SEULS TWO
Ramzy Bedia, Éric Judor, 2008
LE COMMENTAIRE
Une station de ski sans neige et sans tire-fesses, c’est comme ton maquillage : le matin au réveil, c’est une paire de Ray-Ban alors qu’il y a plus de soleil. Ça fait penser à une valise oubliée sur le quai d’une gare – avant la période sombre des attentats. On ressent toute la détresse de l’éboueur qui n’aurait plus de poubelle à ramasser dans une ville soudainement devenue trop propre. C’est l’amour sans amour. L’apocalypse maintenant.
LE PITCH
Un gendarme et un voleur se retrouvent seuls au monde.
LE RÉSUMÉ
Gervais (Eric Judor) est un petit policier joueur de curling minable du genre pointilleux sur le règlement pour triompher contre Asnières. Il est un gagne petit.
Si tu respectes pas la règle, tu te respectes pas. Tu respectes pas la vie.
Certes.
Il est sur le point de se marier avec Juliette (Élodie Bouchez) avec laquelle il n’a pas encore fait l’amour. Sur la corde raide. À l’ancienne.
Et surtout il court après Abdelkader (Ramzy Bedia), un voleur plus connu sous le nom de Curtis. Lors d’une chassé croisé haletant dans les rues de Paris, Gervais se rend compte que les rues sont devenues désertes. Plus personne. Pas même à Barbès.
Vous êtes où les Arabes??
Qui dit plus personne dit aussi plus de femme et donc plus de mariage. Gervais lance des SOS depuis Montmartre qui restent sans réponse (cf Je suis une légende).
Paris m’entends tu?
Contrairement à ce qu’il pense, il n’est en réalité pas tout seul. Abdelkader est là, lui aussi. À la différence du représentant de l’ordre (cf Piège de Cristal), le criminel en profite pour rejouer c’était un rendez-vous… en formule 1! La présence de quelqu’un d’autre est un soulagement pour le policier.
J’suis pas tout seul!!
Les deux hommes peuvent continuer de se courir après comme d’habitude puis ils réalisent rapidement que sans personne autour d’eux, cela ne sert plus à grand chose. Ils s’essoufflent. Finalement, ils décident de passer un peu de temps ensemble et se confient l’un à l’autre.
Qu’est-ce que t’aime bien chez moi?
Alors qu’ils se donnent une accolade en plein milieu d’une autoroute vide, le monde réapparait brusquement. La vie reprend à chaque fois que les deux hommes partagent un peu d’intimité. Elle ne s’est en fait jamais arrêtée. Juliette est furieuse de la disparition de Gervais. Et le jeu du chat et la souris peut reprendre de plus belle. Les frères Bouglioni Freddy (MC Jean Gab’1) et Sammy (Omar Sy) sont également aux trousses du gangster.
Gervais et Abdelkader parviennent à maitriser leur pouvoir pour parvenir à leurs fins : Abdelkader se débarrasse des frères Bouglioni et repart libre comme l’air. Tandis que Gervais se marie avec Juliette.
L’EXPLICATION
Seuls Two, c’est donner du sens.
Saint Pierre disait que lorsqu’on est plus de quatre on est une bande de cons et qu’a fortiori, moins de deux est l’idéal. Il est de fait que lorsqu’on est plus de deux, c’est l’Enfer. Seul au monde n’est pourtant pas une situation beaucoup plus enviable. On se retrouve comme sur une île déserte, sans repère. En confinement total. Perdu dans sa tête. Désespéré à l’idée de pouvoir retrouver la civilisation. Vivre comme avant.
On pourrait donc se dire que le tandem est la solution. Cependant, le couple ne vaut rien sans le monde autour de lui paradoxalement.
Paradoxalement car la plupart du temps, on préférerait ne pas avoir autant de gens sans cesse autour de nous. Les gens ne servent vraiment à rien d’autre qu’à nous causer des ennuis. Ils volent les billets de banque d’Abdelkader lors de son braquage. Et ils empêchent Gervais de coincer Robin des Bois. On déteste les gens.
Ceux qui sont pas contents, ils ont qu’à se casser!
Les gens sont bêtes. L’individu (cf le dîner de cons) aussi bien que le groupe (cf Idiocracy). Les gens peuvent même être méchants gratuitement.
En attendant, ma femme elle s’est pas barré parce que je picole!
Le collectif écrase l’individu et met en place une sorte de comédie grotesque dans laquelle chacun joue un rôle comme Gervais le gendarme et Abdelkader le voleur. Nous sommes parfois tellement pris dans ce rôle que nous en oublions les autres, comme s’il n’y avait plus que nous. Nous c’est déjà pas mal. Sans Joker pas de Batman, et inversement (cf The Dark Knight).
Mais sans les autres, il ne reste plus que nous. Notre nombril. La comédie s’arrête. On se demande ce qu’on fait là, après quoi on court, quel est le sens de la vie (cf Monthy Pythons). Cette réflexion profonde provoque un véritable électrochoc pour nos neurones qui n’ont jamais vraiment fonctionné (cf Matrix).
Nous voilà donc coincés entre l’envie de nous couper d’un monde (cf Into the wild) qui nous enferme dans une simulation (cf Truman Show) et le besoin impérieux d’être dans le monde (cf Girl, interrupted) sans lequel nous perdons notre raison d’être.
Putain de système de merde!
Abdelkader aime la solitude.
Moi ça m’arrange, je devrais être mort normalement. Mieux vaut être seul que mort.
Au contraire, Gervais angoisse.
Sortez maintenant de vos cachettes…
Tous les deux sont coincés dans cette configuration. Paris est leur prison, même vide.
Après avoir fait comme si de rien n’était, ils se rendent bien compte qu’ils ne peuvent malheureusement pas s’épanouir dans ce Paris pourtant libéré de ses Parisiens. Ils doivent trouver la clé pour sortir de ce cauchemar (cf Un jour sans fin). Rien ne sert de fuir comme Abdelkader. Et suivre scrupuleusement la loi comme Gervais n’est clairement pas non plus la réponse.
À quoi ça sert ton règlement ?
La liberté passe par un peu d’authenticité. C’est seulement quand Gervais et Abdelkader font tomber leurs masques que la relation devient intéressante. Quand Abdelkader parle de son enfance, c’est un effort. Il se met à nu.
C’est la première fois que je dis ça à quelqu’un. Je peux te dire que… ça me coûte.
Le monde réapparait.
Quand Gervais se jette dans le vide pour suivre Abdelkader, au mépris de la mort ; il découvre que la confiance en l’autre et en lui d’abord peut lui donner cette liberté après laquelle il court sans cesse.
Le monde réapparait encore.
Cette fois, les frères Bouglioni ne font plus peur car la police de Gervais les a arrêtés. Et Juliette qui semblait être l’horizon indépassable a fini par dire oui à un Gervais inspiré par l’audace d’Abdelkader.
Le monde ne nous gène plus. Il donne du sens.
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