ABOUT KIM SOHEE
July Jung, 2022
LE COMMENTAIRE
Si les appels des call center sont quasi- systématiquement enregistrés, c’est peut-être parce qu’ils se sont transformés en foire à l’empoigne. Il faut pouvoir garder des preuves quand les échanges dérapent. Des client·es exaspéré·es peuvent se mettre à injurier la personne à l’autre bout du fil, envoyée en première ligne pour éteindre les feux, et en profiter pour vendre une prolongation d’abonnement.
LE PITCH
Une jeune stagiaire sans expérience fait un job ingrat.
LE RÉSUMÉ
So-hee (Kim Si-eun), une jeune danseuse et étudiante dans un lycée technique, doit faire un stage pour compléter ses études. Elle se retrouve placée dans un call center d’un grand opérateur téléphonique coréen. Rôle épineux tant les client·es manquent de civilité. Le manager de l’équipe, Lee Jeon-ho (Shim Hee-sub), donne ses consignes.
Pas de pression, faites de votre mieux. (…) Notre travail repose sur l’art de la persuasion.
So-hee a un caractère bien trempé. Malgré son envie de bien faire, elle n’aime pas se faire aboyer dessus par qui que ce soit. Ses débuts sont donc mitigés. Les performances sont mauvaises. L’équipe perd des points dans le classement. Lee Jeon-ho est obligé de la reprendre.
Nous avons dégringolé. (…) Tu es loin d’avoir le niveau. (…) Je crois que tu manque de volonté. (…) Tu tiendras pas longtemps comme ça.
Les mots sont durs pourtant Lee Jeon-ho connait la difficulté du métier. Tellement qu’il se suicide. L’agent de sécurité le retrouve asphyxié dans sa voiture.
Le nouveau management est encore plus exigeant. So-hee refuse de signer une décharge afin de disculper l’entreprise suite à la mort de Lee Jeon-ho.
Surtout ne flanchons pas et faisons notre travail! Il faut aller de l’avant.
So-hee fait beaucoup d’heures supp mais découvre qu’elle n’est pas payée justement. Par ailleurs, elle ne touchera ses primes que dans deux mois, afin d’éviter qu’elle démissionne en cours de route. Un système de double contrat la prend en otage. Elle explose contre sa manager et écope de trois jours de mise à pied disciplinaire.
Son directeur de stage à l’école la sermonne.
Le travail est naze. C’est oppressant.
C’est ça le monde réel! Accroche toi!
So-hee fait une tentative de suicide. Le directeur de stage s’emporte et met la pression sur l’étudiante.
Tout le monde peut faire une erreur. Je lui ai promis que ça n’arriverait plus. Il te suffit de reprendre à zero. (…) Tu te rends compte de l’image que tu renvoies de l’école ? (…) Il faut faire avec. On a tous des hauts et des bas dans la vie. Je te croyais différente…
So-hee ne peut pas retourner travailler. Abandonnée, elle se noie dans un lac.
Yoo-jin (Bae Doo-na) est en charge de cette affaire embarrassante. Au cours de son enquête elle découvre que les parents sont largués – le père notamment.
Je ne savais pas. Comment elle a pu nous faire ça ? Je lui ai dit de travailler dur…
Les responsables de l’entreprise qui sous-traite le service client font preuve d’un cynisme abject.
Si le travail était trop dur, rien ne l’empêchait de démissionner. En réalit », les victimes : c’est nous! Nous devrions porter plainte contre l’école!
Les responsables de l’école ne sont pas en reste.
C’est son caractère le problème, pas l’école!
L’académie se dédouane.
Nous aussi nous sommes en concurrence avec les autres académies. Si nos taux baissent, nos budgets baissent.
Ce drame n’est apparemment la responsabilité de personne. Le commissaire de police aimerait d’ailleurs que Yoo-jin ne fasse pas de zèle.
Si on fait ça pour chaque suicide, tu imagines le bordel ?!
Yoo-jin insiste.
C’est notre boulot!
Les ami·es de So-hee n’ont rien vu venir et se sentent coupables. Son petit ami n’a pas répondu à l’appel. Lui-même est en souffrance dans son usine. À défaut de pouvoir changer le système, Yoo-jin essaie de faire ce qu’elle peut à son humble niveau (cf Biutiful).
J’aurais du prendre sur moi.
La prochaine fois, parle à quelqu’un.
L’EXPLICATION
About Kim Sohee, c’est le darwinisme économique.
On aime se vanter que notre société est tellement plus civilisée que celle de l’âge de pierre. Pourtant, le marché du travail a toujours été et continue d’être sauvage du fait de son ultra-compétitivité (cf Germinal). Agressif. Injuste. Tout le monde cherche à survivre dans cet environnement impitoyable (cf There will be blood, A most violent year, Rollerball, El buen patron). Seul·es les plus malin·es s’en sortent (cf Circle).
Ce qui se passe en Corée n’est finalement qu’une déclinaison de ce qui se passe partout. Que ce soit aux Etats-Unis (cf Chute Libre), en France (cf La Loi du Marché, Un Autre Monde, Ressources Humaines, Merci Patron!), ou en Grande-Bretagne (cf Sorry we missed you).
Sur le marché du travail, certain·es avancent comme sur une chaîne de montage pour se faire broyer.
Pourquoi tu t’inquiètes? Tu continues, c’est tout.
De ce point de vue, So-hee n’est qu’un dommage collatéral regrettable – au même titre que Lee Jeon-ho.
Yoo-jin est celle qui essaie de comprendre.
Ce genre d environnement n’est bon pour personne. Pourquoi vous avez fermé les yeux ?
Elle veut justement ouvrir les yeux sur cette situation inacceptable et faire en sorte de prévenir d’autres désastres.
Tout d’abord Yoo-jin découvre que le client est roi, et qu’à ce titre les stagiaires servent de fusibles. Il faut faire passer la colère client à tout prix, à moindre coût pour l’entreprise. On s’écrase.
Je m’excuse pour l’insuffisance de notre service…
Face au client, l’organisation baisse les yeux. Au sein de l’organisation, les collaborateurs et collaboratrices ne sont personne – en dehors du comité de direction.
Pour qui tu te prends ??
On nous tanne depuis des années pour nous dire que l’époque de nos (grands-)parents est révolue : il serait possible, et même recommandé, de trouver un travail épanouissant. Un jour. Ce stage aura ruiné l’estime de soi de So-hee.
T’es fière de ton boulot ? On te traite comme une merde…
Yoo-jin se dit que pour survivre dans cette jungle, il faut trouver une saine distance. Ce que So-hee ne parvenait pas encore à faire. Mais peut-on vraiment lui reprocher d’avoir été consciencieuse ? A-t-elle eu tort de réclamer les primes qui lui étaient dues ?
Yoo-jin comprend que l’on vit dans un monde où il ne fait pas bon dire ce qui se passe. L’omerta règne. Face au drame, on se planque derrière un langage consensuel et des contrats abusifs que personne ne conteste.
L’école decline toute responsabilité en cas d’accident. (…) Une élève est morte et tout le monde se rejette la faute.
Yoo-jin comprend que c’est chacun pour soi. Pas un pour relever l’autre.
Ceux qui font un travail ingrat mérite le respect. Mais on les méprise encore plus. Tout le monde s’en fiche.
Il faut dire que la machine est bien rodée.
Nous devons suivre les procédures.
Chaque acteur est de mèche. Tout le monde se tient : école, entreprise, académie, ministère. Client·es. Nous sommes tous plus ou moins complices.
L’école doit rester en bons termes avec l’entreprise.
D’ailleurs, le système ne se retourne pas comme cela.
Ne nous querellons pas. Une inspectrice locale n’a aucun pouvoir. Et maintenant ? Vous allez attaquer le Ministère? Et la suite ?
Les victimes ne peuvent même pas se venir en aide. La solidarité n’est pas permise. Le petit ami n’a pas pu venir au secours de sa compagne, en claquettes sous la neige.
J’avais trop de boulot, j’ai du prendre une autre livraison.
Tout cela parait ridicule et il n’y a malheureusement rien que nous puissions faire pour changer les choses. Les acteurs et actrices du système ont la responsabilité de ne pas se mettre dans le rouge. Ils ou elles peuvent aussi déceler les alertes. So-hee était trop fragile pour cette jungle, comme le première classe Santiago (cf Des hommes d’honneur). Comment aurait-elle pu être sauvée de cette catastrophe ?
Yoo-jin ne parvient même pas à rendre justice. Il n’y a rien à faire.
Yoo-jin a peut-être aidé son compagnon. En tout cas, elle lui a tendu la main.