SUZUME
Makoto Shinkai, 2023
LE COMMENTAIRE
Le monde peut bien s’écrouler tant qu’il y a encore des chats. C’est vrai : quoi de mieux qu’un chat ? Un petit chat qui vous miaule son amour avec tendresse, plutôt que son envie de croquettes avec insistance.
LE PITCH
Une adolescente comprend qu’elle a le pouvoir d’empêcher des malheurs.
LE RÉSUMÉ
Suzume vit avec sa tante Tamaki sur l’île de Kyushu. Un matin, elle croise un jeune homme aux cheveux longs et à l’air mystérieux qui lui demande où se trouve une porte, au milieu des ruines des anciennes thermes. Suzume lui indique le chemin.
Intriguée, elle le suit. Sur site, elle découvre effectivement une porte à travers laquelle elle aperçoit un univers dans lequel elle ne peut pénétrer : le monde éternel. Si elle voit le monde éternel, c’est parce qu’elle s’y est déjà rendue jadis. Suzume s’y aperçoit enfant, cherchant sa mère.
Elle enlève une pierre du sol qui se transforme soudainement en petit chat, Daijin.
Suzume retourne à l’école. Depuis la fenêtre, elle remarque au loin une fumée inquiétante émanant des anciennes thermes. Une alerte est lancée. Suzume comprend qu’il se passe quelque chose de grave : elle retourne sur le site et découvre Sōta en train d’essayer de fermer la porte d’où s’échappe un gigantesque ver Namazu. Si ce ver s’écroule, un séisme se produira.
Tous les deux parviennent à refermer la porte à temps, grâce à une formule magique. Sōta est un verrouilleur. Il cherche d’autres portes à fermer.
Daijin jette un sort à Sōta qui se transforme en une petite chaise que la mère de Suzume lui avait confectionnée il y a des années.
Tous les deux se lancent à la poursuite du chat qui les emmène vers de nouvelles portes afin de prévenir de nouvelles catastrophes.
Le voyage se termine à Tokyo où un ver immense menace de faire des milliers de blessé·es. Suzume comprend que Sōta doit remplacer Daijin et devenir une pierre à son tour afin de bloquer les catastrophes.
Impossible pour Suzume de vivre sans Sōta. Pour le retrouver, le grand-père de Sōta indique la marche à suivre : Suzume doit pénétrer dans le monde éternel en empruntant une porte située dans son village natal qui fut jadis dévasté par un tsunami.
Suzume y retrouve Sōta pour le ressusciter, accompagnée de Daijin et Sadaijin un autre chat. Tous les quatre doivent empêcher un nouveau ver de s’échapper. Les chats reprennent leur rôle de pierre. L’un sur la tête et la queue du ver pour mieux le neutraliser.
Puis Suzume se retrouve enfant, paniquée à l’idée d’avoir perdu sa mère. Elle se rassure.
Ne t’inquiète pas. L’avenir n’a rien d’effrayant. (…) Le jour finira par se lever.
Qui es tu…?
Je suis la Suzume de demain.
De retour à Miyazaki, Suzume croise à nouveau la route de Sōta.
L’EXPLICATION
Suzume, c’est apprendre à vivre.
Quand on nait en France, hors période de conquêtes napoléoniennes ou de guerre mondiale, on peut qualifier la vie de relativement tranquille. Une ou deux grèves dans l’année. L’art de vivre à la française fait de cuisine au beurre, de croissants à la confiture et de sauces béarnaises. Vacances au ski l’hiver pour les plus fortuné·es (cf Les bronzés font du ski), camping l’été pour les autres. Et c’est reparti pour un tour! Les années se suivent et se ressemblent. À ce train là, autant apprendre à aimer sa vie telle qu’elle est – comme le recommandait Pindare.
L’histoire se répète.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on peut penser très fort à la retraite en France. Les chances d’y parvenir sont très élevées – à moins d’un improbable accident.
Tandis qu’au Japon, l’espérance de vie est plus improbable. Voici un pays en proie aux caprices de la planète où il est dangereux de faire des plans sur la comète. Il faut apprendre à vivre de manière permanente avec la menace que représentent les tremblements de terre et autre tsunami (cf La famille Asada).
Comment vit-on quand on est Suzume qui a perdu sa mère emportée par une catastrophe naturelle ?
On espère que cela ne se reproduira plus, tout en vivant dans la crainte constante de sentir son téléphone vibrer dans sa poche à cause d’une nouvelle alerte. Vivre dans l’épuisement… Suzume n’a que dix sept ans mais elle est déjà fatiguée.
Je veux que ca s’arrête, je n’en peux plus.
On peut essayer de voir les choses différemment – à la manière de Sōta.
Vivre ou mourir, c’est une question de chance.
Savoir que les catastrophes peuvent se produire sans que l’on puisse les anticiper. Se préparer au pire, sans en avoir peur. Ne pas se faire constamment du souci comme Tamaki, qui s’est empêchée de vivre pendant dix ans. Essayer de ne pas regarder derrière soi comme Suzume qui s’enferme dans un monde éternel, à la recherche d’une mère qui ne reviendra malheureusement pas.
Sōta invite Suzume à apprendre à rester dans le monde des vivants. Il ne veut pas vivre à l’envers, en ayant peur de mourir.
Je sais que la vie est éphemère. Nous côtoyons la mort chaque jour. Pourtant nous voulons vivre.
Grâce à cette philosophie, elle va se surprendre à le suivre. Son aventure lui permet de se rendre compte qu’on peut prendre des risques, et être capable de traverser tout le pays. Incroyable.
J’ai fait tout ce chemin pour toi.
Dans ce cadre très incertain, on peut s’inventer une vie (cf Brazil, La Vie est Belle). Se donner un rôle de verrouilleur. Sōta suit des matous qui lui indiquent où pourrait se produire le prochain drame. Plutôt que d’être dans l’attente et de ne pas voir ce qui se prépare, Sōta garde les yeux ouverts et se donne un rôle de verrouilleur. Quand Suzume croise de nouveau Sōta, elle ne le regarde plus de la même manière.
J’ai enfin compris.
La vie est ce qu’elle est. On peut l’envisager comme un gros bloc de béton compact, bien dur et bien gris. Une routine remplie de règles contraignantes, des chemins tout tracés s’appuyant sur des chiffres ou pouvant se résumer à des calculs statistiques.
Sans ignorer ce qu’est le quotidien, on peut l’imaginer avec un peu de magie (cf Le Prestige). Considérer son environnement comme plus qu’une somme de ressources à exploiter. Invoquer les esprits de temps en temps. Faire parler les chats. Voir les portes cachées.