SORRY WE MISSED YOU
Ken Loach, 2019
LE COMMENTAIRE
Chaque jour, nous sommes exposés à plusieurs milliers de messages dont de nombreuses publicités auxquelles nous ne prêtons même plus attention bien qu’elles nous vantent l’intérêt d’aspirer à mieux – moyennant une somme d’argent. Toujours plus nouveau, plus loin, plus confortable, plus stylé, plus rapide… Alors que la vie n’est jamais aussi belle que lorsqu’on se pose avec quelqu’un qu’on aime. Pour profiter du coucher de soleil. À l’arrière d’un camion. Sur un banc dans un parc. Ou sur les marches d’une église en mangeant un morceau de pizza.
LE PITCH
Un père de famille prend un job de chauffeur-livreur.
LE RÉSUMÉ
Après la crise financière (cf Inside Job), Northern Rock a fait faillite. Cette déroute a impacté toute la région de Newcastle. Dur de trouver du boulot. Ricky Turner (Kris Hitchen) a touché à tout, bien que sa spécialité reste le bâtiment. Il se retrouve sur le carreau. Pour se relancer et dans l’espoir de pouvoir acheter une maison, il est embauché par Maloney (Ross Brewster) comme chauffeur-livreur à son compte.
Master of your own destiny.
Pour cela, il s’achète son propre camion. Sa femme Abby (Debbie Honeywood), infirmière, n’est pas très enthousiaste.
I’ll never see you!
Elle accepte néanmoins de vendre sa voiture et prendre les transports en commun pour permettre à son mari de tenter cette nouvelle aventure. Chacun va devoir faire des sacrifices. Au début.
Le travail est intense. Tout le monde en subit les conséquences. La vie d’Abby se complique. Elle rate certains jobs et doit tout organiser à distance. Les deux enfants aussi souffre du choix de leur père. L’anxiété de Lisa Jane (Katie Proctor) s’aggrave. Elle dort mal. Quant à Sebastian (Rhys Stone), en pleine crise d’adolescence, il se demande bien à quoi tout cela rime.
I literally don’t care.
Le couple a l’impression de couler. Abby fait régulièrement des cauchemars.
I’m sinking in quick sand.
Ricky part en tournée avec Lisa Jane et passe une bonne journée. Ce n’est finalement pas si mal.
Thanks for the great day.
Cette parenthèse enchantée ne se reproduira malheureusement plus. Contraire au règlement.
Les choses se dégradent rapidement quand Ricky peine à tenir les horaires. Maloney lui met la pression au pire des moments puisque Seb a été renvoyé de l’école, ce qui a généré une violente dispute au cours de laquelle Ricky a privé son fils de téléphone – toute sa vie.
Seb fugue et planque les clés du camion de son père pour l’empêcher de travailler. Une journée de perdue. £100. Et la confiance de Maloney qui se dégrade.
I have personal problems.
Personal…? Do I look like a fucking counsellor?
Pendant ce temps, Abby doit faire des heures supplémentaires pour s’occuper de la misère des personnes âgées abandonnées par leur famille.
Lisa Jane avouera plus tard avoir planqué les clés du camion car elle voulait que les choses reviennent comme avant. Triste.
Seb continue sa fuite en avant. Il se retrouve au poste de police pour avoir volé des bombes de peinture dans un magasin. Abby n’est pas joignable. Ricky doit se rendre au commissariat pour éviter que son fils ne soit plombé par un casier judiciaire.
Ricky se fait agresser lors d’une livraison. À l’hôpital où il attend ses radios, Maloney l’informe qu’il devra rembourser le vol de deux passeports ainsi que le matériel endommagé pour la somme de £1,500. Abby prend le téléphone et craque en pleine salle d’attente. Gênant.
This is my family, and I’m telling you now, nobody messes with my family. (…) I’m sorry I don’t swear…
Le lendemain matin, Ricky pourtant mal en point prend le volant dès 6h30. Seb est le premier à entendre le camion. Il sort pour empêcher son père de partir. Rien à faire.
I have to go to work, I don’t have a choice.
Abby et Lisa Jane le rejoignent à leur tour.
Ricky fait violemment marche arrière pour pouvoir reprendre la route.
L’EXPLICATION
Sorry we missed you, ce sont les victimes de l’uberisation de la société.
L’arrivée d’Uber a changé la donne. Elle a permis à la corporation des taxis de se remettre un peu en question. Les prix ont baissé, en tout cas temporairement. Certains ont pu trouver un job d’appoint. Le gouvernement en a profité pour annoncer des chiffres du chômage à la baisse de 0.2%. C’est toujours cela de pris.
Uber a aussi apporté une structure d’emploi plus précaire qui repose sur un gros mensonge :
You dont work for us, you work with us.
Car à la fin de la longue journée de travail, le franchisé doit toujours rendre des comptes à un patron qui ne jure que par les chiffres et ne fait pas de concession.
You dont like it, you can fucking walk right now!
Autrement dit : En Marche, ou crève.
Heureusement que tous ces efforts ne sont pas vains, c’est promis.
In six months, it will be different.
Encore un beau mensonge.
Dans cette configuration, le temps joue clairement contre Ricky. Tout lui échappe.
Son rythme de travail inhumain met à l’épreuve la cohésion de sa famille. Le questionnement de Seb sur son futur n’est pas injustifié. Pourquoi s’accrocher à l’école ? Être broyé par le système comme son père (cf Ressources Humaines) et avoir peut-être le choix de faire un job éreintant et peu valorisant ? Quel intérêt ?
Heureusement que Abby n’en rajoute pas avec les horreurs qu’elle voit chaque jour dans son travail. Sinon on pourrait se demander à quoi bon vieillir pour finir sa vie à se pisser dessus sur un fauteuil parce qu’aucun membre de sa famille ne s’est rendu disponible. Sombre.
Le rythme de travail finit par venir à bout des repas de famille.
La fille refait pipi au lit, la mère n’a plus de libido. Le fils se fait virer de l’école. Et le père, humilié, sombre dans la dépression, refusant officiellement toute responsabilité mais se sentant malgré tout cruellement coupable du désespoir dans lequel il plonge sa famille.
Employé raté, père absent et violent, mari décevant. Ricky ne sait plus.
I don’t know what to do.
Il a l’impression de faire de son mieux et ce n’est clairement pas assez.
Maybe the best is not enough.
En même temps, les employés feraient bien d’arrêter de se plaindre. Le marché de l’emploi a toujours été compliqué (cf La loi du marché). C’est à croire que rien n’a changé depuis Germinal.
Et puis les consommateurs ont besoin de leurs colis livrés en temps et en heure, le jour même. Ils paient assez cher pour cela. Le reste n’a que peu d’importance.
All they care about is the price and the delivery.
Merci Amazon!
Qu’importe si les employés en cuisine – ceux qui se lèvent tôt, finissent tard et qu’on ne voit pas – sont tous sur les rotules. De toute façon, ils seront bientôt remplacés par des machines (cf Les temps modernes) ou des drones.
Que pourront-ils alors faire de leur vie ? Se réinventer ? Facile à dire.
Aujourd’hui, ils peuvent se rebeller (cf Joker) ou bien mourir au volant de leur camion. Il reste encore effectivement un semblant de choix.
merci pour le lien amazon, ca me rappelle que j’ avais justement quelques achats a faire pour demain
Merci Von. Cet achat, vous l’aurez sur votre conscience…