.

Il y a ensuite la réalité de celles et ceux qui travaillent dur, tout court, comme Berthier, sa femme ou Thierry (cf La Loi du Marché). Celle des classes moyennes qui vivent en banlieue et roulent en Volvo. Qui vivent leur vie comme si c’était la jungle. On leur fait croire qu’en jouant le jeu, ils ou elles pourront un jour obtenir le confort des bourgeois de l’étage du dessus. Promis.

Ils ou elles se fatiguent car leurs heures supplémentaires ne portent pas leurs fruits. Trimer sans cesse. Parfois, on s’interroge. Est-ce qu’on nous ment ? Y’en a marre. C’est dit. Le burn out guette (cf Chute libre, Adieu les cons).

Maman, j’ai mal au ventre!

C’est normal, tout le monde a mal au ventre!

Il y a ensuite la réalité des gens qui travaillent dur et se lèvent aux aurores. On les retrouve dans le métro à l’ouverture. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils n’ont pas de costard et s’ils vont à la Défense, c’est pour y faire le ménage. Ils sont plutôt d’origine africaine ou pakistanaise. Il s’accrochent. Travaillent au black, sans faire de bruit. Ils serrent les dents pour ne pas repartir à la case départ.

Enfin il y a la réalité de celles et ceux qui ne travaillent plus du tout et sont dans la rue (cf Enfermés dehors). Ce sont les salauds de pauvres (cf La Traversée de Paris). On vit en pleine jungle, littéralement. Plus rien, comme le Toubib, Crayon et Mimosa. Une voiture sans chauffage quand il fait -15 dehors. Un autre monde. On picole du vin en bouteille en plastique et on prend de la drogue non pas pour fuir la réalité mais pour continuer de vivre avec. Il n’y a plus que cela qui calme Mimosa. Ces gens là font au jour le jour.

On n’a même pas de PQ! Comment tu veux qu’on ait les papiers de la charette??

Notre époque est formidable car on nous fait croire qu’on peut monter les échelons si on travaille beaucoup et bien. Alors qu’en fait, on peut surtout dégringoler dans la pyramide sans pré-avis et vite, comme Berthier.

Tu verras quand tu perdras ton boulot. T’as du temps alors tu glandes. Quand tu glandes tu regardes les vitrines qui te font des oeillades comme les putes. Au début, tu résistes et puis un beau jour tu craques.

Il essaie de se remettre en selle en passant des entretiens où on lui demande s’il porte des slips ou des caleçons. Il se remet en question.

Qu’est-ce que j’ai de moins que les autres ??

Chick Ortega, Ticky Holgado, Richard Bohringer, Gérard Jugnot

Il vit dans une société où être dans la norme ne suffit plus. Toujours avoir quelque chose en plus. Impossible. Comme le lui fait remarquer le Toubib, il manque d’ambition.

Plus de place pour lui. En marge. Incapable de suivre le rythme de la société de consommation. Il accumule les dettes. Son banquier est là pour le rappeler à l’ordre. Rien de personnel, évidemment.

Je ne fais pas ça contre vous, j’obéis à des directives.

Dans la Gestapo on disait ça aussi.

Berthier s’accroche aux branches, ravale son ego et retourne voir sa femme qui a la générosité de le reprendre. Parce que sa femme, elle, n’a pas abandonné le navire. L’amour propre ne doit pas conduire Berthier dans la rue, mais plutôt à se battre pour ne pas abandonner celles et ceux qui l’aiment comme Juliette ou son fils Vincent.

Le spectacle est terminé.

Circulez, y’a rien à voir.

Berthier va reprendre du service. Espérons qu’il lâchera un petit ticket restaurant aux SDF du métro de temps en temps, histoire de ne pas oublier cette expérience.

Dans cette Époque Formidable, on manque visiblement plus de mémoire que d’ambition.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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