L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP… PEU
Jon Amiel, 1997
LE COMMENTAIRE
L’habit ne fait pas le moine (cf Nous ne sommes pas des anges), mais il a quand même bien des vertus (cf Le Daim). Il permet à l’individu de se découvrir des facultés jusque là ignorée. Porter une chapka sur la tête permet d’entrevoir ce que veut dire avoir le cœur d’un Russe. L’habit permet de mieux rentrer dans le personnage.
LE PITCH
Un homme se prend au jeu.
LE RÉSUMÉ
Pour son anniversaire, Wallace Ritchie (Bill Murray) quitte son Iowa pour rejoindre son frère James (Peter Gallagher) installé à Londres. Il débarque à la douane comme un bon Américain qui n’est jamais sorti de son pays.
You’ve got a great accent, are you from here?
Cette visite tombe mal. James doit préparer un important dîner avec des clients Allemands pour lesquels il a même commencé à apprendre quelques rudiments de la langue de Goethe.
Afin d’être tranquille, il se débarrasse de son frère en lui proposant une expérience immersive pour la soirée : the theater of life (cf The Game). Un nouveau concept populaire en Angleterre pendant lequel les client·es se retrouvent plongé·es dans une pièce de théâtre grandeur nature (cf La Belle Époque).
Un quiproquo va plonger Wallace dans une toute autre histoire. Il se retrouve sans le savoir au beau milieu d’une embrouille diplomatique. Le Ministre de la Défense (John Standing) complote avec un agent Russe (Nicholas Woodeson) pour faire sauter une bombe lors du diner de l’ambassadeur afin de relancer la guerre froide (cf La Confrérie de la Rose).
Wallace est persuadé que ce qui se passe fait partie du scénario. Il est d’abord maladroit.
I’m sorry I’m not prepared for any of that stuff.
Puis il commence à prendre goût à son rôle d’agent secret.
I want to do this every single day I’m here!
Il est tellement parfait qu’il en bluffe tout le monde, à commencer par les professionnels.
Of course he didn’t provide you with any identification. He’s a secret agent!
Wallace déjoue les plans des malfaiteurs avec une incroyable légèreté. Boris « The Butcher » Blavasky (Alfred Molina) n’en croit pas ses yeux.
The man is a god…
Pendant la soirée, son frère incrédule comprend qu’il ne s’agit pas du tout d’une plaisanterie comme se permet de lui indiquer le chef de la police.
Am I talking to an actor now, or a human being?
Neither sir, I’m a policeman. (…) I don’t think you realize the seriousness of the situation.
James commence à paniquer et se fait kidnapper. Il subit la torture du Dr Kropotkin (Geraldine James). Le monde des agents secrets pour de vrai (cf Tenet).
Tandis que Wallace continue de surfer sur le danger. Lors du diner, il empêche une bombe cachée dans une Matryoshka d’exploser à travers une danse folklorique improbable, tout en évitant une flèche empoisonnée tirée par Boris. Du grand art, sans se rendre compte de rien. Pour lui, la pièce de théâtre se déroule exactement comme prévu. Un peu d’improvisation tout au plus.
James est libéré. Wallace emballe Lori (Joanne Whalley) qui travaillait pour le compte de Gilbert Embleton. Tout est bien qui n’aurait pas pu mieux se finir.
En vacances avec Lori sur une plage exotique, Wallace se fait approcher par les services secrets Américains qui lui proposent de rejoindre l’agence (cf Raisons d’état). Persuadé qu’ils lui proposent un rôle au cinéma, Wallace accepte avec enthousiasme.
I’m hoping I passed the audition. Thank you for asking. Let’s get creative ok?
L’EXPLICATION
L’homme qui en savait trop… peu, c’est un parfait acteur.
Une question se pose devant la performance de Wallace : comment réussit-il à jouer aussi bien les agents secrets, en vrai ? Tout simplement parce qu’il n’est pas conscient de la réalité. On peut considérer que ne pas en savoir trop est une chance dans le cas de Wallace, tout droit sorti de nulle part. Il se présente lui même comme un touriste ayant envie de profiter de tout, sans donner l’impression d’être un touriste.
I’d like to see everything, but, not have people know I’m a tourist, you know.
Parce qu’il n’est pas conscient des enjeux, il peut mieux se concentrer sur ce qu’il croit être son jeu d’acteur – et s’en amuser. Wallace ne sait rien d’autre. Il n’a pas besoin de savoir. De cette manière, il peut surfer sur les événements (cf Trois Amigos!). Dans ce Londres où le théâtre descend dans la rue, il est comme un poisson dans l’eau.
This is London, this is theater land!
Rien ne peut lui arriver. Les balles lui passent à travers sans le blesser (cf Pulp Fiction) ou ne l’atteignent pas (cf Matrix). Cette ignorance lui confère une forme de courage exceptionnel. Boris est d’ailleurs persuadé que Wallace est fou. Ce n’est pas normal. Il n’a jamais vu cela.
Sometimes it’s foolish to be so brave.
Wallace est effectivement inaccessible. Il peut jouer avec le réel parce que la mise en scène à laquelle il croit lui permet de se détacher de son environnement. Plus de pression, plus de problème.
Relax, we’re actors.
Wallace paraît excellent car il ne souffre pas de ce que beaucoup d’entre nous subissent au quotidien : le syndrome de l’imposteur (cf 8 1/2, un homme idéal). Le fait de penser de soi qu’on n’est pas au niveau du rôle que l’on devrait tenir.
This sounds really embarrassing.
Les imposteurs font une distinction entre ce qu’ils estiment être eux-mêmes et le rôle qu’ils pensent devoir occuper. Les doutes commencent à surgir lorsque l’on ne pense pas correspondre à ce que les autres semblent attendre de nous, ou encore à l’idée de la prestation que l’on pense que nous devrions délivrer. Quand l’idée que l’on se fait de soi n’est plus malléable.
You are who you say you are.
Face à cette dissociation de personnalités et leur incapacité à s’adapter, les imposteurs se sentent bloqués. Ils n’arrivent plus à dérouler leur texte.
I can’t act.
Wallace n’a pas ce genre de problème car il a réalisé une parfaite confusion entre la comédie et le réel. Les deux ne font plus qu’un. Il s’épanouit dans cette forme de fantaisie. Lorsqu’il sent une interférence de la part de son entourage, il la rejette aussitôt.
Please don’t call me by my real name, it destroys the reality I’m trying to create.
Wallace ne veut pas sortir de son rêve, alors qu’il ne se rend pas compte qu’il est dans la réalité. Tout devient littéralement possible quand on a l’inconscience de prendre la vie pour ce qu’elle est : une blague. La CIA comme un film dont on serait à la fois l’acteur principal et le scénariste.
We can’t just write the whole script can we?
Aucun doute, les ignorant·es sont vraiment béni·es.