MASCULIN FÉMININ
Jean-Luc Godard, 1966
LE COMMENTAIRE
L’homme regarde la femme droit dans les yeux, pour tenter de l’intimider. Le mélange des genres. En vérité, il essaie de la décrypter sans y parvenir (cf Le nom de la Rose). Il mobilise ses connaissances et fait appel à quelques concepts philosophiques pompeux, avec un air supérieur. Elle s’en amuse. Personne ne sort gagnant de cet affrontement, arbitré par une autre femme.
LE PITCH
Deux Parisiens se cherchent à l’aube de mai 68.
LE RÉSUMÉ
Paul (Jean-Pierre Léaud) est démobilisé. Il enchaîne clope sur clope à la recherche d’un emploi rémunéré. Dans un café, il reconnaît et aborde la chanteuse Madeleine Zimmer (Chantal Goya).
Paul lui raconte qu’il accepterait volontiers de quitter l’usine pour travailler dans un magazine (cf Le Diable s’habille en Prada).
Ça m’intéresserait de changer de vie. (…) Je suis souvent obligé de travailler dans des conditions désavantageuses.
Il décroche un job à l’Ifop. En confiance, il fait une proposition à Madeleine.
Ça me ferait plaisir de coucher avec vous. (…) J’aime beaucoup votre style de poitrine.
Très vite leur échange prend la forme d’un sondage, avec des questions et des réponses.
Qu’est-ce que c’est pour vous que le centre du monde ?
C’est drôle on s’est jamais parlé et la première fois qu’on se parle, vous me posez des questions étonnantes.
Il enregistre une déclaration sur vinyle. Pendant ce temps, Paul vit temporairement chez Catherine-Isabelle (Catherine-Isabelle Duport) et Elisabeth (Marlène Jobert).
Et alors ? Y’a pas de papier dans les chiottes ?!
Madeleine tombe apparemment enceinte. Elle connait un certain succès au Japon. On lui propose de faire l’Olympia. Paul s’agace.
Si elle accepte de passer à l’Olympia, moi je la tuerais!
Ça va pas vous êtes dingue ?!
Nan nan, je la tuerais. Je trouve ça dégoutant.
Il se dispute même avec Elisabeth à ce sujet.
Nous ne sommes pas des filles pour vous. Vous serez toujours malheureux.
Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?! Je répète : qu’est-ce que ça peut vous foutre ?
Au café, des femmes proposent leurs services à des hommes contre une somme d’argent.
Robert Poiccard (Michel Debord) se rapproche de Catherine. Son approche militante n’est pas très efficace. La jeune femme n’est pas emballée.
Est-ce que vous avez des idées sur la démocratie ? (…) Je voudrais savoir si vous vous intéressez à ce qui se passe autour de vous.
Y’a des tas de choses qui m’intéressent. (…) Je lis le journal, si ça m’intéresse je continue.
Madeleine continue ses enregistrements en studio. Elle accorde des interviews et prétend que Paul est son secrétaire. Paul se rend compte que son travail ne sert pas à savoir ce que pense les Français, mais plutôt de valider des idéologies du passé.
Il meurt dans un accident.
Catherine enregistre sa déposition. L’officier de police interroge Madeleine sur ce qu’elle compte faire. Elle songe à avorter.
J’hésite.
L’EXPLICATION
Masculin Féminin, ce sont des différences fondamentales.
La France en noir et blanc de la fin du général de Gaulle est assise sur le bord d’un volcan. Les genres s’opposent plus que jamais. Le couple hétérosexuel français bat de l’aile (cf Domicile conjugal).
Les temps avaient changé. C’était l’époque des James Bond et du Vietnam (cf Full Metal Jacket, Apocalypse Now).
Sentant les prémices du MLF, les filles commencent à manifester leur besoin de penser d’abord à elles, à l’image de Catherine qui refuse de se prendre la tête quand Robert l’ennuie avec ses questions.
D’après toi, le socialisme a-t-il encore de l’avenir?
Et puis quoi encore ?
La femme quitte son mari quand cela ne va plus, et elle se met à son compte si cela lui plait (cf Jeune et Jolie). La révolution sexuelle est sur le point de se produire. Madeleine a également envie d’indépendance. Elle ment quand cela lui chante. Son enfant, elle peut s’en séparer. Elle hésite. Quand Paul lui demande de se marier, elle botte carrément en touche avec malice. Pas le temps.
J’suis pressée, on verra ça plus tard.
La femme a juste envie de profiter de sa vie. Bien sûr elle apprécie la popularité. Rien de tel que quelques garçons qui vous courent après, dans une certaine limite. Madeleine tolère Paul, à condition qu’il reste à sa place.
Il ne faut pas qu’il devienne emmerdeur.
C’est la femme qui mène désormais le bal. Elle a remplacé l’homme au travail quand il est parti au front. Madeleine a pris la place dans le hit parade. Elle ne veut pas dépendre d’un homme. Certainement pas de Paul qui devient son toy boy.
Je ne veux pas qu’on sache que je t’ai rencontré.
Ce qui compte, c’est la carrière.
Vous vous en fichez vous mais moi mon premier disque c’est très important.
Madeleine assume totalement de passer des heures à se regarder dans le miroir.
Vous ne pensez pas que vous êtes le centre du monde ?
En face, les garçons fument beaucoup. Ils sont trop dans leur tête. Cérébraux. Perchés. Tordus. L’amour n’est pas un aboutissement pour eux. Il devient plutôt un prétexte pour pénétrer dans la tête de cet autre qu’est la femme.
J’aimerais savoir ce que vous pensez parce que je vous aime.
Paul, le sondeur pour l’Ifop, s’interroge. Il fait son métier.
À quoi vous pensez là comme ça? (…) On pense toujours à quelque chose.
Pendant que les cigales féminines prolongent la fête et surfent sur l’esprit de la Libération, Paul et Robert se concentrent sur des sujets très sérieux. Ils réfléchissent dur sur l’aliénation du travail.
C’est à cause des conditions de travail qu’on en arrive là. (…) L’ouvrier ne s’appartient plus.
S’ils repeignent les murs de slogans anarchistes, ils ont en réalité quelques difficultés à couper le cordon avec la figure paternelle.
Mon père a redécouvert pourquoi la terre tournait autour du soleil. Enfin comme Galilée avait du le trouver la première fois. Alors il s’est arrêté de bouffer sa purée et il a dit : ‘J’ai trouvé’! … Formidable!
Alors Paul fait mine de se moquer de ce qui se passe, comme s’il vivait dans le monde des idées.
De toute façon je m’en fous.
Ses questions ne le mènent nulle part, pendant que Madeleine lui échappe. Cela le dépite. Il n’a pas de réponse. Les spermatozoïdes sont mous.
En fin de compte je me demande pourquoi je me marre, parce qu’au fond je suis drôlement triste. (…) Ce n’était pas le film dont nous avions rêvé, ce n’était pas ce film total que chacun porte en soi.
Partout ailleurs, le couple semble solide. En France, il tergiverse. C’est déjà bientôt la fin des trente glorieuses. Ils serait temps que les genres se retrouvent un peu (cf Un homme et une femme). À défaut de quoi, les un·es et les autres vont rester en orbite et cela risque d’être pénible (cf Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait).