LINCOLN
Steven Spielberg, 2012
LE COMMENTAIRE
Quand on est Cabrélien, on a tendance à penser que c’était mieux avant. Parce qu’on a tendance à penser que les choses étaient plus faciles dans le passé. C’est un leurre. Par exemple, la politique aujourd’hui est un art périlleux car l’échelle mondiale s’est rétrécie et que tout va plus vite: la parole politique est accessible partout, par tous et dans la seconde. Elle est considérablement amplifiée, souvent déformée. Si le cadre politique de l’époque semble bien différent, avec tous ces papis barbus, l’exercice n’était pas moins compliqué pour Lincoln qu’il ne l’est pour Franck et Claire Underwood.
LE PITCH
Un homme se bat pour mettre fin à un système (cf Le Stratège).
LE RÉSUMÉ
1865, la Guerre de Secession va bientôt cesser. Le président Lincoln (Daniel Day-Lewis) craint que le retour des Etats du Sud dans l’Union ne menace le XIIIe amendement visant à abolir l’esclavage. Son objectif est de ratifier cet amendement avant la fin des combats. L’affaire est cependant loin d’être gagnée.
Les Républicains radicaux craignent que l’amendement soit refusé et plaident pour son ajournement. Les Républicains des états limitrophes ne pensent qu’aux affrontements. Les Démocrates ont d’autres chats à fouetter. Lincoln s’obstine.
Il use de son influence auprès du Républicain Francis Blair (Hal Holbrook) qui réclame une accélération du processus de paix avec les états Confédérés, ce qui risque de compromettre le soutien des Républicains radicaux, farouchement opposés à toute négociation avec les « traitres ».
Lincoln envoie son secrétaire d’État William H. Seward (David Strathairn) draguer les Démocrates qui n’ont pas été réélus pour monnayer leurs votes contre des postes au gouvernement.
Le Républicain Thaddeus Stevens (Tommy Lee-Jones), défenseur de l’égalité raciale, assouplit sa position et se prononce en faveur d’un amendement qui ne garantit l’égalité entre les races que d’un point de vue légal.
Les membres du Congrès discutent l’amendement et finissent par voter pour par une très courte majorité et dans une cacophonie totale.
Lincoln rencontre le Vice-Président des États du Sud Alexander H. Stephens (Jackie Earle Haley) pour négocier la paix et le remettre à sa place.
If we submit ourselves to law, even submit to losing freedoms, the freedom to oppress, for instance, we may discover other freedoms previously unknown to us. Had you kept faith with democratic process, as frustrating as that can be…
How have you held your Union together? Through democracy? How many hundreds of thousands have died during your administration? Your union, sir, is bonded in cannon fire and death.
It may be you’re right. But say all we done is show the world that democracy isn’t chaos, that there is a great invisible strength in a people’s union? Say we’ve shown that a people can endure awful sacrifice and yet cohere? Mightn’t that save at least the idea of democracy, to aspire to? Eventually to become worthy of? At all rates, whatever must be proven by blood and sacrifice must have been proved by now. Shall we stop this bleeding?
Lincoln annonce la reddition prochaine du Général Lee au Général Grant (Jared Harris) qui lui fait une ultime requête:
We have won the war. Now you need to lead us out of it.
Lincoln le fera de manière posthume. À peine cinq jours après la capitulation sudiste, il sera abattu par John Wilkes Booth. Son second discours d’inauguration lui survivra.
With malice toward none, with charity for all, with firmness in the right as God gives us to see the right, let us strive on to finish the work we are in, to bind up the nation’s wounds, to care for him who shall have borne the battle and for his widow and his orphan, to do all which may achieve and cherish a just and lasting peace. among ourselves and with all nations.
L’EXPLICATION
Lincoln, c’est une leçon de sagesse.
Ce n’est pas pour rien si de nombreux politiciens aujourd’hui se réclament encore d’Abraham Lincoln. C’était un vrai visionnaire qui savait calculer sans pour autant être prisonnier des petits calculs de la politique politicienne. Sa compréhension du présent est ce qui lui permit de penser le futur. Il a su identifier le problème à résoudre: L’esclavagisme était la source de tous les blocages. Cela parait évident a posteriori. Sur le moment, ça n’est pas toujours aussi simple de mettre le doigt sur le bon problème. Hélène, dans sa chanson, elle met le doigt devant puis elle met le doigt derrière… mais pas au bon endroit.
I can’t accomplish a goddamn thing of any worth until we cure ourselves of slavery and end this pestilential war!
Penser le futur et identifier les problèmes ne suffit pas. Il faut se donner les moyens d’avancer. La solution que Lincoln trouve à l’esclavage est le XIIIe amendement. C’est une stratégie habile car plutôt que de proclamer l’égalité des races de manière universelle comme le souhaiterait Thaddeus Stevens, Lincoln préfère y aller petit à petit, en légiférant. Il ne brûle pas les étapes. En bon architecte et juriste, Lincoln a su se doter des bons outils pour mettre en place les fondations nécessaires à la nation qu’il imaginait. La loi est le terrain idéal qui va lui permettre d’avancer pour faire changer les mentalités, même s’il est conscient que les choses vont prendre du temps.
When the people disagree, bringing them together requires going slow until they’re ready to…
En plus d’être patient, Lincoln était un sacré filou ; un fervent partisan de la fin qui justifie les moyens (cf The Watchmen). Pour mettre ses plans à exécution il faut parfois louvoyer tout en faisant preuve d’autorité (cf Invictus). Lincoln se fraye un passage.
Abolishing slavery by constitutional provisions settles the fate for all coming time. Not only of the millions now in bondage, but of unborn millions to come. Two votes stand in its way. These votes must be procured.
We need two yeses. Three abstentions. Four yeses and one more abstention and the amendment will pass.
You’ve got a night and a day and a night; several perfectly good hours! Now get the hell out of here and get them!
Yes. But how?
Buzzard’s guts, man! I am the President of the United States of America! Clothed in immense power! You will procure me these votes.
La sagesse de Lincoln, c’est de savoir faire les bonnes entorses au règlement pour le bien commun. Il manoeuvre dans les règles de l’art politique en faisant des promesses lui permettant de se mettre le congrès dans la poche et ainsi mieux faire passer son amendement.
The greatest measure of the Nineteenth Century. Passed by corruption, aided and abetted by the purest man in America.
La sagesse de Lincoln est dans la finition. C’est un grand gagnant qui ne fanfaronne pas et n’humilie pas ses adversaires. Il a peut-être retenu la leçon de 1789. Couper des têtes ne sert pas à grand chose.
Liberality all around. No punishment, I don’t want that. And the leaders – Jeff and the rest of ’em – if they escape, leave the country while my back’s turned, that wouldn’t upset me none. When peace comes it mustn’t just be hangings.
Lincoln c’était la classe d’un homme qui voulait accomplir de grandes choses pour la société, plus que pour lui-même. La leçon c’est qu’on n’atteint pas la postérité juste pour soi-même mais plutôt à travers ce qu’on accomplit pour les autres. L’ancien monde n’a pas que des inconvénients.
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