LE GRAND PARTAGE
Alexandra Leclère, 2015
LE COMMENTAIRE
A priori, moins on se mélange et moins on a envie de se mélanger. Autrui nous devient plus que jamais étranger. Chacun dans son camp. Les tensions se ravivent à mesure que le fossé entre les civilisations se creuse.
LE PITCH
Des Parisien·nes sont contraint·es d’ouvrir leur porte.
LE RÉSUMÉ
L’hiver frappe fort (cf Le jour d’après). En France, des manifestations pour le droit au logement battent le pavé. Pierre (Didier Bourdon) et Christine Dubreuil (Karin Viard) regardent le cortège défiler et se montrent critiques envers leurs voisins Grégory (Michel Vuillermoz) et Béatrice Bretzel (Valérie Bonneton).
Ça vote à gauche, ça lit Libé, mais ça vit bien au chaud dans le 6e!
Coup de théâtre. Le gouvernement annonce Le Grand Partage, un décret exceptionnel visant à réquisitionner les appartements insuffisamment habités pendant l’hiver.
Ils ont voulu la gauche et ben ils l’ont eue!
La politique n’a rien à voir là-dedans papa, c’est l’époque…
La nouvelle refroidit beaucoup de monde, notamment parmi les sympathisants de droite.
C’est terminé, on quitte la France!
Le 300m carrés des Dubreuil est visé. C’est la panique. Pierre va aussitôt chercher sa mère (Michèle Moretti) en EPHAD pour la loger, ainsi que leur femme de ménage Philomena (Firmine Richard).
Bien qu’elle soit de gauche, Béatrice cherche à garder sa tranquillité. L’enseignante profite de la notoriété de son écrivain de mari pour passer au travers de la nouvelle législation.
Tu te vois partager ton espace vitale avec quelqu’un ??
Mais putain mais Béa nous sommes de gauche! Prenons ça comme une chance.
Je sais mais je crois qu’au fond je suis égoïste. C’est du boulot d’avoir des convictions…
Qui sommes-nous Béa ??
Brigitte (Anémone) et Serge Abramovitch (Jackie Berroyer) déménagent de l’autre côté de la rue dans un appartement plus petit.
Frustrée dans son couple et dégoûtée par la situation, Christine Dubreuil dénonce tout le monde de façon à ce que les familles Dubreuil et Bretzel doivent accueillir des sans logis chez elles.
Les Bretzel recoivent Nassifa (Marie-Philomène Nga) et sa fille. Grégory est absolument ravi.
Femme de ménage à Disney! Quatre heures par jour dans le RER, expulsée en plein hiver d’une chambre de bonne de quatre mètres carrés.
Les relations entre Pierre et sa femme sont fraîches.
Ni ta mère ni ta fille me contrediront : t’es devenu un sacré connard.
La période va permettre au patron d’entreprise de sympathiser avec Mathilde (Sandra Zidani), une ancienne restauratrice désormais à la rue. Il lui propose de venir à la maison, avec tous ses amis.
Béatrice a du mal à assumer cette situation. Elle se rapproche de Bernardette (Josiane Balasko), la gardienne de l’immeuble bien connue pour ses idées d’extrême droite et qui a monté une plateforme d’échange de sans-logis. Nassifa et sa fille contre un Moldave. L’enthousiasme de Grégory retombe.
Au moins Nassifa elle était là, on voyait qu’on l’aidait.
Malheureusement, le Moldave vole l’ordinateur de Grégory et les bijoux de Béa.
Enfoiré de sa race de Roumain de merde!
Béatrice et Christine se réconcilient. Elles vont chercher Nassifa que Bernardette a déposé dans un squat à Vitry. L’immeuble se transforme en un véritable hôtel avec une énergie débordante.
Brigitte regarde la scène depuis sa fenêtre avec circonspection. Sa formule est maladroite.
C’est une raffle à l’envers.
Cette expérience fut enrichissante pour tous. Grégory finit son nouveau livre. Les Dubreuil font à nouveau l’amour. Bernadette s’est fait des tresses, ce qui ne l’empêche pas de critiquer ce qu’elle considère comme la légendaire paresse des Africains. Béatrice loue sa chambre de bonne à ses étudiants.
Je vous demanderais juste de régler votre eau et votre électricité. Pour le reste… c’est cadeau!
En même temps, 9m carrés… c’est interdit de louer non ?
Pierre apprend aux infos que Mathilde a ouvert un restaurant. Il passe la voir. Elle lui propose le couvert.
Une p’tite place pour vous ?
L’EXPLICATION
Le Grand Partage, c’est la légitimation d’un état plus autoritaire.
Loué soit le changement climatique, car il permet de mettre en évidence le caractère inacceptable des inégalités sociales dans lesquelles nous baignons. La vague de froid réveille les consciences endormies, y compris celle de Pierre Dubreuil dont le fatalisme est répugnant.
Qu’est-ce qu’on y peut ?
Pierre n’est pas un cas isolé. Son fatalisme est partagé par tout·e citadin·e confronté·e à la misère urbaine au quotidien.
Tu dis rien, tu demandes rien, tu me culpabilises!
Ces conditions extrêmes nous permettent de voir que nous ne sommes clairement pas logé·es à la même enseigne. Depuis la rive gauche, le confort trop évident des Parisien·nes du 6e commence à poser un problème éthique. Pendant que les Dubreuil font semblant que la misère n’est pas leur affaire, les Bretzel s’auto-flagellent.
Je me dégoûte.
Une chose est sûre : chacun·e ne peut plus ignorer que ce confort est devenu obscène à l’heure où des gens meurent de froid dans la rue.
Mais dans quel monde vivons-nous cher ami ?
Surtout, chacun·e se rend compte qu’il lui est impossible de faire l’effort de partager son gateau, malgré les beaux discours de Grégory.
Si chacun d’entre nous fait un peu de n’importe quoi ça peut faire beaucoup de formidable… Putain c’est bon ce que je viens de dire, ça ferait un bon titre!
À tel point que nous sommes devenu·es de vrais caricatures, peu importe la confession. Des con·nes de droite, de gauche, et d’extrême-droite (cf La Cravate). Effectivement, il n’y a plus de parti.
C’est parce qu’il y a des gens comme vous qu’il y a des gens comme moi.
De vrais clichés ambulants. Égoïstes, racistes, hypocrites, cyniques, mesquins, agressifs, vulgaires. Ils se rendent tous coupables de réflexions scandaleuses, que cela soit Pierre, sa femme, Brigitte, Bernadette, Grégory ou encore Béatrice à l’égard de Nassifa.
Elle est ni la première ni la dernière à se faire virer!
L’humanité à son meilleur.
On se doute que s’ouvrir aux autres ne nous serait que profitable. Ces rencontres, jamais simples, sont toujours belles (cf La vie des autres, Welcome, Green Book). Les quelques mots de remerciements de ces sans abris touchent évidemment les Dubreuil.
On tenait à vous remercier parce que vous êtes vraiment des personnes très gentilles.
Dès qu’on les connait, ça change tout.
Le problème est que personne n’en est capable aujourd’hui. Apparemment même pas celles et ceux qui défilent pour réclamer ce qu’ils ne sont pas en mesure de donner, comme les Bretzel.
La honte. Maintenant qu’on a été dénoncé, tout le monde va nous regarder comme des pestiférés!
Ah elle est belle ta générosité!
Le contexte appelle un état fort, qui prend des décisions radicales. Un état qui déciderait de manière autoritaire, sur la base d’un principe simple :
On s’adapte à tout.
Si l’on écoute le peuple de toute façon, on n’avance pas. Macron, Hollande, De Gaulle partageaient la même idée. Alors que les Français arrêtent de râler contre l’état, ils s’en sortiront moins cons.
Les réformes, c’est pareil. C’est le sens de l’histoire!
L’environnement ? Pareil! Comment on va consommer moins si l’état ne coupe pas les compteurs ?
Par ailleurs, il est entendu que l’état autoritaire agit dans le bien de l’individu, même quand il le prive de ses libertés quand cela lui parait nécessaire : Décider pour l’individu ce qui est le mieux pour lui quand l’individu est devenu trop bête pour le savoir lui-même.
Parce que sinon on se croirait presque en Union Soviétique (cf Le Docteur Jivago), ou en République Populaire de Chine.