LE TEMPS QUI RESTE
François Ozon, 2005
LE COMMENTAIRE
Des millénaires ont permis à l’humanité de passer experte dans la comédie de la vie. On sait comment se comporter en société. Donner du sourire quand il le faut et tenir le discours adapté aux circonstances. Mais pour peu que l’on sache combien de temps il nous reste (cf Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare), alors adieu veau, vache, cochon. On jetterait volontiers les enfants des autres par la fenêtre pour partir faire un road trip sur la côte ouest (cf Easy Rider).
LE PITCH
Un photographe apprend qu’il n’en a plus très longtemps à vivre.
LE RÉSUMÉ
Romain (Melvil Poupaud) est un photographe qui vit à cent à l’heure. Pas le temps de profiter. Il enchaîne les shootings, ce qui le conduit à faire un malaise d’épuisement.
Romain craint d’avoir le SIDA (cf Dallas buyers club). Les résultats de ses examens révèlent qu’il souffre d’un cancer généralisé. Pas très bon, comme le lui annonce son médecin (Henri de Lorme).
Vous êtes jeune. Je préférerais que vous vous battiez. Mêmes si les chances sont faibles elles ne sont pas nulles. S’il n’y en avait qu’une il faudrait la saisir.
Romain ne veut pas de chimio. On lui donne trois mois. Une médiane.
Romain cache la vérité à ses parents et en profite pour jeter de l’huile sur le feu avec sa soeur (Louise-Anne Hippeau).
J’comprends que ton mec se soit barré tu lui laisses pas de place, on dirait que tu les as faits toute seule tes momes.
Après quoi, il se sépare de son petit ami Sacha (Christian Sengewald).
En attendant j’ai pas besoin de toi pour continuer à vivre. Alors tu prends tes affaires et tu dégages!
Un petit crochet à la campagne pour aller voir sa grand-mère Laura (Jeanne Moreau), la seule personne à qui il décide de révéler son secret.
Et pourquoi tu me la dis, à moi?
Parce que toi t’es comme moi : tu vas bientôt mourir.
Puis il retourne en ville. Sur une aire d’autoroute, il est approché par Jany (Valeria Bruni Tedeschi) qui lui propose de faire l’amour car son mari Bruno (Walter Pagano) est stérile. Romain refuse sous prétexte qu’il n’aime pas les enfants.
Il se réconcilie finalement avec sa soeur, à distance dans un parc, sans pouvoir aller à sa rencontre.
J’aimerais bien te voir mais j’ai pas trop la force en ce moment. Je voulais juste te dire que t’es responsable de rien, c’est moi qui vais pas trop bien, qui pète un peu les plombs.
Romain est de plus en plus malade, à s’en taper la tête contre les murs. Parfois il rêve de lui enfant en train de se balader avec son père dans les bois.
Il fait la paix avec Sacha.
Finalement il change d’avis et retrouve Jany et Bruno. Devant le notaire, il lègue tout à son enfant (cf My life).
Le temps est venu d’aller à la plage, se faire une glace. Voler encore quelques photos du monde autour de lui. Un dernier bain. Le soleil se couche. Les plagistes sont servis. Ils peuvent rentrer chez eux, les uns après les autres. Seul Romain reste jusqu’au bout.
L’EXPLICATION
Le temps qui reste, c’est faire ce que l’on veut.
À ce qu’il paraitrait qu’on aurait le choix. Pilule bleue et l’on reste au pays des merveilles, ou pilule rouge et on rejoint la resistance (cf Matrix). À bien y réfléchir, au moment de se prononcer on nous force toujours la main. On n’a le choix de rien.
La patronne de Romain décide de l’envoyer sur un shooting au Japon. Il n’en a pas envie mais s’il refuse, il perd son job. Donc il n’a pas vraiment le choix.
Pas le choix non plus de refuser un traitement quand les médecins le proposent.
C’est une décision qui n’appartient qu’à vous.
Pas le choix de faire ce que l’on veut des informations que l’on nous donne alors qu’elles nous appartiennent pourtant. Se sachant condamné, Romain doit le dire à tout le monde.
Il refuse. Pour une fois dans sa vie, il va conduire sans les roulettes. Au mépris des conventions. Laura le met devant le fait accompli. Il s’en fout.
T’as pensé à la culpabilité que tu vas provoquer ?
Des fois ouais, mais je serai pas là pour voir.
C’est infantile… Égoïste…
J’ai tous les droits maintenant!
La vie est assez courte, en fonction du point de vue que l’on adopte. On s’en rend compte lorsque l’on arrive à faire la différence entre la réalité et le fantasme (cf Hollywoodland), après quelques heures de route (cf Kennedy et Moi). Bien que la vie soit courte, on décide en conscience de la donner en intégralité.
Vivre par procuration. Partir en vacances au même endroit que les autres. Publier les mêmes contenus que les autres sur les réseaux sociaux. On suit le mouvement. Prendre les autres en photo comme on voudrait qu’ils soient, pas comme ils sont vraiment.
Romain en a marre de ce bazar. La maladie l’a fatigué. Ses trois derniers mois, il a envie de les vivre comme il l’entend.
En refusant son traitement, Romain s’offre un luxe. Une fin de vie à sa façon.
Il se fait des petits plaisirs, comme dire ses quatre vérités à sa soeur ou à Sacha. Pour une fois, dire ce qu’il pense vraiment sans se soucier de son entourage. Peut-être que cela pourrait même lui faire du bien ? Certain·es passent à côté. Sa soeur par exemple lui pardonne et lui permet aussitôt de revoir ses enfants. Elle n’a vraiment rien compris.
C’est toi que j’aurais envie de voir, pas tes enfants.
Romain ne souhaite pas blesser pour le plaisir, ni forcément de faire n’importe quoi. Juste faire ce qu’il veut.
‘À quoi bon ?’. C’est drôle que tu dises ça. C’est une expression que j’arrête pas de me répéter en ce moment, qui me trotte dans la tête.
S’il fait l’amour avec Jany, c’est parce qu’il trouverait dommage de gâcher sa modeste fortune. Peut-être aussi pour saluer l’audace de cette femme qui l’a abordé pour lui proposer une démarche inhabituelle. Car pour Romain, la vie ne doit certainement pas se ressembler. Elle doit surprendre un peu. À quoi bon une vie si elle n’a rien de singulier ?
Donc il reste sur la plage pour profiter du spectacle que personne d’autre ne voit.