STILL ALICE
Richard Glatzer, Wash Westmoreland, 2014
LE COMMENTAIRE
L’essor de la technologie nous a rendus progressivement dépendants à nous mêmes. Le besoin du miroir. La selfie-thérapie. Aujourd’hui, il existe pourtant pire que de se voir tel que l’on est – sans filtre. L’horreur moderne est de se voir disparaître petit à petit.
LE PITCH
Une femme perd soudainement le fil de son histoire.
LE RÉSUMÉ
Alice Howland (Julianne Moore) est linguiste à la prestigieuse université de Columbia. Elle vient de fêter son cinquantième anniversaire. En guise de cadeau, son docteur lui diagnostique une forme aigüe de maladie d’Alzheimer, ce qui ne fait confirmer ses récents symptômes: pertes de mémoire, désorientation…
Sa maladie est héréditaire.
Ses enfants Anna (Kate Bosworth) et Tom (Hunter Parrish) décident de passer un test de dépistage. Sa fille Lydia (Kristen Stewart) refuse.
La descente aux enfers est relativement rapide. Tel un petit Poucet, Alice pare au plus pressé via un système de questions pour l’aider à retrouver son chemin. Elle ne peut cependant éviter de perdre son poste. Tout s’efface. Elle se perd dans sa propre maison.
À la demande de son docteur, elle parvient péniblement à donner un discours lors d’une Conférence sur la maladie d’Alzheimer qui lui vaudra une standing ovation.
I’m not a poet, I am a person living with Early Onset Alzheimer’s, and as that person I find myself learning the art of losing every day. (…) Everything I accumulated in life, everything I’ve worked so hard for – now all that is being ripped away. As you can imagine, or as you know, this is hell. But it gets worse. (…) I am not suffering, I am struggling. Struggling to be part of things, to stay connected to whom I was once. So, ‘live in the moment’ I tell myself. (…) And not beat myself up too much for mastering the art of losing. (…) But it means so much to be talking here, today, like my old ambitious self who was so fascinated by communication. Thank you for this opportunity. It means the world to me.
Elle ne reconnaît plus ses enfants. N’arrive plus à répondre aux questions basiques enregistrées sur son téléphone. Rate même sa sortie qu’elle avait pourtant méticuleusement préparée.
Hi, Alice. I’m you. (…) Listen to me, Alice. This is important. Make sure that you are alone and go to the bedroom. In your bedroom, there’s a dresser with a blue lamp. (…) In the back of the drawer, there’s a bottle with pills in it. It says ‘take all pills with water’. (…) It’s very important that you swallow them all, okay? And then, lie down and go to sleep, and don’t tell anyone what you’re doing, okay?
John (Alec Baldwin) ne peut se résoudre à voir sa femme sombrer. Il part pour le Minnesota. Lydia fait la route inverse. Elle quitte la Californie pour revenir sur la côte Est et s’occuper de sa mère.
Hey. Did you like that. What I just read, did you like it?
…
And what, what was it about?
Love. Yeah, love.
Yeah, it was about love.
L’EXPLICATION
Still Alice, c’est ne plus être connecté.
Il n’y a guère plus dramatique dans la société contemporaine que d’être condamné à ne plus être connecté. Black Mirror l’a très bien illustré à travers le concept du blocage. Ne plus être connecté est une condamnation d’autant plus terrible pour une personne dont le métier est le langage. Alice est véritablement maudite.
Contrairement à d’autres maladies qui nous affectent physiquement, Alice a toujours l’apparence d’Alice. Elle est, sans être. Le fantôme d’elle-même. Elle trompe son entourage sans le vouloir comme Samy Jenkins (cf Memento). Souffrante et souffrant de faire souffrir.
Sa maladie étant héréditaire, elle se voit non seulement partir sans pouvoir enrayer le processus mais elle se sent également coupable de peut-être transmettre cette maladie à ses enfants.
Elle aborde cette situation avec la noblesse d’un samouraï cherchant à se faire hara-kiri, ou d’un marin espagnol (cf Mar Adentro) cherchant à préserver sa dignité. Malheureusement pour elle, elle va aller jusqu’à en oublier de se suicider. Sa maladie est plus forte qu’elle.
Après avoir pris conscience que la vie qu’elle a construite n’était qu’un chateau de sable elle s’est d’abord recroquevillée dans le regret.
I used to be someone who knew a lot. No one asks for my opinion or advice anymore. I miss that, I used to be curious and independent and confident, I miss being sure of things. There’s no peace in being unsure of everything all the time. I miss doing everything easily, I miss being a part of what’s happening, I miss feeling wanted, I miss my life and my family.
Puis elle n’a pas eu d’autre choix que de rapidement apprendre à penser autrement pour essayer de continuer à vivre, autant que possible.
When I was, um, a little girl, like, in second grade, my teacher told me butterflies don’t live a long time. They live, like, a month. And I was so upset, and I went home, and I told my mother, and she said: « Yeah, but, you know, they have a nice life. They have a really beautiful life. » So now it always makes me think about my mother’s life, and my sister’s life. And to a certain extent, you know, my own.
Elle se déconnecte du monde petit à petit. Ses proches n’ont pas d’autre solution que de lui dire au revoir le plus vite possible.
Alice se déconnecte également d’elle-même. La petite note qu’elle s’était écrite pour se préserver disparait, comme si elle se trahissait également elle-même. Elle n’a plus d’attache à quoi que ce soit. Plus d’avenir et le passé se dérobe sous ses pieds.
Prisonnière du présent sans avoir demandé à l’être. La question sera de savoir pourquoi nous nous infligeons son supplice via une intoxication aux réseaux sociaux ? Quand on abuse de certaines plateformes sociales, on finit par en oublier de quoi on parle cinq minutes après.
Nous vivons tellement dans le souci de l’instant, qu’on en oublie d’être là avec ou pour les gens qu’on aime: présent.
Pourquoi faisons nous ce choix délibéré de disparaitre?
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