THE CARD COUNTER
Paul Schrader, 2021
LE COMMENTAIRE
Il y a l’art et la manière. S’installer à la table est un point de départ. Faire tapis est l’aboutissement. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le résultat n’est pas l’essentiel. Gagner ou se faire sortir, peu importe. Voler les jetons des autres ou leur soutirer des informations. Ce qui compte, c’est le comment.
LE PITCH
Un damné occupe son temps à jouer aux cartes.
LE RÉSUMÉ
William Tell (Oscar Isaac) fréquente les tables de black jack et de poker. Il gagne petit, mais cela lui rapporte beaucoup (cf C’est arrivé près de chez vous).
Keep some modest goals. (…) I prefer to work under the radar.
Sa méthode est infaillible car il a passé huit années en prison militaire à compter les cartes.
It was in prison I learnt to count cards.
Depuis il reste discret sur sa vie. Pas même La Linda (Tiffany Haddish) n’arrive à percer son mystère. D’où vient? Que cherche-t-il? On ne sait pas.
If you don’t play for money, why do you play at all?
Passes the time.
Cirk Baufort (Tye Sheridan) débarque soudainement dans sa vie. Les souvenirs remontent à la surface. Baufort est le fils d’un ancien camarade de l’armée. Les deux soldats étaient gardiens dans la prison d’Abu Ghraib en Irak. Ils ont participé à l’horreur en se rendant complice des tortures commises à l’égard des prisonniers. Leur faute a été d’avoir documenté ces atrocités.
Les gardiens ont tous été reconnus coupables. Pas leur responsable, ni les responsables de leur responsable. À sa sortie de prison, Roger Baufort a frappé sa femme jusqu’à ce qu’elle le quitte. Puis il s’est rabattu sur son fils et a fini par se donner la mort.
Cirk Baufort veut retrouver John Gordo (Willem Dafoe), un instructeur, mais il a besoin de l’aide de William.
Ce dernier refuse. Il ne veut plus se faire ronger par ses souvenirs. Se venger de Gordo ne changerait rien.
Néanmoins, il peut aider Cirk à reprendre ses études en payant ses dettes grâce à ses gains. Il accepte de rejoindre l’écurie de La Linda et se fait sponsoriser pour participer au World Series de poker.
This kid needs help. He could star all over again.
Cirk rejoint William sur la route (cf Green Book). Tell a désormais un autre but que passer le temps. Il se rapproche également de La Linda.
La veille de la finale, Baufort veut de nouveau se venger. Tell lui fait peur, pour mieux lui réclamer de renouer les liens avec sa mère. Cirk accepte.
Malheureusement le soir de la finale, Baufort a changé d’avis. Il est retrouvé mort après s’être introduit sur la propriété de John Gordo.
William Tell abandonne le tournoi pour se rendre chez Gordo et le torturer à mort.
We’re going to make things right…
Au petit matin, il se dénonce aux autorités.
Tell retrouve la routine de la prison militaire où La Linda vient lui rendre visite. Tous les deux se touchent à travers la vitre sans rien dire, pendant de longues minutes.
L’EXPLICATION
The Card Counter, c’est perdre les pédales.
Chacun passe environ 1/3 de sa vie à dormir et certainement une majeure partie de son temps d’éveil endormi (cf Matrix), ou en veille jusqu’à ce que quelque chose se passe. Parce que quelque chose finit toujours par se passer.
It’s all about waiting, then something happens.
Un peu comme au poker où les joueurs passent leur temps à voir défiler des mains, jusqu’à ce que les bonnes cartes tombent. L’opportunité à ne pas manquer, ou de se méfier de ce qui peut se passer. Manque de patience. Euphorie. N’importe qui peut partir dans le décor.
Any man can tilt.
Une mauvaise décision et c’est fini.
William Tell, alias William Tillich, s’en est rendu compte à Abu Ghraib. Il a été placé dans des conditions inhumaines. La responsabilité qui lui a été confiée par le major Gordo, un sadique au service de l’état, était trop lourde. Que faire? Tourner les talons? C’est l’argument servi a posteriori par Gordo.
We are each responsible for our own actions.
Facile à dire pour un soldat (cf Des hommes d’honneur). William Tell a obéi. Il a fait l’atroce découverte qu’il pouvait perdre les pédales. Un côté sombre (cf Snowton, The Dark Knight) qui prend le dessus (cf Le Sixième Sens). La possibilité de devenir un autre.
I had it in me.
Chacun a une histoire plus ou moins abominable derrière lui.
Everybody’s got a story.
William Tell explique qu’il lui a fallu trouver une façon de trouver une distance dans cet enfer.
Surf the craziness. (…) If you were there you would understand. Otherwise there is no understanding.
Pour autant, il ne se cherche pas d’excuse.
Nothing can justify what we did.
Il sait qu’il est capable du pire (cf Le Liseur). Lors de son premier passage en prison, il provoquait ses co-détenus pour prendre des raclées dans l’espoir de ne plus ressentir ce sentiment de dégoût. Puis il a appris à reprendre le contrôle en comptant les cartes (cf Rain Man). Compter les cartes, c’est connaître les probabilités exactes et prendre ses décisions en conscience. Sans surprise. Garder son sang froid en toute circonstance. Poker face.
La tentation de basculer de nouveau rôde toujours autour de la table (cf Born to be Blue). Gordo donne une conférence dans un hôtel où se trouve William. Comme par hasard, l’ancien GI se fait retrouver de manière improbable par le fils d’un ancien compagnon de galère qui lui propose ce dont il rêve : retourner à l’état sauvage.
You woke something in me. (…) This is how it starts.
William pense résiste mais il se laisse à nouveau embarquer. En essayant de venir en aide à Cirk, il essaie de se sauver lui aussi. Parfois, cela fonctionne. On va au bout du tournoi en gardant la maîtrise de soi. La belle histoire. La plupart du temps, cela ne marche pas.
Real life is what’s going on.
William est retourné là d’où il vient.
He wanted to, he just needed an excuse.
Tout comme Cirk est tout près de s’en sortir mais trébuche sur la dernière marche. William tombe comme un domino. Il replonge. Presque soulagé de se débarrasser de Gordo, ce qui lui donne un aller-simple dans cette prison dont il apprécie la routine. Néanmoins il est en marge du monde.
William a honte de qui il est (cf Shame) : Un monstre récidiviste (cf Bad Boys), sans circonstance atténuante. En prison, il se pense à l’abri. Mais ce n’est pas une vie. La Linda lui rend visite. Elle ne le lâche pas. Pour elle, il n’a pas le droit d’abandonner non plus. Leurs doigts se rencontrent comme une promesse.