LE GOÛT DES AUTRES
Agnès Jaoui, 2000
LE COMMENTAIRE
L’homme a une inclination naturelle à se comparer. Gilbert Trigano a eu un éclair de génie : Les inhibitions viennent de la peur du jugement des autres. Fort de cette observation, il a construit le Club Med et il a fait fortune grâce aux GO dont la mission était de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Une sorte de nivellement, souvent par le bas, qui n’a d’autre but que d’annuler toute forme de jugement. Une fois logées à la même enseigne, les masses peuvent enfin s’amuser.
LE PITCH
Un entrepreneur Normand tombe amoureux de sa prof d’Anglais.
LE RÉSUMÉ
Jean-Jacques Castella (Jean-Pierre Bacri) s’ennuie profondément. Il étouffe même. La signature potentielle d’un gros contrat avec des Iraniens bouleverse sa vie. Son assurance lui colle d’abord un garde du corps dans les pattes, Franck (Gérard Lanvin) et son assistant lui assigne une prof d’Anglais, Clara Devaux (Anne Alvaro), dans le but de faciliter les négociations.
Pas vraiment passionné par ses cours, Castella a cependant un coup de foudre pour Clara, lorsqu’il assiste à sa pièce de théâtre.
Clara réveille la sensibilité de Castella qui lui déclare sa flamme un peu maladroitement. Il insiste et se couvre de ridicule. Clara se sent gênée de plaire à cet homme qu’elle considère comme rustre. Elle ne remarque pas qu’il s’est rasé la moustache pour lui plaire.
Clara finit par dépasser ses préjugés pour entrevoir Castella sous un nouveau jour.
L’EXPLICATION
Le Goût des Autres, cela se respecte.
Le monde peut être petit sans être étroit – pour peu qu’on sache profiter des opportunités qui se présentent à soi. C’est par l’intermédiaire de Bruno (Alain Chabat) que Franck rencontre Manie (Agnès Jaoui). Et c’est finalement en partie grâce à Franck que Clara changera d’opinion sur Castella, via Manie. Un peu comme jouer en bandes au billard.
Nous ne sommes finalement que des auto-tamponneuses qui se rentrent joyeusement dedans, à condition bien sûr de signer un gros contrat quand même. C’est l’élément déclencheur qui fait que tout peut commencer. Merci donc aussi à l’Iran.
On se moque souvent des autres.
Et alors il se retourne vers moi, tu sais, et il me dit ‘comment j’ai pu oublier ?’. Et c’est marrant parce que moi au même moment je pensais : ‘comment j’ai pu m’en souvenir ?’.
Parce qu’on ne rencontre pas toujours des gens intéressants. Par ailleurs, on rencontre aussi de plus en plus de gens. Dans les années 80, Jack Nicholson affirmait qu’une célébrité rencontre en moyenne dix fois plus de personnes en une année que l’individu lambda dans toute sa vie.
C’est devenu le lot de tout le monde aujourd’hui. Comme l’explique Franck avec beaucoup de finesse : Une fois on est bourré, qu’une fois c’est entre deux portes…
Alors que nous sommes pourtant tous connectés sur les réseaux sociaux à se parler à longueur de journée, on note parallèlement un profond désintérêt pour les autres. Tout reste en surface. Pas de question. En tout cas, pas de question profonde. On juge. Trop facilement. On se trompe aussi. Trop souvent.
Quand on cultive le goût des autres, on s’ouvre. Et on se découvre. Castella part de nulle part. Clara va lui transmettre sa passion pour le théâtre, la poésie et l’Anglais.
Tout le monde n’a pas ce goût. Clara et ses amis se pensent érudits mais ne sont finalement que de gros snobs. Ils ne restent que des artistes de seconde zone. Quant à Antoine (Wladimir Yordanoff), on ne sait pas bien ce qu’il vient faire dans tout cela. N’oublions pas qu’on est toujours le Jimmy Fallon de quelqu’un et le Franck Dubosc d’un autre.
Clara et sa bande sont dans la critique et la complainte permanente.
Je suis costumière. Enfin là je suis au chômage, mais quand je travaille je suis costumière.
Ils se plaignent tout en se croyant tellement supérieurs. Ce qui leur arrive est tellement injuste et banal à la fois. Ils ne sont qu’une caricature d’eux mêmes. Lorsque Benoît, Antoine et Clara visitent une galerie d’art, Antoine a ces mots cruels :
C’est pas dérangeant. Ce que les gens veulent, c’est continuer à dormir.
Quand ils rencontrent Castella, qui dérange très clairement, ils continuent pourtant de fermer les yeux. Même s’ils ne ferment pas totalement les yeux sur l’argent que Castella peut leur apporter.
Castella peut leur apparaître comme un patron de PME beauf (cf El Buen Patrón), il n’en reste pas moins un client.
Clara soupçonne Antoine et Benoît de profiter de la crédulité de Castella. Ce qui l’aidera à sortir de sa bêtise tout en blessant salement son admirateur au passage, lui privant le droit d’avoir un intérêt pour l’art, et peut être même une sensibilité.
Vous avez pas pensé une minute que j’ai pu les acheter… par goût ?
Encore faut-il aussi se jeter à l’eau, comme il ose le faire. Bruno essaie aussi mais se prend des cartons. Franck, lui, n’arrive pas à le faire. Il sera même incapable de dire au revoir à Manie.
Alors des fois on est seul, certes. Cela fait mal. On ne joue pas toujours le premier rôle non plus. Et puise à force d’essayer, on finit par trouver sa place dans la fanfare, un peu comme Bruno. Ou on finit comme Angélique Castella, à fantasmer un monde utopique où les chiens courent insouciants dans les champs. La vie n’est pas une publicité pour Royal Canin, comme le lui rappelle Bruno de manière tragique.
Il est heureux lui, il voit pas que le monde est moche!
Mais non il est pas moche le monde Madame Castella, il est comme il est! Faut faire avec…
Non! Ça m’intéresse pas!
Et ben alors il faut vivre à Disneyland…
Difficile d’imaginer qu’on puisse ne pas juger les autres. Cela n’est pas à la portée de tout le monde. Et puis il est aussi plaisant de pouvoir jouir de ce droit divin. A minima, essayons de ne pas juger les autres pour ce qu’ils ne sont pas. Sachons quand même nous moquer de ce qu’ils sont: des gros pédés, des gros beaufs, des gros cons ou des gros snobs.
Moquons nous de Jacques Villeret dans le Diner de Cons sous peine de tous finir dans l’enfer du Club Med (cf Les Bronzés, Camping). Tant que nous arrivons à nous moquer de nous mêmes (cf Tournage dans un jardin Anglais).
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