CLÉO DE 5 À 7
Agnès Varda, 1961
LE COMMENTAIRE
Il existe quelques rares instants dans la vie où l’individu est contraint de se regarder face à face dans le miroir. Des moments où il n’est plus possible de se mentir ou tricher. Avec la perspective, on se rend compte que l’on a souvent tendance à se tourner le dos.
LE PITCH
Deux heures dans l’attente des résultats.
LE RÉSUMÉ
Il est 17h. Florence, alias Cléo (Corinne Marchand), attend les résultats d’une analyse. Cette chanteuse bien connue est persuadée d’avoir un cancer.
Depuis deux jours je le sais.
La cartomancienne (Loye Payen) tente de la rassurer.
Oui c’est grave, mais il ne faut pas exagérer.
Le tirage ne lui est pourtant pas très favorable.
Les cartes disent la mort et moi j’ai vu le cancer. Elle est perdue.
Cléo poursuit son après-midi. Elle retrouve Angèle (Dominique Davray), sa gouvernante, dans un café parisien. Le moral n’est pas au rendez-vous.
Je suis morte déjà…
Vous vous faites des idées!
Le patron (Jean Champion) voit bien que quelque chose ne va pas. Il tente à son tour de la rassurer.
Alors, ça va pas la p’tite dame?
Elle se tracasse, elle se fait une montagne pour un examen médical…
Vous savez les docteurs ça voit le mal partout! (…) Quand on a la santé on a tout. S’il faut écouter les docteurs, on est vite mort.
Cléo retourne chez elle auprès de ses chatons. Son amant (José Luis de Vilallonga) passe la voir en coup de vent. Ses mots sont maladroits.
Je n’ai pas le temps, toi non plus d’ailleurs.
Bob (Michel Legrand) et Maurice (Serge Korber) lui rendent visite pour la répétition. Tourmentée, Cléo peine à se concentrer et pique une colère. Elle abrège la séance.
Allez vous-en. Nan c’est moi qui pars!
Elle se promène dans Paris pour retrouver son amie Dorothée (Dorothée Blanck). En chemin, tout les passants la reconnaissent et la dévisagent. Le temps passe et les jeunes femmes se quittent vers le Parc Montsouris. Elle y rencontre un soldat (Antoine Bourseiller) auprès duquel elle se confie.
La peur me reprend, c’est comme une migraine.
De quoi avez vous peur ?
J’ai peur de tout.
Moi c’est mourir pour rien qui me désole.
Il l’accompagne jusqu’à l’hôpital. Le docteur Valineau (Robert Postec) semble être parti.
C’est énervant. Depuis deux jours que j’attends ce soir!
En chemin vers la sortie, le Docteur sur le départ s’arrête en voiture et confirme les craintes de la jeune femme sur un ton tragique si caractéristique des spécialistes pour lesquels le cancer n’a plus rien d’exceptionnel.
Il ne faut pas vous inquiétez outre mesure. (…) Après deux mois de rayons je pense que tout ira bien. Demain, venez vers 11h je vous indiquerai la marche à suivre.
Le soldat est sous le choc. Contre toute attente, Cléo n’a plus peur. Elle dit même qu’elle est heureuse à présent.
L’EXPLICATION
Cléo de 5 à 7, c’est une fausse mauvaise nouvelle.
Épicure disait qu’il ne servait à rien d’avoir peur de la mort puisque quand nous sommes, elle n’est pas. Et quand elle est, nous ne sommes plus. Toute l’angoisse liée à la mort vient du fait d’anticiper l’inéluctable (cf Docteur Folamour). Cléo est exactement dans cette position. Elle craint qu’on ne lui confirme que sa fin soit proche. Une idée qui lui déplaît au plus haut point.
J’aime pas connaitre l’histoire du film à l’avance.
Le laboratoire d’analyse, en possession de ses résultats, est en train de lui voler son existence.
Il me semble que je n’ai plus de vie.
Refusant l’hypothèse qu’elle puisse être effectivement malade, elle se réfugie chez une diseuse de bonne aventure qui va échouer à l’apaiser. Cléo ne peut s’appuyer que sur elle-même.
Être laide, c’est ça la mort. Tant que je suis belle, je suis vivante et dix fois plus que les autres.
Angèle s’occupe d’elle mais se moque pas mal de ses états d’âme.
Avec elle, c’est toujours drame et compagnie… Elle a pourtant tout ce qu’il faut pour être heureuse.
Son amant n’en a rien à faire non plus. Il pense qu’elle exagère.
Tu as toujours quelque chose quelque part…
Entourée de ses chatons, Cléo se sent plus seule au monde que jamais.
Tout le monde me gâte, personne ne m’aime!
Dans les rues, tout le monde la reconnaît sans se douter du drame qui est en train de se jouer. La vie continue, comme si de rien n’était. Paris s’affaire et aura bientôt oublié Cléo. La ville est remplie d’égoïstes qui ne pensent qu’à leurs fesses, sans véritablement s’intéresser à celles des autres.
Il n’y a vraiment que moi qui y pense.
On lui dit de ne pas en parler.
Surtout ne parle pas de ta maladie, les hommes ont horreur de ça.
On lui dit qu’elle se fait des films.
Qui croit savoir le pire ne sait pas le meilleur. Vous vous inquiétez plus qu’il ne le faut.
On l’insulte.
Tu es une enfant gâtée!
Au long de cette après-midi interminable, il ne reste plus à Cléo que d’essayer de combler le vide en faisant du shopping. Tromper la mort à travers la consommation.
Je me soulerais d’essayer des chapeaux et des robes.
Le souci épuise littéralement Cléo.
Quelle journée, je ne sais plus où j’en suis.
L’absence du docteur est un traumatisme. Il manque un verdict. Cléo reste encore suspendue dans l’attente. C’est trop.
L’apparition surprise du docteur Valineau va tout changer. Sa manière de ne pas évoquer la maladie, tout en la confirmant, était sans doute ce dont Cléo avait besoin. Elle avait besoin d’entendre ces mots dépourvus de drame. Le cancer est la routine du docteur Valineau. Neuf ou dix séances et on n’en parlera plus – dans un sens ou dans l’autre.
Cléo est une célébrité dont les chansons passent à la radio. Sa voix berce quotidiennement des milliers de Français. Elle vit dans l’angoisse que cette vie de rêve puisse s’arrêter un jour, avec l’ombre du compte à rebours.
Lorsque le docteur lui confirme sa mortalité, il lui apporte un soulagement incroyable. À partir de maintenant, elle peut commencer à profiter du temps qui lui reste (cf Le Temps qui reste).